Un autre ailleurs, sur les pas d’Esther

Esther Ka

La première nouvelle d'Un Autre Ailleurs... Esther a vécu de nombreuses aventures, de nombreuses pages de sa vie. Dans son réel irréel qui la porte et l’emporte vers Un Autre Ailleurs.

Esther a vécu de nombreuses aventures, de nombreuses pages de sa vie. Dans son réel irréel qui la porte et l'emporte vers Un Autre Ailleurs, elle voit de ses yeux de femme, sa vie se dérouler sous un regard éphémère, mais des images se tatouent dans son cœur. Au plus profond de son esprit, Esther garde toujours un jardin secret.


Ce matin, Esther n'en pouvait plus, Elle tournait en rond dans l'appartement de Johann. Il était reparti en reportage, la bibliothèque avait fermé ses portes le temps des vacances. L'air était toujours moite, aucune fraîcheur n'était annoncée à la radio qui grésillait sur le bord de la table. Elle se servit un café et assise sur une chaise bancale, son regard fit le tour de la pièce. Ses yeux ne voyaient rien qui puisse la retenir ici, sans même finir sa tasse, elle se leva si vivement que la chaise bascula derrière elle. Esther étouffait, elle avait besoin de partir, loin d'ici. Rassemblant ses maigres affaires, ses châles de soie, ses livres et ses crayons, son ordinateur portable, Elle claqua la porte derrière elle.

Esther ne réfléchit pas à Johann, leurs communications quand il était en reportage étaient rares. Il comprendrait, ce n'était pas la première ni la dernière fois qu'Esther s'enfuyait.

Son sac sur l'épaule, Esther se dirigea vers la gare la plus proche, sans regarder la destination, elle prit un billet et monta dans le train, l'air était lourd, les places nombreuses. Peu de monde circulait ce jour-là.

Elle eut tout le loisir de choisir le siège qui lui convenait le mieux, en bout de wagon, près de la fenêtre. Elle attendit quelques minutes avant que la locomotive ne démarre, et laissa son regard suivre le mouvement du paysage qui défilait à ses côtés.

Le jardin secret d'Esther apparut au fond de son esprit. Un Autre Ailleurs se dessinait au fond de son cœur. Par les champs jaunis des blés ondoyants sous le vent, Elle sentit un frisson parcourir la peau de ses bras. Un animal courait le long des rails, son pelage brillant comme de la neige immaculée, lançait des milliers de gouttelettes de diamants qui s'envolaient jusqu'à mouiller le visage d'Esther. Cette sensation de fraîcheur mêlée à l'air chaud du wagon la baigna dans une torpeur proche de l'endormissement.

Lancés dans une course folle dans les plaines immenses, Esther et son loup, respiraient à plein poumons, l'air de ce matin là. Ils profitaient du lever du soleil avant que la chaleur ne les oblige à rentrer dans la grotte pour attendre le soir, l'heure où la lune prendrait la place du soleil, quand la vie nocturne prend possession de l'univers.

Des nuages noirs posèrent rapidement leur ombre sur les herbes jaunis par le temps sec de ces dernières semaines, Esther et Loup n'y prirent garde et s'ébrouèrent d'un même mouvement animal au bout de leur course folle. C'est à ce moment là que leurs sens aiguisés leur indiqua un danger. Esther se redressa et découvrit que les sommets dégageaient une fumée rougeâtre, Elle distinguait les langues de feu sur  le flanc des montagnes. Le feu avançait vivement, léchant les grands arbres jusqu'à les embraser entièrement. Des explosions de sèves venaient briller dans les quelques rayons de soleil encore visibles.

Esther hurla d'une même voix que le loup pour avertir les êtres vivants du danger qui descendait sur eux. Toute espèce vivante traversa les plaines en foulant de leur passage les herbes jaunes.

Atteindre l'eau, la rivière, suivre son cours, arriver au lac et si besoin s'en aller encore plus loin pour plonger dans l'océan…

 Esther sentait la chaleur l'atteindre, il n'y avait plus aucun souffle d'air, plus aucun mouvement, en bougeant, un son métallique résonna à ses oreilles. Elle ouvrit les yeux, le train venait d'atteindre le terminus, c'était la cloche qui annonçait aux voyageurs la fin du voyage.

