Un après-midi chez Papy

marethyu

Un petit garçon obligé d'aller passer l'après-midi chez son grand-père est sûr de s'ennuyer. Mais il est loin d'imaginer ce que son Papy va lui faire découvrir et l'effet que cela produira sur lui.

          Maman toqua à la porte de ma chambre à huit heures du
matin pour me réveiller.
- Debout mon chéri, il est l'heure.
- C'est les vacances Maman ! Je veux dormir !
- Tu sais très bien que l'on va voir Papy aujourd'hui. Et comme il n'habite pas tout près, il faut se lever tôt pour pouvoir passer un peu de temps avec lui. Allez, viens vite.
          Je me levai de mauvaise grâce et descendis déjeuner.
- On l'a vu il n'y a pas longtemps... maugréai-je en m'asseyant à table.
- Il est venu à l'anniversaire de tes sept ans, c'est vrai, mais cela fait déjà trois mois. Il aimerait bien nous voir un peu plus souvent.
- Mais je m'ennuie chez lui ! On ne fait rien de la journée... Je suis vraiment obligé de venir ?
- Oui tu es obligé. Maintenant ça suffit les protestations. Dépêche-toi de manger, on part dès que possible.

          Le trajet en voiture jusqu'à la maison de Papy fut long et ennuyeux. Je n'avais pas envie d'aller perdre un après-midi entier chez mon grand-père. Je l'adorais, mais j'avais des choses plus intéressantes à faire. Au bout d'une heure et demie, Maman se gara dans l'allée, devant la maison de Papy. Nous descendîmes de la voiture et allâmes sonner à la porte d'entrée. Mon grand-père nous ouvrit avec un grand sourire. Il était visiblement ravi de nous voir.
- Entrez, entrez, nous dit-il. Déchaussez-vous, vous serez plus à l'aise...
          Après nous avoir débarrassés de nos manteaux, Papy nous conduisit dans le salon.
- Je suis vraiment content de vous voir ! Comment ça va ? Que tu as grandi, Eric ! En à peine trois mois, c'est incroyable !
- Il a fait une petite poussée de croissance, acquiesça ma mère.
- Asseyons-nous, nous serons mieux, proposa mon grand-père en désignant les fauteuils.
         Je voyais venir à grands pas les discussions interminables entre ma mère et Papy, dont je me sentais exclu et auxquelles je ne comprenais de toute façon pas grand chose. « Et c'est parti pour une longue sieste, me dis-je ». Mais contre toute attente, ma mère déclina l'offre.
- Tu ne veux pas que j'aille te faire quelques courses ? Je sais que tu as du mal à conduire en ce moment avec tes douleurs. Ça t'aiderait. Tu as juste à me faire une petite liste et j'irai t'acheter ce dont tu as besoin.
- Non non, ne te dérange pas. Je me débrouillerai, ne t'inquiète pas...
- Allons, ne sois pas têtu. Je ferai vite. Et puis ça te permettra de passer un peu de temps seul avec Eric...
          Mon grand-père parut alors examiner la proposition sous un autre angle. Il accepta avec un sourire.
- D'accord, tu es bien gentille. Je vais te faire une petite liste.

         Ma mère s'en alla au supermarché en nous recommandant de bien nous amuser. Une fois la voiture disparue au bout de la rue, je m'apprêtais à rentrer dans la maison, quand Papy arrêta mon geste.
- Il fait vraiment très beau aujourd'hui. Tu ne veux pas qu'on reste un peu dehors ?
          Je levai le nez au ciel. Il était particulièrement bleu. Pas un seul nuage pour tacher toute l'étendue de la voûte. De plus, il faisait chaud, et l'air était bon.
- Pourquoi pas, répondis-je. Tu veux qu'on aille se promener ?
- Je pensais plutôt commencer par te montrer mon jardin. En cette saison, les fleurs sont magnifiques et odorantes.

