Un Connard Sans Miroir

stockholmsyndrom

Je tente d'allumer ma cigarette, une, deux, trois fois. Mon briquet semble être vide. La Journée commence bien. Elle ne fait que commencer. Je remarque dans le mare de café l'absence de cette fameuse mousse onctueuse qui marque les moustachus de la blancheur de l'innocence. Ils m'ont servi un jus de chaussette, en terrasse, à deux euros cinquante, quelle ville de merde. Devant moi, les passants marchent en file indienne vers les métros bondés qui puent la sueur, pour aller travailler dans les bâtiments pleins à craquer qui suintent le labeur. Avec un peu de chance et les quelques ronds amassés, dans une vingtaine d'années, une banque acceptera de financer leur projet de pavillon à la campagne, alors ils deviendront des rats des champs, peut être est ce plus valorisant. Tout ce spectacle me débecte, les fourmilières sont à gerber, les pas aveugles et cadencés, jusqu'au fin fond de l'éternité. Marche ou crève, on te remplacera, semble leur dire le ciel gris. Les clochards assis sous nos enseignes lumineuses attendent là le dénouement. Il n'y a rien de faire à cela. Les travailleuses font semblant de ne pas les voir, certainement trop occupées à vouloir dévorer la Reine. La Reine est morte. Vive la Reine. En voilà un joli slogan. Et à leur souhait, une nouvelle pondeuse plus juteuse encore sort des entrailles de la terre. Triste hypocrisie. La nuit des temps qui nous l'enseigne. Les mêmes clodos sous nos enseignes. Les mêmes papillons qu'elles happe passent à côté sans regarder. Un vaste caillou peuplé d'insectes, voilà ce qu'est l'humanité. Nous, des insectes? Non. Des animaux? Non! Des machines! Mais les machines n'ont pas de coeur!
Bande d'enfoirés.
Je les déteste.
Je m'empare de ce foutu briquet qui me rend si misanthrope et retente ma chance. Ma cigarette s'allume. Ouf. Enfin une bouffée d'oxygène. Je crois maintenant être doté du courage nécessaire pour tremper mes lèvres dans le café, sluuurp, et immédiatement je sens des flots de bile remonter de mes entrailles, j'arrive a les stopper au niveau de la gorge et manque de m'étouffer pour la modique somme de deux euros cinquante.
Le mec qui m'avait servi était une grande tige au faciès pâle imbu d'émotion, un lassé défait qui, malgré la vue de son âge, semblait avoir capitulé depuis déjà bien longtemps.
Deux mots étaient sortis de sa bouche, le bonjour et le merci conventionnel, il avait laissé à la note le soin de m'annoncer le coup de barre traditionnel. Je siffle pour déposer plainte, je vais t'en donner moi, des couleurs. Personne ne répond, alors cette fois, je hausse le ton, tout le monde sait que le café énerve. Les autres clients tournent le regard, le cierge fini par se pointer.
Il est dégueulasse ton café, deux-cinquante pour ta merde? T'aurais pas honte par hasard?
Et je peux deviner sa honte: exposé là sous le feu des projecteurs, il en devient étrangement rouge. C'est pas l'histoire du café, juste de tous ces regards aussi puissants que des u.v.
Je vais voir ce que je peux faire.
Ouais, va voir ce que tu peux faire, où tu vas voir ce que je vais te faire.
À ces paroles, le cierge en feu acquiesce, et puis s'efface dans sa propre fumée.
Je procède à une minute de silence. Et puis quelqu'un revient.
Elle apparaît devant moi comme la vierge Marie à Lourdes, du moins, c'est l'effet que ça me fait, l'air d'être un pauvre illuminé. Ces lèvres sinueuses bougent pour balancer quelques bribes de langage qui s'évaporent loin de mes pensées, certainement des primitives, tant le bijou de femme qui se tient debout devant moi scintille. Il n'est plus question de fourmis, devant moi une taille de guêpe, et j'ai quelques idées masochistes, pique moi fort, jusqu'à la mort. Sous l'emprise de son venin, mes moyens s'égarent dans le trou béant de l'univers entier, je ne suis qu'yeux, elle, nombril, elle est de celles qui réduisent les hommes à leurs silences, qui peuvent les changer en pierre à l'aide d'un simple regard. Je dois être figé dans le marbre, parce qu'elle frappe du point sur la table, claquer des doigts n'aurait certainement pas suffit, et je reviens à mes esprits.
- Il est où le problème?
- C'est.... C'est... C'est du jus de merde... voilà.
Du tac au tac.
- Le meilleur de tout le quartier.
Je me prends à m'imaginer être Bandini devant sa Camilla, je bombe le torse, tiens lui tête ainsi que réplique bordel, t'as vu mes saillants pectoraux? Tu ne m'impressionnes pas Medusa:
- En même temps, les autres, ils font du café... Débarrasse-moi cette saloperie.
- Tu t'prends pour qui sale enfoiré? T'as cru que j'étais ta boniche?
- Alors je le payerai pas ton café.
- Oh que si tu vas le payer, sinon moi j'appelle les flics.
Après ça, elle disparaît comme une étoile filante, saupoudrant au passage tous mes sens de son parfum édulcoré. Bonté divine, qu'elle est divine. Le problème avec la divinité, c'est qu'elle se montre parfois cruelle. Mais pour qui elle se prend cette salope. J'ai rien d'Arturo Bandini, ni le goût pour la rêverie, ni la frousse des trop belles femmes. Les gens autour me dévisagent. Voilà une belle brochette de connards. Les gens vivent du jugement, vibrent au fil de l'humiliation. Je vais leur donner à manger. Je sors un bout de papier chiffonné et mon stylo fétiche, pose un mouchoir usagé et un billet de vingt euros à côté du petit mot que je viens d'écrire, puis renverse la tasse avant de m'en aller.