C'était une grande ville dans laquelle le train venait d'arriver. Esther ne connaissait pas son nom, mais en voyant la gare, elle pouvait s'imaginer derrière les hautes parois en verre fumé que la vie grouillait sur l'esplanade. La journée touchait à sa fin, l'air était plus frais que ce matin, dans la ville qu'elle avait quittée.

Esther prit ses affaires et sortit du hall, effectivement la file de taxis s'allongeant devant elle était immense, de nombreuses personnes se hâtaient pour rejoindre le leur. Esther prit le sens inverse des badauds et levant les yeux, chercha un coin de ciel dans lequel elle pouvait voir des arbres. Pas très loin, un panneau lui indiqua un parc, c'est là-bas qu'elle se rendit pour réfléchir à ce qu'Elle voulait faire ce soir. Elle trouva un banc, sortit un sandwich et son ordinateur afin de trouver où passer la nuit, ce soir, il lui fallait dormir dans un lit, après la journée en train, elle devait se reposer confortablement pour partir à la découverte de ce nouvel environnement. Un petit hôtel de tourisme ferait l'affaire, il y en avait beaucoup sur la page internet qu'elle venait d'ouvrir. Finalement, il s'agissait d'une station balnéaire située aux pieds des montagnes. Parfait, cela lui convenait pour poursuivre sa quête.

Cette nuit serait sous le signe du repos, elle entra dans le petit hôtel aux abords forts chaleureux, prit la clé de sa chambre et monta s'installer. Il était déjà tard, elle s'allongea dans le lit aux draps d'une blancheur immaculée et s'endormit profondément.

Les rêves d'Esther, aussi furtifs et éphémères soient-ils, parcheminaient son cœur et son esprit d'images irréelles.

Dans la blancheur d'une neige fraîchement tombée, Esther laissait derrière elle la trace de ses pas. Elle aurait préféré ne pas se montrer, dans cette forêt froide, les bruits résonnants ne lui inspiraient aucune confiance. Ces ombres dans la lune ronde qui filtrait entre les branchages n'étaient pas quelque chose dont elle avait l'habitude. Les animaux ne donnaient aucun signe de peur ou de fuite, si la nature ne bougeait, elle ne devait pas s'inquiéter. Mais pourtant, il y avait si longtemps qu'elle n'avait prit le chemin de cette quête, son armure lui semblait lourde sur les épaules, ses épées qui battaient le long de ses cuisses musclées finiraient bien par retrouver le rythme de ses pas.

A l'écoute de la forêt, Esther s'enfonça au plus profond, là où l'obscurité ne laissait plus place aux rayons de lune, là où son corps se transformait pour s'unir à la vie nocturne.

Ses pas la menèrent à l'orée d'une clairière, sa surprise lui fit poser les mains sur ses épées, qui de suite vibrèrent à la chaleur de ses doigts. Enfin, elle retrouvait sa force et son courage. Esther, la guerrière était prête à affronter tous les dangers.

Plusieurs saisons étaient passées depuis son dernier passage sur ces terres inhabitées, là où seuls les animaux vivaient et respiraient l'air pur d'Un autre Ailleurs. La meute n'était pas loin, elle pouvait sentir leur odeur, ses sens aiguisés de guerrière s'étaient éveillés, ses pas se posaient maintenant aussi délicatement que ceux d'une biche effleurant la mousse humide de la forêt. Dans un recoin ombragé, elle les retrouva, tous ensemble, les femelles protégées par le mâle aux poils luisants, et tout au fond de la tanière, les louveteaux nouveaux nés.

Ils l'avaient attendu depuis tant de lever de soleil et de coucher de lune, eux aussi avait senti l'odeur de la guerrière. Leur protégée, le seul être humain à qui ils avaient donné leur confiance. Ce jour-là, quand, dans une ville, Esther avait délivré le chef.

Leur retrouvailles furent mémorable, autant pour Esther que pour la meute, les liens inhumains qu'ils avaient liés se réveillaient et de tous leur sens animal, ils fêtèrent cet instant magique.

Le matin se levait sur la petite station balnéaire, les premiers échos du marché montaient aux fenêtres entrebâillées de sa chambre. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle ne portait plus que l'odeur de la meute.

Esther s'habilla et déjeuna rapidement. Le rêve de cette nuit toujours à l'esprit, elle se sentait attirée vers les montagnes surplombant la ville. Il lui fallait faire les dernières choses importantes, se fournir du nécessaire pour une grande randonnée et grimper, grimper au plus haut de ces sommets. Dans le réel de sa nouvelle vie, elle trouverait ses guides, une réponse à ses quêtes, peut-être Un Autre Ailleurs.

