Un grain de folie

esprit-vagabond

Un jour, j'ai trouvé un grain de folie dans ma voiture...

Un jour alors que je lave ma voiture, je trouve une étrange petite bille. Je la prends dans la main pour la contempler et surprise, ce minuscule objet se met à parler : "Bonjour !". Sur le coup je lâche l'objet, tourne ma tête partout, et me recule pour observer le garage où je me trouve, à la recherche d'un éventuel intru. Rien, le garage est fermé, je suis seule à la maison, une maison qui plus est, se situe à la campagne, loin de tout voisinnage. Je regarde à nouveau la petite bille maintenant sur le sol, totalement ébahie. Ce truc m'a parlé ? Non, ce doit encore être dû à mon imagination débordante ! Je la ramasse et la contemple à la recherche d'une quelconque explication et là j'entends : "Vous savez, ce n'est pas très polie de m'avoir laissé tomber ainsi comme une vulgaire bille. J'apprécierai à l'avenir que vous contrôliez votre maladresse". "heu... j...je...suis dé...désolée..." m'entends-je balbutier.

— Je l'espère bien... Bon vous m'avez l'air sympatique et puis je ne dois pas me montrer difficile au vu de ma situation. J'accepte vos excuses. Pourriez-vous me ramener dans votre tête ?

— Hein... QUOI ? dans ma tête ! Je m'écrie. Ah ça non ! c'est ma tête, elle n'est qu'à moi, je n'ai pas de place pour un... un quoi d'ailleurs ?

— Ah, voilà que moi aussi j'oublie mes bonnes manières, je suis un grain de folie. D'habitude, je me trouve bien au chaud dans un cerveau mais il se trouve que j'en suis sorti...

— Un grain de folie ? C'est clair que je dois en tenir un bon compte tenu que je parle à une drôle de petite chose. Et en plus, vous êtes tombé de mon cerveau ?

— Non, pas du votre, mais j'ai bien froid à l'extérieur de mon cocon, peut être pourriez-vous me faire de la place chez votre grain de folie à vous ?

— Je m'excuse mais je refuse. Déjà qu'on me prend pour une dingue, si je rajoute un grain de folie à celui existant, cela risque de devenir une vrai pagaille. Montons chez moi, je vais vous fabriquer un petit cocon chaud et nous discuterons calmement de tout ça.

— Bonne idée, cependant veillez à ne pas trop me comprimer avec votre main, je suis du genre fragile.

— D'accord.

Et voilà que je me retrouve à monter mes escaliers laissant ma voiture à moitié propre pour discuter avec un grain de folie...N'empêche cette chose est vraiment trop mignonne. Cela à la taille d'une graine toute ronde, translucide à l'intérieur mais renvoyant toute les couleurs de l'arc-en-ciel à la manière d'un prisme. Je lui trouve une petite boîte à bijou, et le pose sur un bout de coton. Je n'en crois pas mes yeux...Suis-je mûre pour l'hopital psychiatrique ? Toute à mes pensée, le grain de folie soupire d'aise, il se plaît dans son couffin sur mesure.

— Disons que j'accepte de croire à ce que vous dites, que faisons-nous maintenant ? Je ne pense pas que cela soit bon pour vous de rester en dehors de votre cocon naturel.

— Peut-être bien, je me sens un peu patraque... Il faudrait me ramener à ma propriétaire et la convaincre de me reprendre.

— Ok mais de un, qui est votre propriétaire et de deux, pourquoi vous a-t-elle fait sortir ?

— Ma propriétaire est Christelle, vous l'avez emmenée dans votre voiture. Et pour répondre à votre deuxième question, disons que ce n'est pas conscient. Rare sont les personnes qui connaissent notre existence. Celle qui m'accueillait a connu des bouleversements dans sa vie et n'arrive pas à s'en sortir. Elle a cessé de s'écouter, de s'aimer...Il n'y avait plus de place pour moi dans sa vie et j'en suis sorti.

— C'est bien triste tout ça... Peut-elle continuer de vivre sans vous ?

— Oui, mais sans grain de folie les gens deviennent mornes, dépressifs ou agressifs. Ils sont coupés de leur enfant intérieur en fait, errant sans savoir ce qu'ils veulent vraiment car nous ne sommes plus là. On est le lien entre la personne et son enfant intérieur.

— Cela signifie que d'autres ont été dans votre situation ?

— Oui. Et c'est de pire en pire. Les gens sont stressés, anxieux... Ils oublient de lâcher prise, de rigoler, de penser à eux, de s'aimer tout simplement car cela commence ainsi, en s'aimant. — Et comment font les autres ? Il y a des gens pour les aider ?

