Un couple au paradis.

Christophe Hulé

On est aussi bien là, dans notre jardin. Tu trouves pas ? Un vrai petit paradis. Moi j'préfère ne pas attendre celui qu'Il nous a promis, j'compte pas trop d'ssus.

Alors et d'une, t'évites de blasphémer, et de deux,c'est toi qu'il dis.

J'ai pas compris le deux.

Alors, puisqu'il faut tout expliquer, qui c'est qui s'en occupe du jardin, quant au paradis, avec toi, c'est sûr que ça dépayse !

Chérie c'est promis, l'année prochaine on voyage.

Ça fait 10 ans que tu me dis ça, depuis notre nuit de noces chez tes parents, à la ferme. J'ai comme l'impression de m'être faite avoir.

Chérie, voyager c'est un budget, et c'est pas sans risques.


Pingre et poltron en plus.

Bon, sur ces belles paroles, tu permets que j'lise mon journal, j'y trouverai peut-être des choses plus intéressantes.

« Ton » journal ? C'est le voisin qui t'le donne quand il a fini de le lire. J'ai honte, je suis sûr qu'on est la risée du quartier. T'as quand même les moyens de te payer un abonnement.

Chérie, c'est comme le co-voiturage, tu sais combien d'arbres on abat pour la presse ?

Non, et toi non plus d'ailleurs, si tu veux verser dans la mode écolo, faut pas d'mander aux autres de faire les sacrifices à ta place. Bientôt tu vas d'mander au voisin de trier nos déchets.

Bon, alors voyons le temps qu'il fera demain.

C'est ça, et t'oublieras pas l'horoscope et la rubrique nécrologique. Tu d'vrais d'mander au voisin qu'il garde les rubriques « culture » ou « débats », et j'arrête la liste pour ne pas te faire de la peine. Ça f‘ra moins de papier à jeter.

C'est vrai qu'au paradis, il y a des anges.

Je te retourne le compliment.

Vas donc faire des confitures, ou des trucs de ce genre.

Dont tu ne profites pas, bien sûr ! Demain je vais m'inscrire à un tas d'ateliers. Quand je reviendrai le soir, t'auras fait la cuisine, mis le couvert, tu veux que j'continue la liste ?

C'est pas la peine, le message est reçu 5 sur 5 mon Adjudante. Je te rappelle que le rôle de l'homme c'est de faire les petits travaux dans la maison.

Laisse-moi rigoler, t'as dû vaguement fréquenter le marteau ou le tournevis avant notre mariage. Si je n'prends pas la perceuse pour accrocher mes cadres, autant attendre les calendes grecques.

Si je comprends bien je suis pingre, poltron, et maint'nant bon à rien.

C'est bien, je vois que tu suis, ça m'encourage à continuer.

Bon, ben moi j'vais faire un tour.

A l'est d'Éden.

Très drôle.

N'oublies pas ton GPS, et le portable pour appeler le 17, on sait jamais.

Tu fais tout ça pour que je t'emmène dans des coins exotiques.

Ben ouais, comme tous les ans, mais j'vois bien qu'c'est pas une bonne stratégie.Si j'te tanne encore dix ans de plus, on ira p't'être au lac à 30 km d'ici.

Quelle plaie !

J'te l'fais pas dire.

Je parie que c'est ta mère qu'est derrière tout ça.

Tu rigoles, ma mère a un peu d'jugeote, elle sait reconnaître les causes perdues.

T'as toujours le dernier mot.

Eh oui, ça fait partie de mes nombreuses qualités.

Et modeste avec ça !

Je suis pragmatique, si j'attends un compliment de ta part, c'est comme pour les cadres. C'est comme les mauvais patrons, on les voit jamais tant qu'on a pas fait une connerie.

Tu parles d'une analyse.

J'ai dit les « mauvais » patrons. Comme il y a de « mauvais » maris.

Oui ben là c'est la saison des foins, je vais chez mes parents.

Aucun problème chéri, mais tu me laisses ta carte bancaire, moi j'irai bien à la Baule.

Tu rigoles, comment j'vais faire si j'ai plus d'carte.

Chéri, autour de la ferme, y a aucun commerce, ne parlons pas des distributeurs automatiques. Et puis ne charge pas ta valise avec le portable et l'ordi, y a pas d'réseau non plus.

Dis qu'mes parents sont des ploucs ?

C'est toi qui interprètes, j'ai jamais dit ça. Je parlais de leur environnement.

Bon, j'vais faire ma valise.

Pas besoin de louer une fourche, il y en a sur place.

Très malin, je déclare officiellement délocaliser mon paradis.

Comme un patron voyou. Au fait chéri, à ton retour, tu prendras une bonne douche et tu mettras les patins.

Bon allez j'en peux plus, je prends l'Audi et j'me barre.

Ah non chéri, tu vas la bousiller là-bas, tu prends la mini, elle fera l'affaire.

Alors adieu si c'est comme ça.

Me fais pas des fausses joies, au bout d'une semaine t'en auras marre de manger des fayots.

J'vois bien qu't'auras toujours le dernier mot !

Signaler ce texte