Tu devrais tendre plus souvent l’oreille en direction des Blanchots
pianitza
J'ai d'un geste de la main décidé de ne plus dormir tant que la neige n'aura pas modifié sa couleur.
Je la désire rose. Il est temps pour elle d'évoluer.
Ce rose, je l'ai collecté dans les lisières qui bordent les maisons voisines. Ces lisières qui pour nous, voisins, sont autant d'accès donnant sur les terriers de nos vadrouilleurs opportuns du silence, les lapins. Eux qui par leur apparente douceur nous déchargent le cœur de mille douleurs.
Sous les oiseaux qui divergent, nous accompagnent jusqu'au cimetière, on est tous, voisins, à portée de nous-même. On est tous, voisins, empaquetés dans le fond du froid. Les uns contre les autres. Comme des cons.
En attendant que le soleil revienne, les communes se contemplent et aboient. Elles se réchauffent avec les moyens du bord, la haine qu'est blanche comme neige. Elles essayent de satisfaire sans défaire le blanc du drapeau. C'est notre dame France qui vadrouille à pas lent dans les pas citoyens, qui maudit sans le dire… C'est elle qui m'a donné l'idée du rose, d'ailleurs… Un soir, discrètement, elle me l'a soufflé ! Désespérée ! Je vous le dit ! C'est elle qui m'a dit que, tout de même, ce serait mieux une neige couleur rose ! Ça humerait de la chaleur ! Elle me pousse, elle m'exhorte à mi-voix, gamine, me tend le pinceau et le pot de peinture… Toujours quand y'a personne !
Mais à chaque fois, quand l'excitation s'évanouit, ses doigts dégagent mon bras du drapeau… Et puis elle fait comme si rien ne s'était passé… Les lapins rentrent dans leurs terriers, déçus... Ç'aurait fait du bien, un peu de fantaisie… mais non… Les voisins pourraient gueuler… finalement… après réflexion… Faut pas pousser…
J'essaye de me dégager des lierres… C'est ma sensibilité de lapin qui s'effraie du froid conservatisme... Qui, libre, aimerait ainsi se border dans le creux des lèvres de dame France sans plus frissonner son immobilité de femme au foyer… sans plus frissonner ses fixations de stalactites…
C'est au coin de la cheminée que je contemple toutes ses saisons, toutes ses photos qui ont précédé ma naissance. Du noir et du blanc, des papis à moustache drue, des regards fixes qui, on dirait parfois, exhalent une odeur de bois sec…
Je m'égare dans le passé côté jupe… Côté pureté oubliée… en me demandant si par hasard les lapins ne seraient pas voués à subir l'hiver sans plus contester le blanc. Si par hasard le Blanchot n'aurait pas ses défauts chauvins.
C'est sous les murmures du marbre, les tîntes des casseroles, que j'hume l'inconnu, le passé et ses histoires pleines de clous. C'est dans mes espaces griffonnés, entre mille chiffons sales, que je retrouve dame France tordue dans son rôle de statue. Tordue dans son rôle de représentation. Par souci du voisinage…
C'est dans son ombre, à ma France, que grouillent en vous, en moi, partout, les échardes de notre enfance. Elles roulent fragiles sur les pattes des Blanchots… nostalgiques.
Je me vois déjà, demain, pain sous le bras. La mie s'agitant entre mes doigts, le café s'amarrant au bord de mes lèvres… Dans ma gadoue, ma boue, mes arbres, mes tempêtes, l'heure cherchera une énième fois sa définition. Elle veut du soleil en même temps qu'elle en a marre des plages et de leurs substituts. L'heure en a marre des parasols dorés. Elle veut de la grisaille, pour se retrouver, pour profiter des nuages et se répéter, immobile, que maintenant, oui maintenant ça suffit !
Pour que tout soit parfait, que l'heure soit tranquille, il lui faudrait en fait été et hiver en même temps ! L'équilibre tournerait rose, alors !
France, quand tu auras cessé de chasser mes mains de peintre, quand tu t'apprêteras à basculer du blanc au rose, crois-moi… un pas entre toi et moi sera fait. Les papillons s'éveilleront en Décembre et sans s'agacer, sans rien, nos tours, nos fleuves et nos châteaux déverseront leur froide chaleur. Hiver et été danseront dans la même saison ! Cette fois vêtue de ton rose, du caractère de nos femmes, tu ne nous parleras plus de tyrannie, de cohorte et de mercenaires. Apaisée et amoureuse, tu nous parleras des semences qui dorment dans les lisières, des peaux laiteuses et raffermies des princesses anonymes qui attendent… Tu nous parleras de paix !
France, je dors depuis vingt-six ans dans ton sein. J'entends tes gémissements dans la cale, ton estomac qui, toujours discrètement, appelle à l'aide…
Tu m'apparais si douce, si ocre quand les hommes daignent bien entre les pavés, les terrasses, laissés surgir tes lumières. Tes maux, tu les contiens, pudique, sous nos sévères dentelles. Cela afin de ne jamais nous brusquer… Cela afin de nous apprendre…
Tu es sous la plante de mes pieds cette étrange plume qui parfois chatouille, parfois écorche…
Je ne sais comment me contenir quand dans les lisières je me penche et effleure du nez ta terre fraîche et accueillante. Il me semble que je n'ai plus d'autres choix que celui de pleurer. Me cambrer, éphèbe, sous tes fleurs de couleur. Culpabiliser de toutes mes plaintes, toutes mes jérémiades, toi qui sans cesse t'adapte aux aléas. Toi que sans cesse l'on torture de mille revendications…
Je n'étais pas né, mais je me rappelle de ton souffle à la bastille. Tes sabots qui remuaient les terres paysannes. Je me rappelle de ton nécessaire orgueil, ton esprit de vouloir renverser et rétablir. Je me rappelle ton statut qui est statut de pays. Je me rappelle que tu n'es qu'un nom, qu'une frontière, mais que tu veux y croire. Comme les lapins.
J'ai contourné les autoroutes, les écrans, pour m'en aller fouler tes vastes collines à la recherche de ce souffle égaré… Mais je n'ai trouvé seules, entre buissons et épines, que quelques cages abandonnées... Leurs barreaux me laissaient des engelures aux doigts…
Peut-être est-ce moi, au fond, mes couleurs, les teintes de la vie qui se sont grisées ? Est-ce moi qui ne cherche plus à m'échapper ?
Je t'ai demandé pourquoi tu t'accrochais à la virginité de Marie mais tu ne m'as pas répondu. Un vent a roulé sur mes déhanchements…
J'aimerais parfois que tu vois mon regard de lune quand il cherche dans le fond de tes décors les objets d'avants, tes vieux meubles qui rugissent à travers le temps comme le coq illumine nos campagnes de sa gorge…
Dame France, je me suis désintéressé de tes matins garnis de croissants. Tes matins de croissance…
Tu devrais tendre plus souvent l'oreille en direction des Blanchots.
Non, pas du tout, vos mots, je n'ai pas les mots pour le coup de cœur.
· Il y a presque 11 ans ·maya-ben-oui
No comment.
· Il y a presque 11 ans ·maya-ben-oui
Zut. J'ai provoqué tant de dégoût que ça ? ^^
· Il y a presque 11 ans ·pianitza