UN GUIDE

Johann Corbard

Note d’intention

En octobre 2010, le législateur accouchait d’une loi légèrement hypocrite   -puisqu’elle n’exprime pas le fond nauséeux de sa pensée- interdisant le port du voile : "nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". C'est ainsi que l'Etat français répondait aux craintes exprimées par une partie de la population, souvent désœuvrée, préférant ainsi désigner un coupable aux maux de la société plutôt que d'essayer d'en résoudre les difficultés.

Je vivais et je vis encore en ville, je croisais et je croise encore des femmes vêtues d’un Niqab. Mon regard est toujours attiré par le mystère qu’elles dégagent, par l’étrangeté que représente cette tenue pour le citoyen athée que je suis. Mais je ne me suis jamais senti agressé, menacé, en danger. Ces femmes ne me font pas particulièrement peur et la religion dont elles revêtent la croyance ne me semble en France pas plus dangereuse que d’autres. Pas moins non plus, je ne suis pas naïf.

Par ailleurs, mes différents voyages touristiques  m'ont fait prendre conscience que beaucoup de gens ne visitent plus les lieux chargés d'histoire et de culture, ils les consomment. Les rues commerçantes sont bondées, une petite photo de la cathédrale historique et on passe au rayon boutiques. Ces lieux se sont adaptés: pas une ruelle sans ses cafés, ses restaurants, ses boutiques souvenirs et ses marchands de glaces.

Un Guide est né de cet état des lieux. J'ai inventé cet univers où la peur a poussé les législateurs à édicter des lois de plus en plus restrictives, au point de voir disparaître toutes les religions. La place pour le spirituel est libre mais fragilisée et donc menacée d’extrémisme.

J’ai crée un monde où la religion dominante est devenue celle de la consommation de masse (Est-ce si éloigné de la réalité?) mais où le besoin de "vivre ensemble" et de se retrouver collectivement, bien que mis à mal durant ces dernières années, est toujours vital. On se retrouve autour des lieux qui n'ont de sacré que leur capacité à réunir les gens, quelques en soient les raisons.

J’ai voulu traiter ce sujet d’une manière ironique, décalée, cynique, ne pas dramatiser mais plutôt jouer sur l’humour et l’insolite pour désacraliser nos peur.

Création

Une création de ce texte est envisagée en 2012 avec la Cie  de théâtre « des Trois Petits Points de Suspension », basée à Nantes. La mise en scène sera frontale, les titres des scènes seront projetés sur un fond noir et il y aura très peu d'éléments de décor sur scène. Le jeu des comédiens devra être le plus naturel possible avec beaucoup de travail sur le choeur (le groupe).

Les costumes des personnages de Touristes seront très proches les uns des autres, accuentant ainsi l'uniformité du monde dans lequel ils évoluent.

Le texte connaîtra quelques modifications et ajustements lors des séances de lecture avec les comédiens.

Partager ce texte avec les membres de la Communauté WeLoveWords est un bon moyen d’échanger autour de cette création, de la faire connaître.

J’ai également décidé de proposer ce texte pour le Concours d’écriture théâtrale afin d’obtenir (pourquoi pas) un financement qui serait fort utile à cette création.

UN GUIDE

 

Comédie noire

 

de Johann Corbard

PERSONNAGES :

-       LE GUIDE

-       TOURISTE UN

-       TOURISTE DEUX

-       TOURISTE TROIS

-       TOURISTE QUATRE

-       TOURISTE CINQ

-       TOURISTE SIX

-       TOURISTE SEPT

-       POLICIER UN

-       POLICIER DEUX

 


LE CENTRE COMMERCIAL

Le Guide entre accompagné de Sept Touristes.

LE GUIDE : Par ici ! Suivez-moi ! Devant vous, donc, vous pouvez voir se dresser, magistral et fier, notre centre commercial.

LES TOURISTES : Oh !

TOURISTE SIX : Quand il parle, on dirait un livre. Et pourtant je n’ai jamais vraiment aimé lire ! Même le Livre Unique est une vraie torture pour moi !

TOURISTE CINQ : Oui, je crois que nous avons choisi un bon guide.