— Oui heureusement. Certaines personnes développent le don de nous voir dans le cerveau des personnes autour d'eux. Ils peuvent même nous invoquer et nous refaire apparaître dans le cerveau de la personne si elle en fait la demande.

— Et vous comptez que je fasse de même ?

— Vous m'avez trouvé ! Et puis vous connaissez la personne en question.

— Parlons-en de la personne en question. Des Christelle j'en transporte souvent étant chauffeur de taxi...Vous n'avez pas une description ?

— Brune aux yeux bruns. De jolie yeux pleins de douceur avec un beau sourire.

— On ne peut pas dire que ça m'aide beaucoup. Savez-vous depuis combien de temps vous étiez dans ma voiture ?

— Oh... je crois que...laissez-moi réfléchir...oui je dirais trois jours.

— Bon je vais essayer de me souvenir qui est la personne en question et voir dans mon carnets de réservation. Si je la retrouve, j'essaerai de la joindre. Je ne pense pas révéler mon vrai but car elle ne voudra pas me voir sinon. Faut dire que la situation est des plus inhabituelles.

Je fonce dans mon bureau où je laisse mon carnet quand je ne suis pas en train de travailler. Je le consulte et trouve une certaine Christelle que j'ai dû ramener chez elle il y a de cela exactement trois jours. Que lui dire qui la convaincra de nous rencontrer ? Ce n'est pas une personne que je transporte habituellement....Bon je n'ai qu'à me rendre chez elle directement, j'improviserai une fois là-bas. Si j'en crois ce que m'a dit cette chose, elle ne doit pas se sentir bien... Il est vrai que le jour où je l'ai transportée, j'ai senti une certaine mélancolie, une blessure bien dissimulée sous ses airs tranquilles et sympathiques. Je prends mes affaires, mes clés ainsi que mon nouvel ami, et descend dans le garage. J'explique à ce petit grain de folie mon intention de me rendre chez elle. Il est enthousiaste, "cette solution demande justement un grain de folie" me dit-il. Il n'a pas tort...

Je conduis tranquillement jusque chez Christelle tout en me triturant les méninges sur une technique d'approche. Quand bien même je saurais la convaincre que ce truc est son grain de folie, il faut encore le renvoyer dans son cerveau, et faire en sorte qu'elle le conserve. Oh lala, je sens que c'est compliqué. J'arrive enfin sur son parking. Je suis très nerveuse. J'essaie de me calmer, d'éxécuter des respirations sensées me détendre... Rien à faire, j'hyperventile et c'est donc pire... Bon quand faut y aller, faut y aller, autant elle ne sera pas chez elle !

Je sonne, elle m'ouvre. Elle est surprise de me voir. Tu m'étonnes, on ne s'est vu qu'une fois ! Je lui demande si je peux entrer, que j'ai une chose à lui dire. Elle me regarde étrangement mais m'invite poliment en me proposant un café. J'accepte mettant à profit le temps pour trouver une amorce à mon problème. Amorce que je n'ai pas été fichue de trouver durant le trajet en voiture alors maintenant sous la pression... Cela me rappelle qu'une personne que j'estime, m'a dit il y a quelques temps de faire ce que je savais faire et non ce que je ne sais pas faire. Sans le contexte cela semble couler de source, mais croyez-moi ce n'était pas le cas. Bref, en cet instant fatidique, je décide donc de faire ce que je sais faire le mieux : mettre les pieds dans le plat (c'est ma spécialité!) :

— J'ai trouvé un objet t'appartenant dans ma voiture et je tenais à te le ramener.

— C'est gentil de ta part mais il ne me semble pas avoir perdu quoi que ce soit...

— Regarde-le, peut être ça te dira quelque chose.

Je sors donc ma petite boite et l'ouvre devant ses yeux. Elle semble stupéfaite puis me regarde d'un air soupçonneux :

— C'est une blague ? Il n'y a rien dans ta boîte.

— Comment ? tu ne vois pas le grain de folie ?

— Le quoi ???

— Ce n'est pas possible, elle ne te voit pas

— Je te l'avais bien dit, me répond le grain de folie, que rare sont les personnes capables de nous voir.

— A qui parles-tu ? Me demande Christelle

— Et en plus elle ne t'entend pas... Écoute...

— Non toi écoutes. Tu me fais peur là mais comme j'ai bien accroché avec toi, je te laisse une chance de sortir de ma maison et d'oublier mon adresse sinon j'appelle la police.

— La police ?

