Tu étais elle et es devenue toi

franekbalboa

Je l'ai observée tant de fois.
La première fois que je l'ai regardée c'était sur ce pont. J'étais bêtement assis sur la grille, regardant en bas, perdu dans mes pensées, et elle est arrivée.
Elle s'est hissée péniblement à côté de moi.
Je l'avais vue plusieurs fois, mais jamais je ne l'avais regardée. Son regard était profond et doux, ses cheveux étaient bercés par le vent. Ses vêtements trop amples pour ses bras laissaient l'impression désagréable d'un fantôme. Cependant sa force étincelait dans la soirée qui s'annonçait douce en ce mois d'octobre.
On a parlé, je ne sais plus combien de temps, de tas de choses.
Des bêtises surtout. Je n'avais pas le sourire ce soir là, j'étais préoccupé, mais cette soudaine apparition et cette démonstration de douceur m'a tout fait oublier, en quelques minutes à peine.
Nous sommes repartis de longues heures après, je l'ai raccompagnée jusqu'à chez elle. D'inconnue à amie, une soirée qu'on oublie pas, tout comme tous ces moments qu'on a pus vivre. On en a vus des saletés. Elle plus que moi il me semble, je me disais chaque fois qu'elle était bien plus forte que tout.
Sa puissance aurait pu faire plier une montagne, malheureusement pas ce qui la rongeait de l'intérieur.
Mois après moi, son souffle devint sifflante, sa toux et ses soins toujours plus intenses, je prenais le temps d'aller lui rendre visite, j'étais toujours accueilli avec le sourire. Chaque fois un mot doux, comme une caresse, un sourire brillant, comme agrafé sur cette mine trop fatiguée, épuisée par la terrible odeur de la maladie, elle semblait pourtant tellement faite pour la vie.
C'était elle, cette sœur, celle qui s'est montrée comme une évidence... Toi.
Je me souviens de tout, de ces mots, de ces dessins, de ces phrases grattées sur ces feuilles aussi blanches que les murs, de ces mots que tu aimais écrire, comme s'ils t'abreuvaient de leur force en noircissant la page.
"Ténacité.
Espoir.
Force." 
Quelque part je m'en inspire toujours. Même si la main qui griffait le papier n'est plus, tu es toujours là quelque part. Tes bras trop minces qui appuient sur mon torse, alors que je me suis encore endormi sur le fauteuil de ta chambre.
Nombreuses furent mes visites, j'en ai délaissé certaines choses. Mais je ne regrette rien.
Tout comme tu m'as dit que je t'avais sauvé, tu l'as aussi fait pour moi. La douceur et l'incroyable force de caractère que tu avais, je crois que j'en ai récupéré une partie. Ou peut-être as-tu simplement réussi à l'éveiller... Je l'ignore.
Aujourd'hui, tu ne souffres plus.
Fini de t'étouffer et tousser à longueur de journée, fini les injections, les aérosols, les médecins, la chambre blanche.
Tu as rejoint un endroit où les affres de la maladie t'ont abandonné.
Enfin le repos, toi qui a tant donné, tu n'as pas reçu tout ce qui aurait dû être à toi...
Je te sens parfois derrière moi, comme ce soir là, ce soir où tu es venue t'asseoir, ce soir où tu as sauvé l'effrayé gamin que j'étais... Et j'espère que tu souris, en me regardant, j'espère que tu te reposes, tu le mérites plus que tout autre.
Je continuerai à me souvenir... Je viendrai bientôt là où tes cendres ont été dispersées, histoire de voir si t'avais raison, si cette plage est toujours aussi belle sans ton sourire.

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