LE GUIDE : Ce centre commercial fut inauguré il y a cinquante ans déjà. Il abrite le plus grand fastfood de la ville ainsi qu’une grand surface. Mais là, je ne vous apprends rien !

LES TOURISTES : Ah ah ah !

LE GUIDE : Il est bien sûr prévu que vous puissiez tous y faire vos achats une fois la visite terminée. Une liste de courses obligatoires vous sera d’ailleurs fournie.

TOURISTE UN : Ah !

TOURISTE DEUX : C’est vraiment bien organisé !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE QUATRE : Bravo !

TOURISTE CINQ : Je peux vous prendre en photo ? Chérie ! Mets-toi à côté du guide pour une photo devant le centre commercial !

TOURISTE SIX : Comme ça ?

LE GUIDE : Cette photo vous sera facturée en plus à la fin de la visite.

TOURISTE CINQ : J’espère bien ! Ah ah ah ! Chérie ? Et voilà !

LE GUIDE : Il vous est bien sûr vivement conseillé d’acheter plus que ce qui est inscrit sur cette liste.

LES TOURISTES : Ah ah ah !

LE GUIDE : Des hôtes et hôtesses vous accompagneront durant vos emplettes pour que vous ne passiez pas à côté des bonnes affaires du moment.

TOURISTE UN : Ah !

TOURISTE DEUX : Décidément, c’est bien organisé ! Difficile de faire mieux !

TOURISTE QUATRE : ça c’est bien !

TOURISTE CINQ :  C’est sûr !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE DEUX : On n’avait pas ce genre de service à Paris !

TOURISTE UN : C’est clair ! Il a fallu se débrouiller seuls ! Et quand on voit comment c’est grand ! On ne savait pas quoi acheter !

TOURISTE DEUX : Il est essentiel de choisir un bon guide, croyez-moi !

LE GUIDE : Un petit conseil d’achat, peut-être ? Le bon plan du moment ?

TOURISTE SIX  : ça oui alors !

TOURISTE CINQ : Avec plaisir !

TOURISTE TROIS : Carrément ! ça c’est du guide !

TOURISTE QUATRE : Ah, ça c’est gentil !

TOURISTE CINQ : Vous feriez cela pour nous ?

TOURISTE SIX : Je suis sûr qu’il fait ça parce qu’il trouve notre groupe agréable !

TOURISTE UN : C’est vrai qu’on a été un groupe vraiment très sympa depuis le début de la visite !

TOURISTE DEUX : Pour le groupe hip hip hip ?

LES TOURISTES : Hourra !

TOURISTE TROIS : Et pour notre guide hip hip hip ?

LES TOURISTES : Hourra !

TOURISTE CINQ : Les guides ici sont vraiment de qualité ! Il ne faudra surtout pas oublier de contracter un nouveau prêt auprès de nos banquiers afin de lui laisser un pourboire !

TOURISTE SIX : Je les appelle !

Le Touriste Six s’éloigne pour passer un appel.

LE GUIDE : Alors mon conseil…

TOURISTE UN : Chut !

TOURISTE DEUX : Il faut écouter là !

TOURISTE TROIS : Silence !

LE GUIDE : Vous vous rendrez au magasin de chaussures qui se trouve au deuxième étage. Vous dites que vous venez de ma part. Et vous pourrez ainsi acquérir le tout nouveau modèle de chaussures de ski de la marque « Dernier cri ».

LES TOURISTES : Ah !

TOURISTE UN : La marque « Dernier cri » ? Ils font des chaussures de ski maintenant ?

TOURISTE TROIS : On dirait bien, oui !

TOURISTE UN : Je l’ignorais ! Vous voyez ce pantalon ? Et bien c’est du « Dernier cri » !

TOURISTE TROIS : Ah ! Je me disais aussi…

TOURISTE UN : Je l’ai payé une fortune !

TOURISTE TROIS : Je vous crois volontiers ! Qui ne vendrait pas un être cher pour se payer du « Dernier cri » !

LE GUIDE : Au-delà de leur design incomparable et des envieux que vous ferez sur les pistes, ce qui en soit représente déjà beaucoup, il est de plus prévu que ceux et celles qui porteront durant l’hiver ce modèle incroyable, de chez « Dernier cri »…

TOURISTE UN : Oh !