Le chemin serait ardu, la terre sèche et rouge volait autour d'elle. Esther n'avait que sa force et son courage pour compagnie.

Qu'est-ce qui la poussait à atteindre ce coin perdu dont elle ne connaissait même pas le nom ?

Ce sont toutes ces questions, mêlées aux traces de son rêve de la nuit passée qui occupèrent son esprit durant la première partie de la journée. Arrivée près d'un premier refuge, Esther s'arrêta. Sur une terrasse ombragée, un groupe de jeunes montagnards était attablé devant un copieux repas. Ils l'invitèrent à le partager ensemble. Un peu timide et toujours aussi sauvage, Esther n'osait lever les yeux. Elle savait que son regard pouvait déranger de par sa couleur aux reflets mauves. Ces yeux qu'on ne pouvait qualifier de bleu ou de noir, toujours changeants lorsque l'on plongeait dedans.

Elle finit par s'asseoir en chipotant un peu la nourriture devant elle, des questions fusaient de part et d'autre de la tablée. évasivement, elle répondait à demi mots, ne voulant pas dévoiler ses quêtes. Les jeunes gens détournèrent leur attention de la jeune femme pour étudier leur carte, elle sortit de table en s'excusant et trouva une prise pour recharger la batterie de son ordinateur, profitant de cet instant dans un lieu aux technologies présentes, elle écrivit de nouvelles pages dans son journal de bord.

« Depuis hier, j'ai quitté la ville de Johann, je suis partie seule, laissant derrière moi les quelques personnes qui partageaient ma vie. J'avais besoin de m'évader, toujours ces rêves en moi. Ils apparaissaient autant de jour comme de nuit, parfois si mêlés à la vie quotidienne que je ne savais plus dénouer le réel de l'irréel. Comme une folie en moi, qui fait que je ne connais plus ni le jour ni la nuit, ni le vrai du faux. Et si ma vie se résumait à UN AUTRE AILLEURS… »

Ce n'était pas un carnet à proprement parlé. Tout était dans son ordinateur. Esther écrivait, page après page, le fil de ses pensées.

Depuis les premiers signes de ses rêves, elle notait l'éphémère et l'irréel sur un fichier. Les pages se numérotaient maintenant avec plusieurs chiffres, des nombres qui lui donnaient le vertige, tant de mots écrits, tant de souvenirs couchés là, sous ses yeux, lorsqu'elle prenait le temps de les relire.

Parfois, elle notait aussi ses instants de vie, celle qu'elle avait vécue auprès de Johann ; Les étrangetés de ses souvenirs des nombreuses soirées. Les sofas cachés derrière les tentures sombres, les visions d'Agate…

Tout était si mêlé, tout était si irréel et seul son cœur en comprenait le sens. Esther pensait à cela lors de son ascension solitaire, le sommet des montagnes était caché derrière des nuages blancs immenses, ils ne laissaient filtrer aucun rayon de soleil.

Le brouhaha du refuge se faisait de plus en plus lointain, Esther avait refait son sac, prit quelques bouteilles d'eau en plus, se chargeant le moins possible. Il y en aurait d'autres, plus haut, plus loin.

La moitié de l'après-midi s'approchait, Esther ne voulait pas se fatiguer, elle voulait prendre son temps et penser.

Au lieu de fermer les yeux, sous un arbre et se reposer, elle prit son ordinateur et ouvrit le fichier de ses secrets. Elle lu et relu pour une énième fois les pages déjà noircies de ses pensées, sans pour autant avancer. Elle ne savait quelle était sa quête, où tout ceci allait la mener.

Cet Autre Ailleurs qui revenait toujours dans ses rêves, qu'ils soient endormis ou éveillés, quand son esprit s'embrumait pour ne lui montrer que des images qu'elle connaissait à peine, juste pour les avoir « imaginées ».

Ses poings refermèrent l'écran du pc d'un geste violent, elle sentit un vent glacé sur ses bras nus, les nuages couraient en tout sens pour dévoiler un ciel d'un tel bleu qu'il l'éblouit, un soleil rouge sang vint le percer de ses mille rayons.

Le cri de la meute lui emplit les oreilles, Esther se sent transportée sur le dos du chef, ses doigts enfouis dans sa fourrure brillante, ensemble ils s'élançaient dans une course effrénée, contre le vent, contre les eaux qui sortaient des rivières, fuyant la lave qui descendait le long des pentes abruptes.

