Un autre genre

Möly

Nouvelle écrite dans le cadre de ma participation au Concours de Nouvelles de la ville de Malestroit.

-  Et d'où viennent tes parents ?

Un silence de quelques minutes, c'est ce qu'iel donna en guise de réponse. L'homme en face se râcla la gorge discrètement et fit tapoter ses doigts sur le rebord du bureau en bois. Etait-ce du vrai bois ? De toute évidence. Un homme de cette stature et de ce rang, ne possèderait pas un bureau en contreplaqué.

-          Je n'aimerais pas avoir recours à des moyens plus….hmm…difficiles, vois-tu. Alors, si tu pouvais répondre à mes questions même brièvement ; cela me serait très utile.

Son regard s'était quelque peu durci, plus qu'au début de l'entretien. Iel ne bougeait pas et fixait le bureau, analysant le moindre détail. Son visage était tuméfié, son œil droit avait disparu sous une paupière enflée. Seule sa bouche était intacte, ses mains étaient menottées aux barreaux de la chaise. Iel se fichait complètement de tout à cet instant. De cet homme, de son soi disant pouvoir et même de ses parents.

-          Où habitent tes parents ? recommença plus sèchement cette fois, l'homme

Un tic de nervosité anima les narines de l'homme, iel se décida à lever son regard vers lui et iel cracha :

-          Mes parents habitaient à Malestroit, un bled paumé en Bretagne. Ça te parle connard ?

L'homme se leva et asséna le bureau d'un coup de poing brutal. Il se ressaisit et répliqua :

-          Ecoute-moi bien espèce de petite merde ; tu vas descendre d'un ton avec moi. Il semblerait que tu n'aies pas bien compris la première leçon. Tu devrais t'estimer heureux.euse que je prenne la peine de m'intéresser à ta petite vie de dégénéré.e et que je te fasse pas flinguer.

Iel avait à peine 25 ans, iel fixa l'homme sans sourciller. Iel n'avait pas peur, iel n'avait plus peur ; qu'avait-iel à perdre ?

-          J'suis même pas sûr.e que mes parents vivent toujours là-bas…Monsieur. Dit-il d'un ton sarcastique

L'homme lui flanqua une gifle. Ma douleur, sur les premières blessures, fut vive. Mais iel ne fit que grimacer sans laisser échapper un seul gémissement.

-          Tu sais ce qu'on fait aux personnes de ton….genre ? Tu sais que tu es une anomalie, ici, dans notre société. Tu sais aussi, très bien, qu'on a des moyens pourtant très doux pour te faire retourner dans le ….droit chemin ?

Iel sourit, un petit sourire méprisant et iel se mit doucement à rire. L'homme se raidit, s'arrêta de parler et l'attrapa à la gorge, serrant ses mains charnues sur le cou fin et nu, de la jeune personne.

-          Mais ça te fait marrer ? Tu veux voir ce qu'on a fait à tes petit.e.s copains et copines ou je ne sais pas comment vous…nommer. T'as envie de voir pour que ça te calme, hein….comment c'est ton nom déjà ?

-          …Mé…ri…

Empoignant toujours le cou de Méri, il appela une de ses collègues.

-          Marine, il me faut la salle de projection, immédiatement s'il te plait. Oui c'est ça, une urgence.

L'homme libéra les mains des menottes qui les enserraient, tout en prenant bien soin de tenir Méri. Il replaça les menottes à ses poignets et iels sortirent de la pièce.

 

« J'avais toujours plus ou moins su que j'étais ni un il ni un elle comme dans leur putain de livres de lecture ou leur livre de grammaire à la con. Quand j'étais petit.e, aux alentours de mes 5 ou 6 ans, j'avais demandé à ma mère de me couper les cheveux courts et à Noël je demandais des Barbie et des Action Man. Et je les animais à ma façon…les Barbie avaient des crêtes et elles vivaient les aventures des Action Man. Elles sautaient en parachute pour sauver le monde et les Action Man se maquillaient tout en se battant contre Docteur X.