LE GUIDE : Les heureux élus bénéficieront d’un accès illimité à tous les centres commerciaux des stations de sport d’hiver !

TOURISTE UN : Ouah ! Et bien !

TOURISTE CINQ : Merci du tuyau ! ça c’est une sacrée affaire à faire !

TOURISTE QUATRE : Il me les faut absolument !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE CINQ : Du coup on va aller au ski ! Ce n’était pas prévu mais là, du coup… Chérie ! Appelle les banquiers !

TOURISTE SIX : Je suis déjà au téléphone avec eux !

LE GUIDE : Et quand on sait tout ce qu’un centre commercial de station de ski peut nous apporter comme joie et comme pouvoir d’achat…

TOURISTE DEUX : ça c’est sûr !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE CINQ : Il paraît, oui !

TOURISTE DEUX : C’est vrai, j’’ai déjà entendu ça quelque part !

TOURISTE UN : Mais oui, souviens-toi, c’était notre moniteur de ski imposé par la station qui nous disait la même chose l’hiver dernier !

TOURISTE DEUX : Mais oui, c’est vrai ! « Joie et pouvoir d’achat ! »

TOURISTES UN et DEUX : Ah ah ah !

TOURISTE DEUX : Maintenant qu’ils ont mis des centre commerciaux sur les pistes de ski, c’est beaucoup plus pratique !

TOURISTE UN : Oh oui oui oui ! C’est pour dire, nous ne faisions pratiquement plus de ski ! Sauf pour nous rendre au centre commercial !

TOURISTE QUATRE : Ce devait être de belles vacances !

TOURISTE SIX : Chéri ! La banquière souhaite savoir si nous préférons lui vendre la voiture ou annuler l’inscription payante de notre fils dans sa faculté privée ! Pour pouvoir payer le ski ! Qu’est-ce que je lui réponds ?

TOURISTE CINQ : Je n’en sais rien, moi ! ça ne peut pas attendre ?

TOURISTE SIX : Je ne vais quand même pas annuler nos vacances au ski parce que tu ne sais pas quoi me répondre !

TOURISTE TROIS : Vous n’avez qu’à demander à notre guide !

TOURISTE CINQ :  Tiens pourquoi pas ! Monsieur le guide, que feriez-vous si vous étiez dans ma situation ?

LE GUIDE : Cela demande une certaine réflexion… Une telle décision ne peut pas être laissée au libre arbitre du hasard.

TOURISTE TROIS : Décidément, vos paroles semblent toujours toucher du doigt le fragile bruissement de la vérité profonde. Je suis admiratif !

TOURISTE QUATRE : Cela s’entend ! Votre langage en devient pathétique ! Qu’est-ce qu’il vous prend  de parler ainsi ?

TOURISTE TROIS : Je l’ignore, cela m’est venu comme ça. J’avais envie que le moment soit marqué d’une certaine solennité. Les paroles de notre guide m’apportent un réconfort, un bien-être. J’en suis le premier surpris !

TOURISTE CINQ : C’est sûr… Le hasard, c’est dangereux… Donc que me conseillez-vous ?

LE GUIDE : Vous êtes venus en ville en voiture, n’est-ce pas ?

TOURISTE CINQ : Oui…

LE GUIDE : Vous comptez bien sûr faire de nombreux achats ?

TOURISTE CINQ : Bien entendu !

LE GUIDE : Vous aurez donc certainement besoin de votre voiture pour rentrer chez vous et rapporter tous vos achats..

TOURISTE CINQ : Mais oui, vous avez raison. Chérie ! On garde la voiture !

TOURISTE SIX : D’accord ! On garde la voiture, madame la banquière. Oui, c’est mon dernier mot. Merci ! Au revoir. C’est bon ! On va pouvoir aller au ski !

TOURISTE UN : Tu entends ça ? Ils vont y aller, eux ?

TOURISTE DEUX : Mais ne t’inquiète pas ! On ira, nous aussi ! Je suis sûr que notre banque nous proposera un bon prix pour la maison.

TOURISTE UN : C’est vrai ? Tu ferais ça pour moi ?