Courir, toujours courir pour s'éloigner encore plus vite, encore plus loin, les oiseaux les suivaient en lançant des cris aigus, les animaux se faufilaient pour échapper aux colères d'une terre malade.

Mais tout ceci n'est peut-être qu'un rêve, Esther…


L'esprit embrumé de ses dernières pensées, réelles ou irréelles, Esther ne le savait pas. Elle avait un chemin a parcourir, une montagne à gravir. Atteindre les crêtes, voir les sommets, pour presque toucher le ciel. Ce n'était pas ce soir qu'elle y parviendrait, il lui fallait trouver un refuge pour la prochaine nuit. Sa carte lui en indiquait un à quelques kilomètres de marche encore, l'air fraîchissait maintenant, le soir s'approchait avec un ciel dont les couleurs viraient du bleu vif à l'orangé du coucher du soleil.

Esther aimait beaucoup ces heures de la journée, quand les lumières se confondaient en un arc en ciel féerique qui emportait son esprit sur les ailes d'un immense oiseau. Ses pas se firent plus calmes et tranquilles, l'air embaumait des parfums de fleurs entêtants, encore emplis de chaleur. Elle ne voulait pas plonger dans cet univers irréel qui menaçait de lui voler ses pensées, de les transformer, de les noyer dans une autre vie, quoique, parfois, Esther se disait qu'il serait si bien de toujours avoir les yeux fermés…

Un Autre Ailleurs, tel était le nom qu'elle donnait à ces images, ces illusions qui la traversaient si souvent. Depuis ses plus lointains souvenirs, elle avait toujours ressenti et assisté ces phénomènes. Peu de personnes ne le savaient, elle en avait parlé à Johann, mais c'était une discussion qui n'avait fait qu'éveiller en lui du recul envers Esther, aussi elle avait abandonné et, seule, affrontait ses peurs et ses questions.

Ses pensées unies avec ses pas, Esther parvint au refuge, il semblait vide mais lorsqu'elle poussa la lourde porte en chêne, un homme était assis devant l'âtre dans lequel le feu chantait.

Un seul regard échangé et chacun comprit que les mots ne servirait à rien. Ils étaient deux âmes solitaires qui partageraient le même toit pour une nuit. Plusieurs portes donnaient sur des chambres à lits doubles ou multiples avec une salle d'eau attenante à chacune. Esther choisit la plus proche de l'entrée, alors que l'homme s'était attribué la dernière du long couloir, ils ne se gêneraient pas pour cette soirée.

D'un signe de tête, elle alla se fermer à clé dans sa chambre, trouva la prise murale pour brancher son ordinateur, passa à la salle d'eau et enfila un vêtement confortable pour s'allonger sur le lit. De nourriture, le reste de sandwich de son repas de midi lui suffirait. Esther écrivit sur son clavier.

« Deuxième journée.

Marcher seule sur ce chemin qui me mènerait au sommet d'une montagne, m'apporta de nouvelles forces intérieures. Des forces dans lesquelles je me sentais pouvoir puiser pour l'avenir, pas encore de réponses à mes questions, mais la vision que devant moi il va se découvrir n'en sera que meilleur. Si ma vie doit être une quête sans fin, je ne reviendrais pas en arrière, seule j'avancerais, seule j'affronterais ces mystères… »


La nuit se passa sans rêves ni cauchemars, cela ne lui arrivait pas souvent, mais à l'approche du sommet de la montagne, Esther se sentait plus sereine, comme si une aura protégeait ce sommet, là-haut, elle ne savait pas ce qu'elle trouverait mais ses pas et son espoir la poussaient vers l'avant. C'est avec un entrain rempli d'une vigueur nouvelle qu'elle sortit de la chambre, ses affaires rangées. Elle salua l'homme de la veille, bu un café et sortit dans la fraîcheur matinale. Des nuages voilaient le ciel encore pâle, le soleil commençait doucement à se lever, posant des touches orangées irréelles sur les roches apparentes, la verdure se faisait rare à cette altitude. La vue qui se dégageait devant ses yeux semblait comme lunaire, des étendues de pierres sèches, des roches grises affleurant et ces grandes coulées noires sur les pans de la montagne. Seul le sentier de terre beige contrastait à travers ces sombres couleurs.