Mes parents ne disaient rien. Iels s'en fichaient complètement je crois. Mais pas dans le sens qu'iels étaient d'une tolérance et d'une ouverture d'esprit complètement en vogue à l'époque ; non ; iels se fichaient totalement de moi. Iels s'occupaient de moi comme on doit s'occuper d'un enfant. Mais iels ne portaient aucune attention sur moi, se foutaient totalement de ce que j'aimais et pourquoi j'aimais ça. Iels me serraient dans leur bras pour mes anniversaires, jetaient un œil distrait sur mes notes et mes cours et haussaient la voix quand j'avais une remarque d'un.e prof. En fait, iels jouaient le meilleure rôle qu'iels ne leur avaient été donné de jouer : celui de parents. Comme tout.e bon.ne comédien.ne, faire semblant et être dans le mimétisme était d'une simplicité sans faille. C'est ce qu'iels avaient fait. Iels avaient observé les autres avant et iels avaient joué leur plus belle comédie jusqu'à ma majorité. Iels avaient joué à m'aimer et à avoir un enfant, juste parce que bon, quand même ; arrivé à un certain âge, pour faire bien : il faut.

Moi j'ai continué à être chelou  et à vouloir absolument savoir qui j'étais ou dirais-je même ce que j'étais. Evidemment l'adolescence et tout le merdier que ça implique n'a pas été d'une grande aide. J'ai eu le droit aux foutages de gueule, aux coups de pieds, aux insultes. Mais les chiens ne font pas des chats, j'avais très bien appris à jouer la comédie. Alors je m'en contrefoutais éperdument. Et ça durait jamais longtemps, puisque une victime qui ne réagit pas, c'est pas marrant. J'avais pas d'ami.e.s ou alors très peu, des potes vite fait avec qui je restais pendant les pauses pour fumer des clopes, des joints. Et puis il y a eu Aimé avec qui je me suis entendu.e très vite même si on se disait peu de choses, au début.

Aimé et moi on se ressemblait un peu. Au fur et à mesure des années au lycée, Aimé s'était créé.e un personnage qu'iel adorait. Iel jouait avec le regard des autres et iel aimait provoquer chez elleux un sentiment de malaise. Surtout avec les profs. Un jour, iel était vêtu.e d'une jupette et de tresses, avec des petites bottes rouges et le lendemain iel arrivait avec un treillis, un chignon et des Doc Martens. Aimé était aussi de Malestroit comme moi. Nos parents ne se connaissaient pas, enfin, iels se croisaient comme on peut croiser facilement quelqu'un.e dans un petit bled quoi.

Notre truc c'est devenu d'aller tous les étés au festival Au Pont du Rock. On se déchirait la tête avant, j'ai jamais pris autant de trucs de ma vie qu'à cette période là. Fin du lycée et début de mon errance. On était complètement défoncé.e.s mais on kiffait. On savait pas qui on était, mais on était paumé.e.s ensemble. On a couché ensemble, souvent. On a fini par être bien comme ça, en fait et puis à se mettre en coloc et trouver un boulot à la con où on cachait un peu qui on était. Mais on gagnait du fric et c'était le principal. Le but étant de se tirer sur les routes dès que possible. On avait calmé le délire prods et alcool et on était pas trop mal.

