éclosion

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 Éclosion

De la fumée de cigarettes t'attend dans l'autre pièce. Opaque et un peu bête, elle ne voit rien, ne parle pas, n'a aucun rêve. Sa clope se consume au bout de ses cents pas. Ce n'est pas lui qui t'accouche, ne t'inquiète pas. Mais probablement l’autre, celle qui hurle à côté, sa très belle, étrillée comme une truie immonde, le bassin offert et le ventre au charbon. Pourtant, il n'y a que toi qu'on égorge cet après-midi, qu'on viole de bons soins méticuleux que tu n’as pas demandés. Que tu n'aurais pas voulu. 

Vas-y petit. Allume ta télé ! C'est là que le monde va t'accueillir sur son 31 d'occasion, entre deux cuisses humides et pleines d'amertume, debout dans la lumière, cachant derrière lui, en contre-jour, ses trois milliards de moitié de têtes de cons... Vomis, geins, chiale, crache tant que ça libère. Tes hurlements appellent la vie, qui te reviendra dans la gueule quand elle tendra ses bras, avec sa misère derrière son sourire apaisant, des perfs partout dans son corps épuisé, drainant l'oxygène de son angoisse, et tout le tralala qui compose déjà pour toi le décompte de tes dettes. 

Tu ne t'en doutes pas. Tu serres tes petits doigts, des algues pleines de nerfs et dépourvues d'intention, avec des os en sucre on dirait des sucettes, autour d'un majeur immense qui grattera son cul jusqu'à sa mort. Toi, tu crois qu'il est content, sans savoir d'où qu'elles viennent ces phalanges de géant et qui n'ont pas de langue. En fait, tout le long du chemin, elle non plus n'aura rien à te dire. 

Un cendrier dans la gorge, les cent pas reviennent, la fumée en moins. On a coupé le cordon. Passage à tabac quand il se penche sur toi. La case départ s'est refermée sur son lit de merde, dans la pisse et le sang.  Plus de billet de retour.  Du coup, te v'là pesé, emballé, prêt à poster ! Réjouis-toi et arrête de chialer, fais un effort. Ce n'était qu'un pot de terre pourrissant au soleil, dans l'attente d'aventures plus humaines pour la distraire de son malheur. Lève tes yeux encore aveugles et contemple plutôt, dans les tissus de néons qui dévorent tes prunelles, le faux air charmant de qui t'a mis en graine. Il ne te regarde pas, palpe et tâte cette fragile conserve de chair, toute molle, tiédasse et qui sent sa mère. Qu'on t'a rempli de sang, paraît-il, pour vous faire croire que t'étais du sien. Quel drame...

Quelques antécédents familiaux. Des tares en grappes, en veux-tu en voilà. Au moins une demi-centaine d'atavismes en héritage pour chaque grain de raisin. Des primitifs béats jusqu'à la grandeur d'âme, et des non-dits par kilomètres de bêtise distinguée. Pathologie : Moderne. Allergie, asthme, glaucome, cholestérol, hypertension, cancer, pied-bot moral, problèmes de couple, disputes diverses, alcool, crises et sainte-mère-dépression-priez-pour-nous-pauvres-cons, nausée et dégueuli. Fausse couche, mais toi tu t'en es tiré. A moins que ce ne soit là ta disgrâce. Absence paternelle en perspective. Hypotrophie musculaire. Rejet de la greffe pour tout patrimoine. 

L'amour de la vie ne prend pas. Mycoses et staphylocoques. Bientôt la Toussaint... Bronchites chroniques, déficiences immunitaires en pagaille. Rechute. Et contre chute. Surdose de cortisone. Le médecin ne rend pas l'homme meilleur. On comble le vide, qui ne se remplit pas de purée ou de petits pois, par l'attente quotidienne d'un vide encore plus tendre où l'on ne tomberait pas. Attention, petite tête. Réanimation, v'là que t'as la chiasse, retiens-toi un peu. Souris et ne discute pas. Direction la bulle en coin de case. Celle qu'on ne lira pas. Importante gastrite avec liquide de stase à jeun le matin. Vomir trois fois et petit déjeuner. Joli programme.

Hémoglobine 14,7 %, hématocrite 44%, ablation des végétations, diabolos dans les deux tympans, les poumons par terre, l’aorte qui baille à tire-larigot.  Un cafard sur l’épaule le plus souvent. C'est l'équilibre qui revient. Céréales, lait, blédine, œuf, tranche de jambon, riz au lait diététique et deux ou trois fourmis entre plusieurs médicaments... Quelques jus de fruit, rien de grave. Il jouera, peut-être autoritaire et têtu. Il aura une peluche Pluchepluche, un ours d'expériences chirurgicales, sparring-partner de close combat le week-end. Un peu malade, il découpera des chats, pensant disséquer le curé et le vagin de ses grand-mères. Revenir aux sources du mal. A qui la faute ?

Tout va bien, très bien, mieux que ça d’ailleurs ! Il est gourmand, très sociable, même s’il ne mange rien – c'est vrai – et qu'il ne voit personne. Tant pis s'il s'ennuie à la récréation. On s'en fout qu'il ne puisse pas respirer. Des marques pharmaceutiques te tendent aujourd'hui le sein de ta mère, sans qu'elle ne proteste une seule fois. Abreuves-y toi d'espoir jusqu'à l'ivresse, elles te paieront des études. Tu ne verras pas passer le bilan anonyme qui te ramène au néant, rejoindre l'oubli de ceux qui t'ont fait naître. Maintenant qu’on t’a validé, sois joyeux, gamin, et tiens-toi prêt. Le plus dur ici, c'est de rêver. 

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