Esther marcha longuement dans le silence, juste un souffle de vent venait de temps en temps balayer ses pensées, vider son esprit de questionnements. Elle préférait de loin cela, juste marcher, avancer l'esprit vide et le corps tendu vers l'appel du sommet. Pour la dernière partie de sa randonnée, Esther avait choisi des vêtements des plus confortables, de bonnes chaussures et gardé contre son cœur ce doux voilage de soie qui l'accompagnait toujours. Un simple bout de tissu aux couleurs si multiples qu'on ne pouvait en distinguer le fond, il lui avait été donné lors d'un voyage à l'étranger. Un vieil homme rencontré sur un marché local l'avait interpellée, ensemble ils avait passé plusieurs heures à parler de dons étranges que certaines personnes possèdent. Cet homme si mystérieux à qui Esther avait dévoilé son secret, connaissait Un Autre Ailleurs. Elle avait su, ce jour là, qu'elle n'était pas seule.

Personne ne savait combien ils étaient à posséder ce même secret, Esther et le vieil homme en avait longuement parlé. Il savait juste, que de part le monde, existait des témoignages contant des événements vus et vécus dans lesquels le réel se mêlait à l'irréel. Un Autre Ailleurs qui était décrit tel que celui d'Esther, quand elle se sentait transportée dans des rêves éveillés. Ces moments où elle perdait toute notion d'espace et de temps, quand elle ne pouvait plus séparer le concret de l'abstrait, quand ses sentiments devenaient proche des animaux, quand son cœur battait au rythme de la terre, plus fort, plus étourdissant et résonnant dans sa tête.

C'était dans ces moments là qu'elle sentait son sang bouillir dans ses veines, comme voulant sortir de son corps. Le reflet de son image lui montrait une femme fière et forte portant sur ses hanches des épées luisantes, une armure de métal brillant recouvrant son corps. Notées dans son carnet de rêves, sur l'ordinateur qui la suivait partout, elle avait retranscrit ces songes les uns après les autres depuis le début. Ses combats et ses batailles, ses moments où, unie avec la meute des loups elle parcourait les plaines froides, quand elle chevauchait son étalon sur des plages mouvementées par les vagues des mers enragées.

Perdues dans ses pensées qui l'avaient finalement envahie, Esther ne s'était pas aperçue de l'orage qui venait d'éclater, brouillant le paysage devant ses yeux, rendant le chemin glissant, la pluie battait sur ses cheveux dénoués, elle sentit le froid s'insinuer en elle.

Il ne lui restait plus que quelques centaines de mètre avant d'atteindre son but, le chemin devenait de plus en plus raide et sinueux, la pluie et le brouillard ne lui rendait pas la marche facile, à chaque tournant elle risquait de tomber, de finir dans la boue qui dégoulinait sur le sol instable. De toutes ses forces, de son corps bien campé sur ses jambes glacées, elle avançait pas à pas, tirée vers l'avant. Il lui fallait à tout prix atteindre la crête de la montagne, savoir et voir…

Esther arriva au sommet de la montagne et les nuages s'écartèrent pour laisser passer quelques rayons de soleil. Le ciel était encore sombre, en face d'elle, d'autres sommets se dessinaient. Là où elle était, il y avait des tas ordonnés de pierres, par ses connaissances lointaines de quelques années sur les bancs de facultés d'histoire et géographie, elle pouvait les nommer dolmens et menhirs.

Pierres dressées verticalement ou allongées, celles ci représentaient un témoignage de vie ancestrale. Esther et ses souvenirs du mégalithisme se remémora tous les enseignements de cette période. Elle aimait l'histoire, elle avait toujours eu un penchant pour connaitre les racines de sa vie. Des pierres hautes de plus de 4 mètres, dans son esprit, elle les avait vue, elle avait fêté des moments joyeux auprès d'eux, dans une autre vie peut-être ou Un Autre Ailleurs.

Son cœur battait la chamade au fond de sa poitrine, Esther sentait des présences autour d'elle, mais personne ne se montrait. Un chant s'éleva derrière les pierres, elle s'approcha et découvrit un cercle d'hommes et de femmes en prière. Son but était atteint, c'était sa destinée que de se retrouver parmi eux, sa place était là, dans le cercle.

