Un après-midi de retrouvailles

petisaintleu

C'est génial d'aller jouer les mercredis après-midi chez les autres. Vous découvrez un autre univers et nul n'est besoin d'aller très loin pour trouver un ailleurs. L'exotisme n'est qu'à quelques pâtés de maisons.

Suite à l'invitation lancée par mon copain, je m'y préparais. J'espérais pouvoir mettre mes plus beaux habits du dimanche pour l'épater et faire mon crâneur. Jean-Christophe n'était jamais avare pour mettre à disposition ses jouets. J'étais donc certain de pouvoir jouer au circuit 24. Mieux encore, j'espérais qu'il me prête son Raydeen, l'un des trois Shoguns, invincible héros de la planète Terre et armé de cinq missiles Delta, d'un bouclier-épée et d'un poing missile volant. Je l'avais vu dans un catalogue de Noël et coûtait une fortune, quatre-vingt-quinze francs.

De plus, sa mère était la directrice de l'école maternelle. Nous aurions alors toute la cour de récréation pour nous et le loisir de taper dans un ballon sans le risque que la maîtresse ne nous le confisque.

En classe, nous étions en concurrence pour la troisième marche du podium. Les deux premières restaient désespérément occupées par les biens nommés Sophie Douay et Philippe Gros. Nous n'avions alors d'autre choix que jouer les seconds couteaux. C'était important pour lui de faire plaisir à ses parents et d'obtenir des accessits. Moi, je m'en moquais. Mon papa ne s'occupait jamais de mes devoirs, trop occupé à s'avachir devant la télé, à préparer un bon coup dont il me régalerait du plat de sa main. Je me contentais d'être en roue libre et de profiter des connaissances acquises dans le Quid. Je pouvais citer toutes les capitales, tous les rois de France et, s'il le fallait, donner quelques précisions de botanique.

Personne n'était jamais venu chez moi ; pour jouer à quoi d'ailleurs ? Ma seule consolation était que nous habitions au-dessus de la banque, une imposante bâtisse en plein centre-ville. J'étais très fier quand je sonnais et que les passants jetaient un regard sur l'immensité des étages supérieurs. J'avais la consolation qu'ils s'imaginent une vie confortable loin de leur médiocre quotidien.

Je ne suis jamais allé jouer chez Jean-Christophe, ni chez Eric ou Hervé. Sur le principe, il n'y avait pas de refus formel, juste quelques conditions qui étaient insurmontables du haut de mes dix ans. Je n'ai jamais osé demander que l'invitation soit faite par écrit et signée des parents, m'imaginer venir avec mes pantoufles et partir après seulement une heure de distraction.

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