Un feu dans la neige

chatoune

Un feu dans la neige

Les arbres dépouillés se découpent sur le ciel blafard. Une journée d’hiver froide s’annonce depuis ce matin, à voir les oiseaux engourdis posés dans les branches de sapin.

C’est un mois de février comme on n’en voit plus depuis plusieurs années. La neige s’est mise à tomber en épaisse couche,  chaque jour un peu plus.

Les seuls que ça rendent joyeux sont les enfants qui n’en finissent pas de faire des bonshommes de neige, qu’ils emmitouflent d’une écharpe à pompons et d’un bonnet rayé aux vives couleurs. Leurs cris s’entendent au loin dans ce silence poudré. Ils ont de belles couleurs à courir par ce froid en se bombardant de boules bien serrées. Par chance ce sont les vacances et ils ont bien raison d’en profiter.

Ils sont une dizaine à se poursuivre ainsi, criant, chahutant, se bousculant. Un jeune chien est venu se joindre à leurs jeux, aboyant gaiement et sautant tout autour, essayant d’attraper les flocons.

Le plus vieux, qui n’a pas dix ans, Victor, est le chef de bande. Tous doivent se rallier à son commandement. Et commander, il aime !

-« Antoine, va chercher des brindilles, on va faire un feu ! »

Et Antoine s’exécute…

-« Pauline, toi tu vas chez toi chercher des allumettes ! »

Et Pauline de courir chez elle…

-« Vincent, il faut du papier pour allumer ! Dépêche-toi ! »

Mais Vincent n’est pas aussi discipliné que ses copains. C’est piam-piam qu’il part chercher du papier. Alors Victor le rabroue et Vincent s’active un peu.

-« Les autres, cherchez tout ce qui peut brûler ! »

Des monceaux de petit bois, du carton, du papier s’accumulent aux pieds de Victor, qui se dresse comme un coq, fier d’être à ce point obéi.

Pauline réapparait le profil bas :

-« Maman n’a pas voulu me donner d’allumettes, elle dit que c’est dangereux »

-« Idiote ! Pourquoi t’as demandé ? Tu n’avais qu’à les prendre sans rien dire ! T’es bien une fille ! Pascal, vas-y, toi, et ne demande pas, les parents ne veulent jamais rien ! »

Pascal a tout juste  six ans et s’empresse de courir chez lui à la recherche d’allumettes. Le chien le suit en jappant. Hélas les jappements font sortir sa maman de la maison qui lui demande ce qui se passe.

-« Rien, je vais juste chercher des allumettes, mais Victor a dit de pas demander parce que tu voudras pas les donner. »

-« Et pourquoi te faut-il des allumettes, s’il te plait ? »

-« On va faire un bon feu pour réchauffer le bonhomme de neige ! »

-« Mais voyons, Pascal ! Si vous faites un feu, le bonhomme fondra ! Il n’est pas très malin, Victor ! »

-« T’es sûre ? Si je le dis à Victor, il va me crier dessus, et je ne veux pas ! Il dit que je suis le plus petit et que je dois faire ce qu’il dit !»

-« Attends, j’ai une idée : il t’a demandé des allumettes, je vais t’en chercher ! »

Et la voilà qui rentre dans la maison à la grande joie de Pascal qui va faire grand effet en revenant avec ses allumettes !

Maman revient une poignée d’allumettes dans la main qu’elle remet à son fils.

-« Voilà, tu lui donneras ça ! Qu’il se débrouille pour les allumer ! »

-« Merci, maman, tu es trop gentille ! »

Et Pascal part en courant, son précieux butin dans la main. Arrivé près du camp, il le donne à Victor qui devient subitement tout rouge.

-« Espèce d’imbécile ! Que veux tu que je fasse avec des allumettes si y a pas de boite pour les allumer ! T’as pas un brin de jugeote ! »

-« Ma mère a dit que tu te débrouilles pour les allumer »

-« Parce qu’en plus t’as demandé à ta mère ! J’avais dit de rien demander ! Tiens ! ça t’apprendra ! »

Une gifle vient d’atterrir sur la joue de Pascal. Tous les copains se regardent consternés. Aucun n’ose intervenir, c’est lui le chef, il sait ce qu’il faut faire !

-« La prochaine fois, ce sera une bonne raclée ! »

La joue bien marquée des cinq doigts, Pascal ne pleure pas. Il sait qu’il ne doit pas. Un garçon ne pleure pas, surtout devant Victor ! Alors qu’il s’éloigne du groupe, Pauline va le rejoindre et essaie de le consoler. Manon et Sophie s’approchent à leur tour. Elles en ont assez de la brutalité de Victor. Il faut faire quelque chose.

-« Victor, je rentre chez moi, j’ai froid » déclare Pauline.

-« Nous aussi ! » ajoutent les deux sœurs, Manon et Sophie.

-« C’est ça, partez les filles, on sera mieux entre garçons ! De toutes façons vous ne servez à rien !»