L'homme qui lui avait donné le tissu multicolore  présidait la séance, il s'agissait d'une des réunions annuelles auxquelles participaient les êtres purs, ceux qui dans leur cœur, connaissaient Un Autre Ailleurs…

Esther n'avait aucun souvenir de ce genre de cérémonie, et pourtant, lorsqu'elle était encore enfant, elle avait assisté à ce qu'ils appelaient l'introduction, le baptême d'un être pur. Un jour de son enfance, durant lequel, vêtue d'une ample tunique blanche simplement ornée d'une ceinture de lierre, une jeune femme prénommée Agate l'avait accompagnée au sommet d'une autre montagne, dans un autre pays, près du ciel irréel dans lequel brillait les soleils des deux univers :

Là où le réel et l'irréel se mêlent…

Le jour de ses cinq ans, Agate vint chercher Esther dans son village aux pieds des montagnes encore enneigées. C'était le tout début du printemps. Ses parents lui tenaient la main et lui souhaitèrent une belle et douce journée, ce matin là. Elle partit sur le dos d'un âne gris précédé par l'étalon blanc d'Agate. Après quelques heures, elles atteignirent l'un des sommets blancs qui surplombaient la vallée. Esther fut accueillie par des chants de liesse, un vieil homme sans âge lui tint un long discours qui expliquait qu'elle était une enfant hors du commun, un être pur. Ces mots ne signifiaient encore rien pour elle, mais son cœur et son corps  avaient compris, ce jour-là, que son esprit lui montrerait

Un Autre Ailleurs.

Aujourd'hui, les brides de son baptême lui revenaient peu à peu, ses souvenirs devenaient plus clairs.

Tout prenait place dans sa tête, Esther comprenait ses songes et leurs mystères, elle devenait maîtresse de ces délires. C'est avec un grand éclat de rire qu'elle se détendit et profita de l'expérience de ses hôtes. Chacun leur tour, ils lui contèrent leurs « voyages » dans Un Autre Ailleurs. Pour tous, ils étaient en éveil ou dormant lors de ces moments où le réel devenait irréel. Quand ils revêtaient une tenue qui les prédestinait à une quête dans l'autre monde. Chaque membre était nécessaire à la survie des autres, de part leurs connaissances, leurs forces et leurs pouvoirs, ils étaient unis.

 Et Esther mit ses écouteurs sur ses oreilles, la musique l'envahit au plus profond de son corps, faisant résonner en elle les basses du morceau, le délire des musiciens.

Seule, elle quitta la montagne, rassurée par les paroles des anciens…

Tout ceci n'était qu'un rêve, Esther. La randonnée au sommet de la montagne, la réunion avec les êtres purs, ce sont simplement des rêves et des songes que ton esprit te dévoile.

Cette nuit où elle croyait ne pas avoir rêvé venait de finir, elle poussa la porte de la chambre du refuge et fut accueillie par l'homme de la veille, une tasse de café brûlante tendue vers elle. Elle secoua la tête, non en signe de refus, mais pour s'éclaircir les idées. Elle le voyait bouger les lèvres, mais la musique sur ses oreilles l'empêchait de comprendre ce qu'il disait. Elle n'avait aucune envie de lui parler, elle voulait être seule avec ses écouteurs, regarder par la fenêtre et tenter de voir le sommet, celui qu'elle avait peut-être rêvé, ou alors était-elle sortie cette nuit là ?

Esther ne savait pas si elle voulait connaitre la vérité, elle préférait rester dans le flou de ses pensées, repartir, redescendre cette montagne, finalement si peu accueillante. Esther enfila son blouson, alluma une cigarette, prit ses affaires et sans se retourner sortit du refuge. L'homme n'était pas surpris, il croisait des personnes étranges dans les refuges, mais il n'oublierait jamais les pleurs et le cris de cette jeune femme qui avait dormit là cette nuit.

Esther était perturbée par ces dernières heures. Voilà que ses doutes et ses peurs revenaient la hanter. Elle voulait tant pouvoir ne pas vivre sous le regard des autres. Être elle-même et surtout ne plus avoir peur d'exprimer ses propres pensées, toujours cette même peur qui la retenait et faisait qu'elle n'avait aucun ami, ou juste quelques connaissances. Mais ceci n'était pas important au final, elle n'avait jamais trop aimé la présence des autres. Depuis ses années de collège, elle avait toujours vécu plus ou moins à l'écart, se retrouvant hors des groupes car elle ne fréquentait pas la cantine,  sa famille toujours présente était salutaire pour son cœur, elle la sauvait de l'extérieur.