"Le pourlish pour le cierge, le torchon pour la concierge."


Cette ville prétend avoir une âme. En marchand dans ses sous-sols, je ne croise que des fantômes. Un homme me demande l'aumône sur un banc humide. Désolé vieux, je dois payer mon ticket. Saloperie de cierge à vingt balles, sale profiteur de ma vertu.
Un court trajet dans les tunnels, longue agonie sous les aisselles, et me voilà devant l'agence. 
Une longue journée à brainstormer, réceptionner les feedback, écouter les idées touchy et à benchmarker discrétos, le petit train train quotidien, entouré de jeunes trous du cul hautains, de vieux pervers égocentriques. Une agence de com, c'est l'endroit idéal pour les loosers sans talent qui cherchent à assouvir un culte de la personnalité, c'est la fosse à purin littéraire, l'île aux cancres échoués, reniés des pseudos élites. Je déteste la plupart de mes collègues parce que la plupart de mes collègues sont des naufragés méprisants, sans une once d'humanité. Des tas d'insectes, encore, toujours. Voici la fin de la journée. Des tas d'insectes à traverser.
Et puis j'arrive enfin chez moi. À l'agonie, je souffle un peu.
La solitude est mon repos. Rien n'est plus taiseux que sois même.
Cependant je manque d'air.
J'ouvre la fenêtre et sors une cigarette. Elle s'allume du premier coup. Devant moi, l'étendue bruyante de la cité du diable semble lui chanter des louanges sous un soleil intimidé qui fuis sur la pointe des pieds.
Le spectacle permanent de l'évolution de l'humanité.
Et quel spectacle!

J'applaudis et ferme les vitres.

Je ne supporte plus cette mascarade.

Ancun doute là dessus.

Je ne supporte plus le monde.

Et encore moins son reflet.

Le monde est peuplé de gros cons.





























Mais j'attends quoi pour le quitter?

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