TOURISTE DEUX : Je ferais tout pour te voir sur les pistes avec ces fameuses bottes « Dernier cri ».

TOURISTE UN : Oh ! Mon amour !

LE GUIDE : Je continue la visite. Avant d’être le centre commercial que tout le monde connait, ce lieu était une cathédrale.

TOURISTE CINQ : Une quoi ?

TOURISTE UN : Hein ?

TOURISTE DEUX : Qu’est-ce qu’il a dit ?

TOURISTE SIX : Je n’ai pas bien entendu.

TOURISTE QUATRE : Je sens que ça va commencer à être ennuyeux, là…

TOURISTE TROIS : Carrément !

LE GUIDE : Cela fait partie de la visite, messieurs dames ! Vous avez choisi l’option du récit historique.

TOURISTE QUATRE : Vous en êtes sûr ? On a du la prendre parce que c’était payant. On n’a pas fait attention.

LE GUIDE : Je vous résume très brièvement l’historique. Il s’agissait donc d’une cathédrale. La Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul. Elle fut édifiée entre 1434 et 1891 et son style architectural est gothique.

TOURISTE TROIS : Vivement la fin qu’on aille faire nos achats !

TOURISTE QUATRE : J’achèterais bien un truc là, maintenant ! Il n’y a rien à acheter par ici ?

TOURISTE TROIS : Je n’en ai pas l’impression. C’est interminable !

LE GUIDE : Je continue. Elle servait auparavant à un groupe de personnes appelée « Communauté chrétienne ». Ils se réunissaient ici afin de prier, célébrer les naissances, les unions ou les décès et pour d’autres rituels je crois.

TOURISTE QUATRE : C’est encore long ?

TOURISTE TROIS : Il n’y avait rien à vendre ?

TOURISTE DEUX : Ils venaient là sans rien acheter ?

LE GUIDE : Rien à vendre. Rien à acheter. Ils se réunissaient gratuitement, pour partager ensemble des moments de vie, de joie ou de tristesse.

TOURISTE UN : Cela devait vraiment être très étrange, très particulier cette période.

TOURISTE DEUX : Rassure toi. C’était une autre époque.

LE GUIDE : Le chef de cette communauté s’appelait le Pape. Beaucoup se sont succédés au fil des siècles. Le dernier d’entre eux fut arrêté, emprisonné et exécuté…

TOURISTE QUATRE : Ce n’est pas étonnant ! Vraiment suspect ce type ! Réunir autant de personnes sans rien avoir à leur vendre !

LE GUIDE : Il fut donc exécuté en même temps que tous les autres guides spirituels de toutes les grandes religions établies en France à l’époque…

TOURISTE TROIS : Parce qu’il y en avait d’autres ? Ils étaient plusieurs ? Mais c’était quoi ce monde ?

TOURISTE DEUX : Je n’aurais vraiment pas voulu vivre à cette époque !

LE GUIDE : Je vous parle là, bien sûr, du Calife pour la communauté musulman. L’ironie du sort pour celui-là fut qu’il était le tout premier Calife après de très nombreuses années de désaccord entre les communautés musulmanes. Il aura donc fallu attendre le déclin des religions pour qu’elles s’entendent enfin… Furent exécutés également le Pasteur leader de la communauté protestante…

TOURISTE UN : Oh lala ! Il y en a encore beaucoup ?

TOURISTE QUATRE : Ah quoi ça nous sert de savoir tout ça ?

LE GUIDE : Il y eut le Grand-Rabbin de France pour la communauté juive et enfin Antoine Desjardins pour la communauté bouddhiste même si en fait, lui n’y était pour rien. On ne l’a su qu’ultérieurement…

TOURISTE QUATRE : Tant pis pour lui ! Il n’avait qu’à pas être bouddhiniste ou je ne sais quoi !

TOURISTE SIX : Mais non, il a dit qu’il n’y était pour rien ! Vous n’écoutez pas attentivement !

TOURISTE QUATRE :C’est que je préférerais être en train de dépenser mon argent dans ce centre commercial plutôt que d’entendre ce récit !

TOURISTE SEPT : C’est incroyable ! Il y a dans notre histoire plein d'évènements que l’on ignore ! Moi j’aimerais bien qu’on nous explique l’histoire. A l’école, par exemple. Je suis sûr que ça pourrait nous être utile.