Elle prit un autre chemin à la sortie du refuge, dans le sens contraire au sommet qui l'avait retenue cette nuit, ou bien était-ce un rêve…

Quoiqu'il en soit, ce matin, le soleil brillait de mille feux sur les monts à l'aspect lunaire, peu de broussailles, du sable jaune, des terres ocres et ces grandes roches apparentes, encore des signes d' époques lointaines, mais elle ne voulait pas les regarder, ne pas s'enliser dans un passé trop irréel. Tout oublier et avancer, Esther était seule dans ses pensées, seule sur le chemin, elle avançait sans réfléchir, juste la musique hurlante dans ses oreilles.

C'est en mode survie qu'elle redescendit ce nouveau chemin, en pensant à ces dernières heures, Esther n'aspirait qu'à une seule chose, rester seule. Cet homme au refuge, ils n'avaient échangé aucun mot, s'étaient à peine regardés. Sa main tendue, lui offrant un café, ce matin, elle aurait pu engager une conversation peut-être. C'était parfois ce dont elle avait envie, mais au final elle ne parlait pas. elle était toujours discrète et un peu sauvage, les autres passaient souvent à ses côtés sans même la regarder. Elle secoua la tête pour faire partir ces idées sombres, et profita de la fraîcheur matinale pour avancer d'un bon pas. Au loin, Esther pouvait apercevoir un grand lac au bleu profond, cela serait sa prochaine étape. Installer son campement, elle avait tout dans son sac pour monter une tente et passer quelques jours seule avec la nature.

Esther n'aimait pas franchement le camping sauvage, ni dormir comme ça, mais quand cela devait arriver, elle le faisait. Il y tant de choses que la vie lui imposait, tant de circonstances qui faisaient que sa vie, finalement, elle ne pouvait pas la diriger.

Mais dans ses rêves, dans son jardin secret, là où personne n'était encore entré, elle voguait sur les ailes d'un oiseau, dans le soleil des îles pleines des rires et sourires de ceux qu'elle aimait.

Mais les rêves d'Esther…

Les épées sur ses hanches et dans ses yeux le reflet bleuté des lames. Au milieu  des terres d'Un Autre Ailleurs, Esther mène son étalon d'un pas lent, épiant de tous cotés les signes déjà présents à l'aube de cet premier jour d'automne.

La forêt traversée par les rayons du soleil ce matin là, luisait comme un écrin de diamants. Elle entra sous la voûte des arbres mordorés sur sa monture aux naseaux fumants.

Les sons n'étaient pas habituels, il y avait quelque chose qui perturbait les animaux. Une présence sombre qui s'effilochait entre les troncs gris, comme une brume de malheur.

Des lambeaux de fumée noire, des odeurs de flammes, le rougeoiement au loin. L'étalon d'Esther qui piaffait d'impatience, depuis qu'ils avaient atteint la forêt. Le cheval se cabra vivement et partit d'un galop apeuré à travers les branchages tombés sur le chemin, Elle posa ses mains sur les épées, les sortit de leurs fourreaux. Elles vrillèrent l'air d'éclats argentés, tranchant dans le vif, l'heure du combat était venue.

Ce combat, Esther le menait trop souvent lors de ses venues sur les terres d'Un Autre Ailleurs. Ces fantômes qui apparaissaient à nombreuses de ses traversées étaient le lot des êtres purs. Protéger et défendre contre ces monstres noirs le paradis des terres ancestrales.

Les êtres purs tels qu'Esther, sont les gardiens d' Un Autre Ailleurs. De leurs songes éveillés qui les transportent du réel vers l'irréel, ils sont les ambassadeurs de la Paix.

 

 

Mille ans que l'univers d'Un Autre Ailleurs a été enseveli sous les tourmentes des ombres noires. Ce monde éteint qui flotte dans le néant est aujourd'hui à la merci de tous. Des êtres purs sur la terre ont été élus pour sauver cet univers.

Parmi ces êtres délicats, une femme au visage impénétrable, au corps léger, à l'aspect irréel se prénommant Esther. Son esprit souvent tourmenté lui a apprit à gérer ses rêves éveillés. Ceux-là même qui durant sa vie, l'ont trop souvent décontenancée. C'est lors de sa dernière randonnée au sommet d'une montagne embrumée, qu'Esther a compris que son destin était mêlé à celui des êtres purs. Sa vie prenait aujourd'hui un autre sens.

Assisse aux abords de la forêt aux couleurs d'automne, Esther prit la main tendue devant elle pour avancer dans ce nouveau destin.