— Dehors espèce de folle !

— Folle ? Elle est bien bonne. Laisse-moi cinq minutes, j'ai une idée pour te convaincre que ce que je te dis est vrai. Elle soupire. Cette femme est gentille de nature. Je sais que j'ai ma chance.

— D'accord, mais si tu fais quoi que ce soit de suspect, je te botte les fesses et j'appelle la police.

— C'est bon. Je regarde le grain dans ma boîte et lui demande de me dire quelque chose qu'il est le seul à connaître sur Christelle. Il réfléchit, un ange passe entre Christelle et moi. Puis il me répond :

— Dis-lui que tous les soirs, elle sort une peluche de son placard qu'elle enferme à clé la journée et dort avec dans ses bras pour se réconforter.

— C'est intime comme révélation.

— Ainsi, elle ne pourra que te croire.

— Il ne reste plus que deux minutes, me dit-elle sur un ton impatient.

— Il m'a dit que tu avais une peluche dans ton placard, avec laquelle tu dors la nuit pour te réconforter. Ses yeux s'emplirent de larmes. Elle n'ose plus me regarder, elle sait que je dis la vérité...

— Que me veux-tu ? M'humilier ?

— Non, te rendre ce qui t'appartient et t'aider par la même occasion.

— Mais je n'ai rien perdu...

— Si. Cette chose que tu ne peux voir dans cette boîte est ce que l'on appelle un grain de folie. Chacun de nous en porte un dans son cerveau. Il apporte une touche enfantine à notre perception de la vie. Une manière de pouvoir rigoler, de lacher prise. Mais il arrive qu'à force de tristesse, de mauvaises décisions, on le perde. Le perdre signifie que tu ne pourras plus jamais rire, trouver de la joie, garder une âme d'enfant. J'aimerai te le rendre et t'aider à le conserver. Il est triste sans toi tu sais....

— Admettons que je crois ce que tu dis. Tu vas me le rendre comment ?

"Ah oui, la question à un million d'euros...Comment ? me dis-je mentalement, je vais faire pour le lui rendre ?". En même temps, s'il était passé par les voies dites "naturelles", elle l'aurait remarqué ? Rien que d'y penser...Berk. Tiens, j'ai une idée je vais essayer un truc que j'ai lu récemment dans un livre.

— Ouvres ta main, lui commandai-je, et fermes les yeux (donner des ordres fait croire que l'on sait alors qu'en dedans ce n'est pas le cas). Respire bien et répète après moi trois fois chaque phrase : "Je choisis d'être heureuse", "je choisis d'accueillir mon grain de folie et de le conserver".

Elle éxecute ce que je lui dis. Sa main s'illumine un court instant d'une lumière blanche qui réapparaît dans sa tête de manière tout aussi éphémère. Et elle sourit...

— Merci, me dit-elle très émue, en effet j'avais perdu quelque chose...

— Le travail n'est pas fini tu sais. Pour le garder, il faudra que tu sorte de cet état.

— Laisse-moi le temps de digérer tout ça avant.

— Je comprends. Je te donnerai juste un conseil, ou plutôt une marche à suivre : répète ces phrases positives au moins une fois par jour, avant de dormir de préférence, toujours trois fois, bien concentrer, et sans aucun doute sur leur véracité. Ainsi, le grain de folie devrait pouvoir rester au chaud.

— Je vais le faire. Encore merci

— Au revoir.

Je rentre chez moi, le coeur un peu lourd. La balle est dans son camp à présent.

Quelques jours plus tard, le téléphone sonne. C'est Christelle. Elle réserve une place pour un prochain trajet. Elle semble hésiter...

— Tu sais j'ai réfléchi. J'ai décidé qu'il fallait que tout cela cesse. J'ai pris les choses en main. Je sais que cela me prendra du temps. Et surtout, je te remercie. On pourrait se voir ce week end, on mange ensemble et on se regarde un film !

— Ok, ça marche ! Samedi ?

— Samedi oui. A bientôt !

— A bientôt !

Le téléphone raccroché, je souris. C'était vraiment une folle aventure ! Des fois je me demande si je n'ai pas rêvé. Enfin, rêve ou pas, les choses de la vie doivent être faites et je dois sortir faire des courses sur le marché. Je prends donc ma voiture et une demi heure après, j'arrive sur le marché. Au moment où j'allais pour me diriger à un stand de fruits, j'entends une toute petite voix : "Eh oh, regarde où tu marches ! T'as failli me piétiner ! ". Je me retourne, personne... Je regarde à mes pieds et je vois... un petit grain de folie !


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