Tumuc-Humac

rotureau

Ma première mission en pays Wayana, à la découverte de la forêt guyanaise et de ses innombrables curiosités.

Un écho, les réponses des atèles aux cris de Domingo, notre guide. Entre les lianes tortues et les ficus étrangleurs, nos regards s'attardent, ici sur un philodendron vibrant au passage furtif d'un singe hurleur, là sur une orchidée translucide, douillet logis d'une dendrobate. Le jeune vendéen que je suis est subjugué par le fragile équilibre de cette forêt ombrophile où tout reste à découvrir. Par où commencer ? Plusieurs semaines se sont écoulées depuis notre arrivée. Ma mission entomologique se déroule comme prévu, et aujourd'hui, Domingo m'a invité au village, au cœur de la réserve naturelle. C'est la première fois. Je suis à la fois honoré, impatient et curieux.

Nous déposons la pirogue monoxyle sur un rocher, évitant le tumulte d'un saut bouillonnant. Un épais voile brumeux s'abat irrésistiblement, nébulisé par un souffle chaud. Soudain, une ondée gifle mon torse d'un trait vif. Où sont les aras qui happent le vent d'un battement d'aile, leur cycle majestueux oscillant en une onde apaisante, le mouvement d'une palme répondant à leur passage ? Je m'enfonce dans la masse des végétaux conglutinés en une arabesque chlorophyllienne. L'air est lourd, moite, gluant de la sueur des épiphytes échauffés par le passage des insectes grouillants. Il n'est pas de lieu aussi vivant que cet épais bouillon de verdure, frémissant ponctuellement, induré de rouge vif et tachant.

Ici, la terre tiède excrète de toute part son sérum de fertilité telle une cataracte nourricière. Elle domine son ouvrage, ses édifices ligneux, ses volutes indomptables, ses embrassades exubérantes. Elle attaque le ciel de ses flèches innombrables, de ses plans tissulaires incongrus qui s'acheminent hasardeusement jusqu'à lui. Nous évoluons maintenant dans un univers empli d'un léger coton sonore suave et envoûtant. Comme les rayons s'amenuisent, nous pressons le pas.

Au village, on allume le feu. Les femmes s'affairent autour, aux rythmes des vifs claquements du bois canon incandescent. Ce soir, un pécari rôtira sur le redoutable brasier. Des hommes dépècent l'animal encore tiède, tandis que d'autres tendent les peaux de serpents sur les fûts balafrés des tambours en sifflant en chœur une mélopée remarquablement scandée. Un enfant, enduit de roucou et paré d'un kalimbé trop large, sautille après un papillon à peine échappé de sa chrysalide fluorescente. Une joie frémissante naît de cette harmonieuse agitation. Nous approchons, impatients. Que l'esprit de fête qui s'est établi s'épanouisse et retentisse par delà les monts Tumuc-Humac. Chants de la forêt auxquels répondent les chants de la forêt, accelerando montant vers la voûte céleste, vers un albédo lunaire empreint de sérénité. L'obscure clarté lunaire ainsi produite, et infusée de vert par la canopée, nous imprègne. J'essaie de suivre Domingo qui se faufile entre les pièges envenimés de la forêt, déjouant les embuscades ligneuses. J'aperçois le feu. La mystérieuse flamme qui rassemble depuis la nuit des temps. Nous y sommes enfin.  

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