Les trois filles sourient en douce. Au passage elles prennent Pascal par la main et le ramène chez lui.

Les voyant arriver, sa mère ouvre la porte et voit la joue empourprée de Pascal.

-« Que t’est-il arrivé ? »

-« C’est Victor, madame, il lui a donné une gifle » déclare Pauline.

-« Oui, c’est toujours comme ça, quand on fait quelque chose qui lui plait pas» ajoute Manon.

-« L’autre jour, il m’a tiré les cheveux parce que je ne voulais pas qu’il copie mes devoirs ! » renchérit Sophie.

-« On en a marre ! On ne veut plus jouer avec lui, mais si on le laisse, il va sans arrêt nous embêter à l’école. On ne sait pas quoi faire… »

La maman de Pascal n’en revient pas et reste sans voix.

-« Entrez tous les trois, je vais vous faire un chocolat chaud, vous en avez bien besoin ! »

Tout en préparant le chocolat, la mère de Pascal réfléchit. Que faire pour calmer ce méchant Victor. S’il est méchant c’est que quelque chose le perturbe…

-« Voilà, les enfants ! Buvez bien chaud, et on retournera ensemble voir vos amis ! »

-« Non, maman, je veux pas y aller ! Ils vont se moquer de moi si tu viens aussi ! »

-« Ne t’inquiète pas… »

Tout en dégustant leur boisson revigorante, les enfants se regardent. Ils se doutent que la maman de Pascal a une idée.

-« Vous avez fini ? Alors on y va !  Allez, venez ! »

Attrapant un cabas, elle y fourre une bouteille Thermos remplie de chocolat chaud, des gobelets en plastique et la boîte d’allumettes qui fait défaut à Victor.

Sur le chemin, personne ne parle, les enfants un peu angoissés se demandent ce qui va se passer. Ils se rassurent malgré tout en voyant la maman sûre d’elle. Il ne faut que quelques minutes pour arriver dans le grand pré enneigé où se tiennent les enfants chahuteurs. S’arrêtant pour les regarder, la maman ne peut que sourire. A les voir s’égailler dans la neige, ils ne peuvent pas être si méchants, quand-même !

C’est Antoine qui les voit en premier et donne l’alerte.

-« Victor ! Regarde ! Ils ont été cafarder ! »

-« Bouge pas… Attend, laisse les  arriver… »

-« Bonjour, les enfants ! Vous devez avoir froid, je vous ai apporté du chocolat chaud ! Ca vous dit ? »

Tous sont restés bouche bée. Ils s’attendaient à un sermon, assez mérité, au fond… Et voilà qu’on leur propose un chocolat chaud ! Debout, dégoulinant de neige fondante, ils ont bien piètre allure, ces soi-disant méchants garçons !

-« Allez ! Asseyons- nous sur ces troncs d’arbres, nous serons mieux ! Je vois que vous avez préparé un bûcher, quelle bonne idée ! J’ai justement des allumettes dans mon sac, ça vous dirait de l’allumer ? Victor, tu es le plus âgé, à toi l’honneur ! Ensuite nous dégusterons notre boisson bien chaude »

Victor ne sait plus quoi penser. N’osant pas regarder ses camarades, il prend les allumettes et se met à allumer le feu. Une fumée épaisse due au bois mouillé s’élève doucement. Un silence plane alentour…Les trois filles jettent un regard à la maman de Pascal qui leur fait un clin d’œil, elles lui sourient, elles ont compris…

Des flammes maintenant animent ce grand feu de joie. Victor se redresse et se dirige vers la maman de Pascal :

-« Merci, madame… »

Puis se tournant vers Pascal :

-« Je te demande pardon, Pascal, d’avoir été méchant avec toi. Quand je vous ai vus arrivés tout à l’heure, j’ai cru que t’avais tout raconté à ta mère, mais je vois bien que non, sinon elle nous aurait grondés au lieu de nous donner du chocolat. »

Pascal lui adresse un sourire reconnaissant, se lève et lui serre la main.

-« Maintenant, on sera copains ? »

-« Oui, je te le promets, et tous les autres aussi. Je n’embêterai plus les filles et je ne serai plus méchant. »

Regardant la maman de Pascal, il ne sait quoi lui dire… mais elle a compris.

-« C’est bien Victor de t’excuser, c’est très courageux et je sais que tu es très courageux. Mais vois-tu, tu as dix ans et à cet âge-là, on peut avoir besoin d’un adulte pour faire certaines choses, comme allumer un feu, par exemple, car c’est très dangereux. Il ne faut pas avoir honte de demander… C’est exprès que je n’ai pas donné la boîte à Pascal, pour te l’amener moi-même…Tu veux que je te dise ? Je voulais profiter moi aussi de votre feu, ça me rappelle mon enfance !

Des éclats de rire ramènent la joie au cœur de toute la petite équipe.

-« Alors, on le boit ce chocolat ?  Tiens, le chien, il y en a pour toi aussi !»

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