Un Autre Ailleurs et ses portes entrouvertes l'appelaient pour l'éternité. Ses propres batailles apaisées lui apportèrent la force de passer vers la lumière, là où ce petit rayon d'or éclairait les paysages.

Ses pas la portèrent vers les portes du monde où la vie palpitait, les êtres purs l'attendaient pour combattre. De ces ombres noires qui cachaient encore le soleil, ensemble ils délivreront Un Autre Ailleurs.

Esther, forte et fière mais toujours un peu discrète et si sauvage quitta son univers sans se retourner. Elle avait déjà tenté de le faire, mais les attaches qui la retenaient obscurcissaient trop son esprit.


Esther, rebelle

Sur tes lèvres un doux sourire éclaire tes rêves. Les feuilles jaunissantes de l'automne, tu les portes comme une couronne. Elles éclairent ton visage délicat d'une parure d'or dans les reflets du soleil réchauffant tes épaules.


Dans une forêt d'un Autre Ailleurs des lambeaux de brume s'effilochent…

Aux premiers rayons d'un soleil d'automne illuminant le sol couvert de feuilles rougeoyantes, quelques gouttes de rosée lancent des éclairs de lumière. La brume coure entre les hauts troncs couvert de mousse grisâtre. Esther ouvrit un chemin au milieu des branchages craquants sous ses pas. Devant elle, des éclats métalliques traversent la brume, aucun animal sauvage ne vint l'accompagner. Esther avança doucement dans ce brouillard blanc. Le calme de la forêt l'inquiétait, en ce matin là, les animaux auraient dû être présents, le souffle de leurs naseaux résonnant dans le froid matinal, mais aucun son ne lui parvenait, pas une feuille ne tombait des hauts arbres centenaires qui l'entouraient.

Esther avait revêtu son armure d'argent, elle ne savait pas ce qui l'avait motivé dans ce choix, contre son cœur sur les mailles de fer, le tissu des ancêtres, des élus, ce voile de soie qui lui donnait sa force intérieure.

Son cœur, sa pureté et sa douceur le faisait calmement palpiter, Esther n'avait pas peur. Elle savait que son destin la dirigeait vers des combats. Mais ce matin là était voué à une destinée beaucoup plus sereine.

Un rendez-vous avec Elle même, une rencontre de son enveloppe humaine et de son corps intérieur. Telle une méditation, ses deux âmes s'unirent en une seule pour fêter ensemble la symbiose des êtres purs et de la nature.

L'automne d'Un Autre Ailleurs, quand les couleurs explosaient de mille feux, quand les animaux, maîtres de cet univers se préparaient à la lenteur du prochain hiver. Chaque année, les êtres purs entendaient cet appel. De toute part des mondes, ils abandonnaient leurs combats pour se ressourcer dans les rêves éveillés, ceux dans lesquels le réel et l'irréel se mêlent.

 

  • C'est très beau, j'aime beaucoup !
    Un après-midi, j'écoutais, un peu isolée comme toujours, de la musique sur une plage et là j'ai fait un rêve, mais je ne dormais pas. Je me sui vue sur un cheval, à cru, sans selle, je m'accrochais à sa crinière. Nous galopions sur le sable et des loups nous escortaient. J'ai toujours eu une admiration sans bornes pour le loup, comme pour l'aigle d'ailleurs. J'en ai fait un petit texte, comme cela, sans trop chercher, mais rien à voir avec tout ce talent que tu as en toi.
    Une autre fois, alors là, c'étai réel, en promenant ma chienne dès "potron-minet" je suis tombée nez à museau sur un renard. A quelques centimètres seulement, mais alors ce regard ! Ce regard lorsqu'il s'est planté dans le mien, jamais je ne l'oublierais. Ce fût pourtant très fugace...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • merci beaucoup Martine, j'ai beaucoup de timidité à partager ce texte, je tiens beaucoup à ces mots, l'histoire d'Esther recouvrira peut être les pages blanches d'un livre un jour...

      · Il y a presque 9 ans ·
      Sepia69d09470970d11e3af5d121b1d436492 8

      Esther Ka

    • Je vous (te) le souhaite !

      · Il y a presque 9 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • :) lorsque je lis des avis, des commentaires sur mes mots, se dessine au fond de mon coeur un large sourire et le flot de la scribouilleuse s'éveille en moi

      · Il y a presque 9 ans ·
      Sepia69d09470970d11e3af5d121b1d436492 8

      Esther Ka

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