Et puis…y'a eu ces enfoiré.e.s qui ont pris le pouvoir. C'est arrivé petit à petit en vrai. A Malestroit, y'a eu clairement de la grosse propagande. Comme ailleurs, je dis pas. Y'a eu un référendum un jour pour décider de renverser le pouvoir en place. On croyait que ça allait être la méga révolution, Aimé et moi on s'est dit « putain ça y est on va peut-être pouvoir être libres et arrêter de se faire marave la gueule un week-end sur deux ». Mais en fait, non. Parce que y'a eu reprise de pouvoir, et ça a été la merde. Plus de président.e en tête du pays mais un.e dirigeant.e dans chaque région, et puis chaque département a aussi voulu avoir un peu de pouvoir et c'est devenu un gros merdier. Par chez nous ça a viré bien à droite et on s'est cru dans une bonne série netflix, une bonne dystopie qu'on nous sortait à toutes les sauces pour nous faire peur. Sauf que comme des connards et connasses qu'on était, on se gavait de burgers healthy vegan devant nos écrans, en binge watchant nos séries comme des gros dopés à l'écran portable. On s'est pas dit une seule seconde que ce monde c'était de la merde et qu'on était plongé dedans et qu'on y nageait allègrement, en jouant les faux rebelles véners et puis les faussement détaché.e.s de tout.

Et bhen c'est devenu pire. Et y'a eu comme une sorte de nouvelle religion pour raccorder tout le monde, iels se sont dits que tout le monde devait être pareil.le.s et qu'on aurait plus qu'un lieu de culte pour adorer qui on voulait, mais tout le monde dans le même prêchoir. Et puis c'en était fini des sexualités alternatives et des envies de liberté : tout le monde a eu un travail et une piaule. Mais les homos, les trans, les bi et toute la bande, on a pris cher dans nos gueules. On s'est fait allumé.e.s à coups de bars de fer et de battes de baseball. Bon, c'était pas du neuf ça encore. Mais on a fini par apaiser les tensions, la blague…on nous a vivement encouragé (on nous a forcé sous peine de se faire flinguer disons le) à aller voir notre médecin pour nous filer des cachetons. Certain.e.s sont devenu.e.s de bon.ne.s gros.se.s zombies, en mode larve dans leur piaule. La moitié s'est foutue en l'air, d'autres sont devenu.e.s accros aus médocs et puis on a fait comme si ces gens là n'existaient plus. Ça a été pareil pour les gens qui ouvraient trop leur gueule, les alternatifs anarchistes artistes et autres énervé.e.s. On les a calmé direct et si t'étais encore véner, tu disparaissais de la circulation.

D'autres, comme moi et Aimé ; on a réussi à fonder un petit groupe secret. Et là on se croyait encore plus sur netflix ; on montait nos coups fourrés ensemble, on volait, on cassait, on piratait. On vivotait de ci de là, tout en maintenant une image politiquement correcte dans la rue en plein jour. On se réunissait chez celleux qui vivaient en pleine cambrousse dans le Morbihan, pas loin de chez nous. Et on pouvait être nous et on était de plus en plus véners parce que le pouvoir en place était de plus en plus une vraie saloperie. Je crois que le truc qui nous a clairement décidé à foutre la grosse merde, ça a été quand une des bonnes connasses au pouvoir a décrété que chaque foyer devrait avoir un enfant, au minimum pour continuer à bénéficier d'un logement partiellement payé par le gouvernement. Que le renouveau de la patrie se jouait ici et maintenant. Qu'aller prier au lieu de culte serait aussi une obligation, une fois par semaine et que ce serait contrôlé. Et que les dernières personnes aux sexualités déviantes qui ne s'était pas prises en charge seraient arrêté.e.s et jugé.e.s. Là on a pété un câble, on a été détruire le siège du dirigeant et de la dirigeante en place, on a tout cramé et on s'est fait prendre. Comme des blaireaux. »

Méri se retrouva face à un écran géant, iel se rappela l'Armoric Cinéma à Malestroit où iel allait souvent avec ses parents ; puis ensuite avec Aimé. Lui revint en mémoire le bâtiment légèrement rosé avec le dessin d'une pellicule de film peint sur la façade. Tout cela lui semblait loin. L'homme lança le film. C'était un documentaire, ou plutôt une sorte de film de prévention. Cela dura dix minutes durant lesquelles Méri vit défiler des images de ses camarades qui se faisaient passer à tabac, de certain.e.s sur une chaise électrique ; puis entre chaque image, des messages à caractère préventif. « Sauvons l'humanité, nous sommes là pour procréer » et autres slogans typiques du gouvernement. Les deux dernières minutes, Méri assistait à la mise à mort d'un.e camarade.

