Très portraits

Nicole Bastin

À l'école, Nathalie, la maîtresse de Mael, c'est LA championne, toutes catégories confondues, des arts plastiques.

Et le lundi, c'est le jour où elle expose les "œuvres d'art" de ses petits apprentis.
(Papa la soupçonne d'ailleurs de les reprendre un peu le weekend, histoire de mousser un peu tout le monde).


Hier, c'était lundi donc et Mael trépignait d'impatience à l'idée de nous montrer ses "portrèès" (comprendre ses "portraits" bien sûr). Il nous avait bassiné les oreilles avec, tout le weekend.
« Nathalie, elle nous a bien expliqué comment faire. Les sourciiils, les nariiines, les oreiiilles... Il faut rien oublier. »


Arrive le moment tant attendu. Fatidique, si j'ose dire.
On est à peine dans le hall de la maternelle que Mael se rue hors de sa classe.
« Maman, maman, tu vas voir, ils sont là ! »
Ca tombe bien, Maman est plus que disposée à admirer le travail de sa progéniture. Limite, elle n'attendait que ça, elle aussi (voir épisode précédent).


- « Regarde, là ! Il est là, le mien. Celui que j'ai fait. Il est beau, hein? C'est... »
- « Attends, me dis rien, je vais deviner. »

C'est le début de la semaine, Maman est joueuse.


« C'est.. Monsieur George ? Non ? Attends... Karim ? Non ? Euh.. Saïd, alors ? »

- « N'importe quoi ! C'est Nathalie. Tu vois pas ? »


Maman voit surtout qu'elle a fait la boulette de sa vie. D'autant que Nathalie est juste à côté, et qu'à son air pincé, il est évident qu'elle a tout écouté.

Elle essaye de rattraper le coup.


- « Mais oui, bien sûr ! Les lunettes, les cheveux bouclés, tout y est. C'est moi qui n'ai pas mes lunettes, pour le coup. »
Je précise que Maman n'en a jamais eues, des lunettes. Et personne n'est dupe.
Heureusement, Mael passe à autre chose. Une autre de ses "œuvres", accrochée au mur.


- « Et là ! Regarde, Maman ! Attention, celui-là, il est différent. C'est... »

- « Mais oui, je vois. Il est à la craie grasse, c'est ça ? C'est très joli. Tu l'as bien réussie, Nathalie. »
- « Mais ! C'est pas elle! Celui-là, c'est moi ! C'est un AU-TO-POR-TRÈÈS. »
Et Nathalie qui écoute toujours...


Maman, écarlate, se tourne vers elle avec un petit rire gêné.
- « Vous savez, je n'ai jamais été très physionomiste... »
- « Vous m'en direz tant. » lui répond la maitresse, qui a l'air d'avoir, entre-temps, avalé un balai tout entier.


En partant, dans la rue, Mael observe.
- « Dis donc, hein, je l'ai vue Nathalie. Elle fronçait les yeux, comme quand Nathan fait des bêtises. »

- « Oh, ça va ! C'est toi qui lui fais du poil au menton, et c'est moi qui passe pour la méchante ! »


J'essaye de rassurer Maman.
- « T'inquiète! Je suis sûr que demain, elle aura tout oublié. Et puis, d'autres parents doivent se gourer, c'est sûr. »
Maman me sourit.
- « C'est gentil. Merci, mon petit loup.»


Là, je ne peux pas m'en empêcher. C'est plus fort que moi.

- « Par contre, je te préviens, hein. Le prochain Pictionnary, t'es dans l'équipe de Violette ! »
- « Oh, je le crois pas ! Viens par ici, toi ! Fils indigne ! Se moquer comme ça... »
- « Ha, ha, ha, ha ! »


On est d'accord, techniquement, je ne me suis pas moqué. J'ai simplement tiré une conclusion logique.
Elle devrait être fière de moi, non ?


TIMothée



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© illustration, Clément Picon, 2015.


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