TOURISTE UN : Comment ? Mais qu’est-ce qu’il raconte, celui-là ? L'histoire à l'école ! Et pourquoi pas la philosophie pendant qu'on y est ! L'école, ce sont les mathématiques pour apprendre à gérer son budget achats, le français pour lire le Livre Unique et les catalogues des magasinst le sport parce que cela nous vide la tête de toutes ces questions que vous semblez un peu trop vous poser ! Que peut-on bien attendre d'autre de l'école ?

TOURISTE DEUX : Encore un marginal ! Il faut toujours qu’il y en ait un ! Souviens-toi, à Paris. Il y en a un qui ne voulait rien acheter ! Je peux vous dire que la Police-Militaire s’en est bien vite occupé !

TOURISTE UN : Il ferait mieux de continuer à se taire, comme depuis le début.

TOURISTE SEPT : J’ai quand même le droit de poser des questions, non ? A quoi peut bien nous servir un guide si on ne lui pose pas de questions ? Il est bien là pour nous guider, non ?

TOURISTE UN : Non mais dites donc, jeune homme ! Pour qui vous prenez-vous ?

TOURISTE DEUX : Est-ce que c’est une manière de parler, ça ?

TOURISTE UN : Je sais très bien ce qu’est un guide !

TOURISTE QUATRE : Et nous on le droit de ne pas vouloir subir vos questions ! On veut acheter, pas écouter vos simagrées !

TOURISTE CINQ : Peut-être voulez-vous prendre la place de notre guide, pendant que vous y êtes ?

TOURISTE TROIS : Comme si tout le monde pouvait être guide ! ça ne s’improvise pas !

TOURISTE SEPT : Mais je n’ai aucun problème avec le guide, moi ! Je le trouve très bien et je trouve cela intéressant qu’on parle un peu d’histoire, qu’on comprenne pourquoi et comment on en est arrivé là. Ça ne vous intéresse pas, vous ?

TOURISTE TROIS : On en est arrivé là parce qu’on a choisi ce guide à l’hôtel. On l’a choisi parce qu’il a prévu de nous emmener faire des achats au centre commercial.

TOURISTE SEPT : Je parlais des hommes ! de la France ! De cette cathédrale ! Je le sais très bien comment on est venu ici !

TOURISTE TROIS : Et bien oui, à pieds !

TOURISTE SEPT : Exactement ! A pieds !

TOURISTE UN : Ne faites pas votre petit malin à tout savoir mieux que les autres, jeune homme ! Nous savons tous que nous sommes venus de l’hôtel à pieds !  

LE GUIDE : On se calme, messieurs dames ! On se calme ! Tenez ! J’ai une petite anecdote rigolote à vous raconter.

TOURISTE QUATRE : C’est payant ?

LE GUIDE : Ce n’était pas prévu mais… Allez ! Oui ! Je vous la facture !

TOURISTE QUATRE : Bon d’accord ! Allez-y ! Racontez votre anecdote rigolote !

LE GUIDE : Sachez que l’Etat fit preuve pour l’époque d’un humour particulièrement bien senti pour exécuter les grands leaders religieux dont je vous parlais, le pape, le Pasteur, et cætera, puisque chacun d’entre eux fut éliminé selon un rituel très légèrement détourné de sa propre pratique religieuse. Ainsi le Pape fut noyé dans une baignoire d’eau bénite…

TOURISTE TROIS : C’est quoi de l’eau bénite ?

TOURISTE QUATRE : Chut ! Vous n’allez pas vous mettre à poser des questions, vous aussi ! Qu’on en finisse !

LE GUIDE : Le Calife quant à lui fut emmailloté et étouffé dans un turban après un ramadan forcé de trois mois…

TOURISTE CINQ : Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, là !

TOURISTE QUATRE : Mais chut !

TOURISTE DEUX : Silence ! Qu’on en finisse !

LE GUIDE : Le Grand-Rabbin fut circoncis une deuxième fois et ce jusqu’au nombril, et cætera et cætera… Bref, ils avaient beaucoup d’humour à l’époque.

TOURISTE UN : Oui bof ! Moi je ne trouve pas ça très drôle !