          Il m'entraîna à l'arrière de la maison. Je n'étais jamais venu ici. Il y avait, dissimulé par la bâtisse, un très grand jardin, qui s'étendait tout en longueur. Il était rempli de fleurs de toutes les couleurs, de buissons taillés en formes diverses, et d'arbres. Une allée serpentait dans l'ensemble harmonieusement disposé.
- C'est toi qui as créé tout ça ? Demandai-je, émerveillé par ce que je voyais.
- Oui, c'est moi.
- C'est vraiment époustouflant !
- Merci, me répondit-il. Mais tu sais, ajouta-t-il, faussement modeste, ce n'est pas grand chose... il suffit d'avoir la main verte.
- La main verte ? Répétai-je, sans comprendre ce qu'il voulait dire.
- C'est une expression imagée. Elle signifie « savoir jardiner et être doué pour ça ».
- Alors, oui, tu as la main verte !
          Papy sourit et me demanda :
- Je te fais visiter ?
          J'acceptai, enthousiaste, et il commença à avancer le long de l'allée. Il me nommait, au fur et à mesure que nous arrivions à leur hauteur, les fleurs qu'il avait plantées.
- Là, tu vois, ce sont des primevères. Il y en a de plusieurs couleurs : des jaunes, des violettes, des blanches... c'est joli n'est-ce pas ?
          Je répondais « oui » à tout ce qu'il me disait. Je me sentais gagné peu à peu par sa passion des jardins. Papy me montra du doigt une plante aux longues tiges vertes qui se terminaient par des épis de fleurs violettes.
- On dirait plein de cotons-tiges... signalai-je.
          Ma remarque le fit rire.
- Tu sais ce que c'est ?
          Je fis non de la tête.
- C'est de la lavande. Ça sent très bon. Approche-toi, tu vas voir...
      Je me penchai au dessus de la plante et humai délicatement. Une douce odeur m'envahit et je frissonnai.
- On s'en sert pour faire des parfums, m'enseigna Papy, content de ma réaction.
- Tu fais des parfums, toi ?
- Non, moi je ne fais pas de parfums, sourit mon grand-père.
          Je remarquai alors une plante à côté de la lavande.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Quoi donc ?
- Cette plante, dis-je en la désignant.
          Elle avait des tiges légèrement rouges, de grandes feuilles vertes et des petites fleurs blanches.
- Ça ? C'est une Renouée du Japon. Une cochonnerie, si tu veux mon avis.
- Moi je la trouve assez jolie...
- A ce stade-là, oui. Mais c'est une plante envahissante qui peut atteindre quatre mètres de haut et s'étendre partout autour d'elle. De quoi détruire entièrement mon jardin.
- Mais c'est horrible ! m'exclamai-je.
- Oui, et c'est pour ça que je les retire dès que j'en vois une.
          Nous continuâmes notre visite et arrivâmes à un endroit que mon grand-père semblait visiblement impatient de me montrer.
- Des roses ! m'écriai-je en voyant les plantes. Des tas de roses !
- Elles sont belles, pas vrai ? Elles me demandent beaucoup de temps, mais cela me procure tellement de satisfaction quand je les vois comme ça.
- Combien y en a-t-il ?
- Euh... beaucoup. J'en ai un bosquet entier avec toutes les couleurs.
- Elles sont incroyablement belles!
- Tiens, j'ai une idée. Pourquoi nous n'irions pas cueillir une rose pour ta mère, quand elle reviendra tout-à-l'heure ?
- Je trouve que c'est une bonne idée. Mais une rose rouge alors...
- Comme tu veux, mon garçon.
        A quelques mètres des roses, après quelques fleurs colorées, Papy avait creusé une petite mare. Au bord, sous un jeune arbre, il avait placé un banc en pierre.
- J'aime bien venir lire ici, me dit-il en couvant le lieu du regard. On s'y sent bien, c'est vraiment relaxant.
- Tu as vraiment le plus beau des jardins !
- Disons que je m'en occupe beaucoup. Enfin... depuis quelques temps, avec mes douleurs, ce n'est plus pareil... Mais comme je suis à la retraite, je peux m'occuper de mes plantes quand il le faut et aussi longtemps que je le dois pour avoir ce résultat.
- Oh ! m'exclamai-je en apercevant soudain du mouvement dans l'eau. Il y a des poissons !
- Deux poissons, oui. Viens, accroupissons-nous, nous les verrons mieux.
          Nous nous penchâmes au-dessus de la mare, guettant les poissons.
- Fais attention de ne pas tomber, me dit prudemment Papy, voyant que je me penchais avec un peu trop d'enthousiasme.
          Je me redressai légèrement pour ne pas l'inquiéter.
- Sais-tu comment je les appelle ? me demanda alors mon grand-père.
- Non, dis-je, curieux.
- Je les appelle André et Le Nôtre.
- Pourquoi, il y en a un qui n'est pas à nous ?
          Mon grand-père éclata de rire.
- Pas du tout, m'expliqua-t-il en se tenant les côtes pour contenir son fou rire. A eux deux, ils forment le nom d'André Le Nôtre. C'était le jardinier de Louis XIV. Il a conçu les jardins de Versailles, une vraie merveille !
- Je ne le connais pas.
- Tu l'étudieras bientôt à l'école.
          Une fois que mon grand-père se fut remis de ses émotions, il me montra une plante qui se trouvait à côté de la mare.
- C'est une bruyère à quatre angles. On l'appelle aussi Erica Tretralis. Elle est sympa non ? Le rose va bien avec l'atmosphère de l'endroit...
- Pourquoi on dit qu'elle a quatre angles ? demandai-je en l'examinant. Je n'en vois aucun.
- Eh bien... euh... tenta de me répondre Papy.
          Il réfléchit quelques instants puis me dit :
- Nous n'avons qu'à l'appeler Erica Tretralis, d'accord ?
- Je l'aime bien. Elle a presque le même nom que moi.
- Tiens. C'est vrai ça... Eh bien nous n'avons qu'à en faire ton emblème, m'annonça-t-il avec un clin d'œil.
          Il cueillit une des fleurs d'un geste magistral, et tenta de l'accrocher cérémonieusement à la boutonnière de ma chemise. Il batailla quelques instants en essayant de plier la tige selon ses exigences, puis, n'y arrivant pas, il laissa tomber.
- Bon... bah tant pis, dit-il, un peu dépité.
         Il mit la fleur dans sa poche et nous continuâmes à avancer le long de l'allée. Nous avions à présent fait plus de la moitié du chemin, mais le jardin réservait encore des surprises. A un moment, je tombai nez à nez avec un buisson taillé en forme de cœur. Mon grand-père, un peu gêné, tenta de se justifier.
- C'est pour me rappeler le romantisme de mes jeunes années. Quand j'avais la vingtaine. J'avais du succès à l'époque, tu sais ?
          J'acquiesçai sans savoir, pour lui faire plaisir.
- Nous arrivons bientôt à la fin de la visite, me prévint Papy.
- C'est dommage...
          Je m'extasiai encore devant quelques fleurs, dont mon grand-père se fit un plaisir de m'apprendre le nom, puis nous arrivâmes au bout de l'allée, qui aboutissait à la porte d'entrée, notre point de départ.
- Et voilà ! s'exclama Papy. La visite est terminée... N'oubliez pas le guide !
          Je lui fis un gros bisou sur la joue, et nous entrâmes dans la maison.