 

« Et comme dans toute bonne série netflix comme on les aime, à ce moment là, on sait que ça va être le moment tragique où le personnage principal va voir disparaitre quelqu'un.e qu'iel aime et être complètement véner et encore plus déter à casser des dents et réclamer justice.  Et bhen ouais…j'étais peut-être comme un héros d'une de ses bonne séries de con.ne.s prétentieux.euses et sur l'écran j'ai vu Aimé s'asseoir sur la chaise. J'ai vu Aimé avec sa jupe rose à volants, un gros sweatshirt, le crâne à moitié rasé d'un coté et sa longue chevelure blonde de l'autre. J'ai vu le regard, froid et déterminé, d'Aimé fixé la caméra qui filmait cette scène.Je l'ai vu secoué.e de spasmes et le corps traversé de ce putain de courant électrique. Je l'ai vu crever, en image, dans un putain de spots publicitaires de prévention anti sexualités déviantes. J'ai gerbé, sur mes chaussures. J'ai pas chialé, j'ai gardé mon regard, froid et déterminé, dans le sien. J'ai relevé la tête et j'ai fixé l'homme, et j'ai pris plaisir à afficher un petit rictus sur mon visage. Et j'ai rôté à sa gueule. »

Méri fut emmené.e dans une cellule. L'homme avait tenté de remettre les idées en place dans la tête de Méri en l'assénant de coups. Il lui avait glissé à l'oreille qu'iel finirait comme sa chère copine ou copain dégénéré.e et qu'il prendrait un plaisir outrancier à assister à sa mise à mort. Méri ne réagit pas. Iel savait qu'il n'allait pas mourir maintenant, iel savait qu'iel allait réussir à s'échapper et que peut-être ce serait le point de départ d'une vraie révolution. Celle qu'iel attendait depuis longtemps, une révolution qui allait partir de ses tripes, qui partirait de son vécu et qui s'était construite petit à petit, jusqu'à maintenant.

Ses parents l'avaient laissé.e tomber, iels étaient devenu.e.s de braves petits soldats du gouvernement. Iels étaient définitivement d'excellent.e.s comédien.ne.s ; c'était indéniable. A tel point que rien ni personne ne les dévierait de leur trajectoire ; cependant iels n'avaient jamais réussi à percer. Iels n'étaient que des pantins. Méri avait coupé les ponts et n'avaient jamais remis les pied chez elleux. Iel avait trouvé une autre famille et des gens qui se soutenaient et se respectaient. Des gens qui soutenaient et respectaient, aussi.

Iel avait plus que foi en l'avenir dorénavant, iel se savait plus fort.e que jamais et cette force là allait surpasser le reste. Iel utiliserait tous les moyens qu'il faudrait, violents ou pas. Mais, à  l'aube de ses 25 ans, iel avait tout son temps pour faire changer les choses. Et iel le ferait, iel réussirait un bon happy end de série netflix.

            « Je vous emmerde tous.tes bande d'enfoiré.e.s. Vous allez tous.tes crever, vous allez payer pour tout ça, croyez moi. Je suis pas seul.e ; on est assez nombreux.ses pour vous faire bouffer votre propre merde et vous faire chialer, à genoux. J'ai déjà hâte de vous exploser la tête à coups de battes de baseball et de tout renverser. Par la force, c'est une évidence et ce sera sanglant si il le faut. Je m'en bats la race, vous venez de me transformer en machine à violence. Plus de respect, plus de tolérance. Cette année, vous partirez pas en vacances. »

 

 

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