TOURISTE DEUX : Tu peux même dire que c’est chiant, oui !

TOURISTE TROIS : Carrément ! Exactement ! Je m’attendais à une anecdote un peu plus surprenante. Mais bon, on a payé, hein ?

TOURISTE SEPT : Pourquoi tant d’acharnement contre ces hommes ?

LES TOURISTES : Oh !

TOURISTE SEPT : Je pose les questions que je veux ! Moi aussi j’ai payé et si vous aviez bien lu le contrat, vous auriez vu que les questions sont autorisées et facturées !

TOURISTE DEUX : Mais nous aussi on a envie de poser des questions ! C’est juste que vos questions sont ennuyeuses !

TOURISTE UN : Enfin, libre à vous de payer pour des questions aussi inintéressantes !

TOURISTE QUATRE : Oui mais libre à nous de ne pas les supporter, monsieur !

LE GUIDE : Mesdames et messieurs ! S’il vous plaît !

TOURISTE UN : Excusez-nous, guide ! Mais on essaye de vous défendre, vous comprenez ?

LE GUIDE : ça va aller. Ne vous inquiétez pas. Comme vous le savez, cette cathédrale n’est plus un lieu de culte…

TOURISTE SIX : N’est plus un lieu de culte ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

TOURISTE CINQ : Arrête avec tes questions, toi aussi !

TOURISTE SIX : Mais j’essaie de m’intéresser. Je te rappelle que chaque question que l’on pose est facturée ! Imagine si à la fin de la visite les autres ont posé plus de questions que nous ! De quoi on aura l’air ? Je te le demande !

TOURISTE CINQ : Alors c’est un lieu de… ?

LE GUIDE : De culte. Les lieux de cultes comme cette cathédrale, les mosquées, les temples, et cætera, étaient des endroits où les personnes se retrouvaient pour célébrer un culte, une croyance commune…

TOURISTE TROIS : Non, moi je ne vois toujours pas !

TOURISTE QUATRE : Moi non plus. Mais est-ce que c’est vraiment important ?

LE GUIDE : Le culte, c’est tout ce que ces gens faisaient pour rendre hommage à une divinité.

TOURISTE QUATRE : Bon moi je ne comprends rien ! Mais je suis d’accord avec ce que vous dites. Tout le monde est d’accord ? On peut passer à la suite ?

TOURISTE DEUX : Ah oui, bonne idée ! La suite ! Les achats !

TOURISTE SEPT : Comment rendaient-ils hommage à leur divinité ?

TOURISTE QUATRE : Mais ce n’est pas vrai ! A ce niveau là, cela s’appelle de la provocation !

TOURISTE DEUX : Mais vous allez arrêté avec vos questions ? Qu’est-ce que vous voulez prouver, au juste ? Que vous êtes le plus riche, peut-être ? Que vous pouvez poser un nombre illimité de questions ?

TOURISTE CINQ : Nous ne faisons aucun complexe, monsieur ! Nous avons une seconde voiture que nous pouvons céder à la banque quand ça nous chante ! Nous pouvons donc nous aussi poser toutes les questions absurdes qui nous passent par la tête ! Mais nous préférons juste dépenser notre argent d’une manière utile, pour quelque chose qui en vaut vraiment le coût ! Comme les bottes, par exemple !  

LE GUIDE : Je réponds brièvement, ne vous inquiétez pas. Ils se réunissaient et dans à peu près toutes les religions, ils faisaient des prières, des gestes spécifiques, ils chantaient,…

TOURISTE SIX : Ah d’accord ! Je comprends ! Ils se retrouvaient pour chanter ! C’était comme un karaoké, en fait !

TOURISTE UN : Vous voyez, là on comprend mieux ! Du coup, ça devient presque intéressant !

LE GUIDE : La vente des lieux de culte… Des lieux de chanson. Vous comprenez mieux expliqué comme ça ?

TOURISTE QUATRE : Et bien oui ! Les chansons, on sait ce que c’est au moins !