          Nous passâmes la fin de l'après-midi à discuter de plantes, de fleurs et de jardins. Papy avait sorti de sa bibliothèque un gros livre qui traitait du sujet, et, penchés tous deux sur l'énorme ouvrage, nous contemplions toutes les espèces dont les photos étaient imprimées.

          Maman rentra enfin aux alentours de cinq heures. Nous entendîmes sa voiture se garer dans l'allée, et Papy, avant qu'elle n'entre dans la maison, se dépêcha d'aller dans le jardin avec un sécateur. Maman arriva dans le salon avec un sac de courses dans chaque main. Elle nous trouva assis à table, sagement penchés sur le livre.
- Je suis vraiment désolée d'avoir été aussi longue, s'excusa ma mère. J'avais peu de choses à acheter, mais il y avait un monde fou dans le magasin et à la caisse. Et je ne vous parle pas des bouchons sur la route... Enfin bon ! Ce n'est pas grave. Vous vous êtes bien amusés ?
          Je hochai énergiquement la tête.
- Nous avons un petit cadeau pour toi, lui annonça Papy.
- Vraiment ? demanda Maman, curieuse.
          Grand-père tendit le bras. Il avait coupé non pas une, mais trois superbes roses rouges.
- Des roses de ton jardin ! s'exclama ma mère. Elles sont vraiment magnifiques ! Mais tu n'aurais pas dû, c'est dommage...
- Taratata ! l'interrompit Papy. Mes fleurs seront mieux dans tes bras que dans mon jardin.
          Et il lui mit les fleurs dans la main.
- Merci beaucoup, répondit Maman, presque timidement.

A six heures, j'avais raconté à ma mère tout ce qu'on avait vu pendant son absence. Il commençait à se faire tard, et elle proposa de rentrer.
- Déjà ? demandai-je.
          Maman sourit. Elle se remémorait sans doute le caprice que j'avais fait le matin même pour ne pas venir.
- Oui, on a de la route à faire.
- Tiens, me dit Papy en me tendant le gros livre. Ça t'occupera pendant le voyage.
          Je le remerciai en l'embrassant, puis nous allâmes dans l'entrée remettre chaussures et manteaux. Maman et moi nous dirigeâmes vers la voiture, moi le livre sous le bras et elle ses roses à la main.
- Quand est-ce qu'on pourra revenir ? demandai-je.
- Quand tu veux ! me cria Papy depuis la porte d'entrée.
- Tu es en vacances, on pourra revenir dans la semaine, si tu veux, me dit Maman.
- D'accord !

          Sur le chemin du retour, je repensai à ce que j'avais dit le matin en me levant. Je me rendis compte à quel point je m'étais trompé. Jamais je n'avais passé un après-midi aussi extraordinaire.

          Désormais, ce que je détestais auparavant avait laissé la place à un sentiment d'impatience. Je n'attendais plus qu'une chose à présent : le prochain après-midi chez Papy !

  • Génial, j'arrivais vraiment bien à visualiser la scène :)

    · Il y a environ 9 ans ·
    Fond ecran oiseau bleu1

    ninoche

    • merci, au moment décrire ce texte, j'avais des images très claires dans la tête, et j'ai essayé de les décrire au mieux :)

      · Il y a presque 9 ans ·
      Glamdring detail

      marethyu

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