Instants de vie(3)

Ellie

"Le bonheur est éphémère, si fragile, si vulnérable qu'il suffit de trois fois rien pour l'effrayer et le voir fuir à jamais."

Toute à l'heure j'ai vu une amie, et je sais qu'en ce moment ça va pas fort, je le sens. Je lui ai donc proposé qu'on se voit un petit moment, juste comme ça, pour qu'elle sache que si elle avait besoin de parler quelqu'un serait là pour l'écouter, qu'elle n'était pas seule. 

Nous étions alors tranquillement attablées à une table en train de siroter un café, et puis soudainement elle s'est effondrée. Les larmes ont coulé, et puis elle s'est immédiatement repris, a essuyé ses larmes et s'est excusée. Sa réaction m'a profondément bouleversé.

Parce que j'ai pris conscience ces dernières années que de plus en plus de personnes culpabilisaient de ne pas se sentir bien. Que trop peu osaient dire ces mots simples : "je ne vais pas bien en ce moment" par peur d'être jugées, ou que leurs peines soient minimalisées avec des phrases du genre "Allons ne sois pas triste, il y a tellement pire". 

Je lui ai tout de même tendu un mouchoir, et je n'ai rien ajouté de plus que cette phrase "je suis là". Je n'attendais rien d'elle, et nous aurions très bien pu continuer à boire notre café en silence si elle l'avait souhaité. Parfois, nous avons juste besoin de sentir la présence d'une personne à nos côtés pour nous sentir mieux. Je ne le sais que trop bien.  

Quelques minutes se sont écoulées, et elle m'a alors confié qu'en ce moment elle n'arrivait plus à avancer, qu'elle n'en avait plus la force tout simplement. Et qu'elle se détestait de se voir ainsi, de constater que le linge sale s'entassait dans la corbeille, que le frigo restait vide la plupart du temps, et que parfois même aller prendre une douche était un vrai challenge, sans parler du fait de devoir se lever le matin pour aller à la fac. Elle a ensuite ponctué son récit par une terrible phrase "Il n'y a même pas de vraies raisons à cela, alors je ne devrai pas être comme ça et me plaindre pour rien."

Ca m'a fait mal. Et puis :

- "Tu sais, y a des phases comme ça, à vide. Ou on a l'impression d'être plongé indéfiniment dans un état léthargique, sans que rien ni personne ne puisse y changer quelque chose. Mais faut pas rester plantée là en se regardant crever lentement, non, faut que tu aimes ce que tu es, et si tu ne sais pas le faire, je t'apprendrai, je le ferai pour toi et j'arriverai à te montrer que tu as une belle âme, j'suis prête à relever le défi. Tu as déjà fait un pas énorme, tu sais. Tu as été assez forte pour mettre des mots sur ce qui n'allait pas, à mon tour de te tendre la main, de t'épauler. 

Alors, vas y, appelle moi à n'importe quelle heure, écris moi des sms sous n'importe quel prétexte, envoie moi des gifs ridicules de pandas en train de rouler si tu veux. Mais ne reste pas seule. 

Demande moi de venir chez toi juste pour ouvrir les fenêtres et laisser quelques rayons de soleil entrer en toi. 

Demande moi de t'apporter à manger même si c'est que des trucs pas diets on s'en fout tant que ça te fait plaisir.

Demande moi de t'aider à faire le ménage, de te lire des histoires, de te traîner de force à un concert pour t'obliger à danser, de te faire gouter un cocktail alcoolisé même s'il est que 14h. 

Demande moi de jouer les avocats pour t'aider dans tes simulations de procès même si mon anglais se limite à "do you want a cake ?" Promis je ferai des efforts, et qui sait, peut être que j'arriverai même à te voler quelques éclats de rire. 

Demande moi n'importe quoi, mais ne reste pas emprisonnée de toi même, surtout pas, parce que ça va aller."

Tu as alors esquissé un bref sourire en me demandant si j'avais lu le fameux article qui s'intitulait : "comment réconforter un ami dépressif."

- Alors non, je n'ai pas lu cet article, et je trouve ça effroyable qu'on arrive à élaborer des modes d'emplois pour ce genre de chose. Comme si, apporter du réconfort demandait des techniques particulières, comme s'il fallait se forcer quelque part, comme si ce n'était pas naturel. C'est là qu'on constate la décadence de notre humanité, on ne sait plus désormais faire preuve d'humanité, de solidarité envers les autres. 

Nous passons notre temps sur la toile, à regarder des vidéos qui se veulent émouvantes "regardez ce héros qui saute dans l'eau glacée pour sauver un chaton" et pourtant, à côté de ça nous sommes incapables de sauver nos proches lorsqu'ils sont trop près du gouffre. On regarde des personnes se noyer peu à peu dans le chagrin et pourtant on ne fait rien pour les sauver de la noyade. Y a aucune bouée de secours, comme si on se devait de toujours garder le sourire pour pas faire chier les autres avec nos petits tracas de la vie quotidienne. Comme si exposer nos faiblesses nous rendait moins beau, moins crédible. Et parfois c'est le regard des autres qui fait le plus de mal. Et si, on essaye de sortir de ce cercle là, ça peut vite paraître déplacé. Mais tu sais quoi, je m'en fous. 

Je m'en fous de paraître un peu folle à sourire à de parfaits inconnus dans la rue, de prendre le bras d'un papy bloqué à un passage piéton, ou encore de dire à une personne que je connais à peine qu'elle est très belle. Parce que de nombreuses fois, se sont ce genre de sourires qui m'ont sauvé de moi même. 


  • j'adhère totalement! je vis exactement la même réalité. Et c'est beau comme vous écrivez! merci

    · Il y a environ 7 ans ·
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    nehara

    • Merci beaucoup à vous, je vous souhaite plein de courage aussi pour surmonter vos épreuves !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Images (2)

      Ellie

  • Texte sincère. La dépression sans objet touche beaucoup de personnes. Elle range notre volonté de vivre à des velléités de vie. Une oreille empathique peut sauver par la libération de la parole. Maintenant on délègue tout à des pros, les curés pour les croyants aux âmes malades, les psys pour les névrosés au mal de vivre. Nous sommes dans une Société de spécialistes.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Je vous remercie de votre lecture attentive, et je partage votre avis, ça en devient terriblement triste...

      · Il y a environ 7 ans ·
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      Ellie

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