LE GUIDE : La vente de cette cathédrale ou encore de la grande mosquée de la ville, qui abrite aujourd’hui la patinoire et le multiplex cinématographique, fut en fait une conséquence de la mise en application de toute une série de lois qui visaient à interdire les symboles, les gestes, les paroles, les tenues, les insinuations, les incitations, les regards, les odeurs et les silences à caractère religieux.

TOURISTE TROIS : Les odeurs à caractère religieux ? Qu’est-ce que ça signifie au juste ?

TOURISTE QUATRE : Que les religions avaient une odeur tout simplement ! J’imagine que la catholique sentait l’eau bénite et la musulmane devait sentir le ramadan. Il ne faut trop chercher. C’est vieux tout ça !

TOURISTE TROIS : Oui, c’est vrai. Je voulais juste moi aussi poser une question. Il n’y a pas de raison, après tout !

TOURISTE SEPT : Que sont les silences à caractère religieux ?

TOURISTE DEUX : Et bling bling ! On voit que certains veulent dépenser plus !

LE GUIDE : Les silences à caractère religieux sont évoqués dans l’une des dernières lois de la série. La plus efficace, également. Certains silences étaient beaucoup trop gênants. Ils troublaient l’ordre public. Cette loi fut votée suite à des marches silencieuses organisées par des groupes de résistants religieux. Ils revendiquaient le droit à pratiquer librement leur culte. Ils défilaient dans la rue.

TOURISTE TROIS : Ils défilaient dans la rue ? Vous voulez dire dans l’espace public ? Là où nous nous trouvons maintenant ? Là où je mets les pieds ?

Le Touriste Trois prend des photos du sol. D’autres Touristes se mettent à l’imiter.

TOURISTE SIX : Pourquoi l’Etat fit-il preuve de tant d’agressivité alors que nous sommes dans un pays libre ? Quel danger y avait-il à exprimer ainsi une opinion religieuse ?

TOURISTE CINQ : Elle a posé deux questions, là ! Il ne faudra pas oublier de facturer les deux !

LE GUIDE : C’était différent à l’époque. Certains groupuscules essayaient régulièrement d’imposer leurs lois divines en lieu et place des lois de notre chère République-Démocratique. Le Livre Unique n’existait pas encore.

TOURISTE SEPT : Mais comment faisaient-ils ? Et pourquoi faisaient-il tout cela ? Ils voulaient certainement exprimer quelque chose !

TOURISTE QUATRE : Oh, c’est bon ! On ne va pas épiloguer ! Tout ceci est révolu depuis bien longtemps ! Et encore heureux qu’il en soit ainsi ! Dans quel monde vivrions-nous ? Je vous le demande !

TOURISTE TROIS : Un monde où il n'y aurait pas de magasins dans les cathédrales !

TOURISTE QUATRE : Il est clair qu'il vaut mieux ne pas chercher à imaginer.

TOURISTE SIX : Mais moi ça m’intéresse aussi ! Cela fera beaucoup plus de choses à raconter lors des soirées avec nos amis. C’est très important d’avoir toujours un peu plus de souvenirs de vacances que les autres !

LE GUIDE : Comment faisaient-ils ? C'était ça votre question ? Et bien je n’ai pas tout étudié mais certains chantaient dans la rue ou priaient, debout ou à genoux…

TOURISTE CINQ : Il y avait des gens partout dans la rue, à genoux ? C’est difficile à imaginer !

LE GUIDE : C’est vrai. D’autres distribuaient des documents dans la rue ou demandaient de l’argent pour les pauvres…

TOURISTE DEUX : Ah ! Il fallait quand même payer ! Je me disais aussi…

TOURISTE UN : Voyons ! Ils ne pouvaient pas être qu’un ensemble de personnes totalement hallucinées. Il y en avait certainement parmi eux qui avaient le sens des responsabilités et qui n’oubliaient pas de faire payer !

LE GUIDE : Certains portaient des vêtements avec des signes religieux, des croix par exemple. Il y avait des voiles ou ce qu’on appelait la Burqa ou le Niqab…

TOURISTE UN : Hein ? Qu’est-ce que c’est que ça, encore ?

TOURISTE CINQ : Le Niqab ? ça devient vraiment insensé ! Je ne comprends pas pourquoi nous devons écouter tout cela ! Ce qui compte, ce sont les achats, non ? Pourquoi ne sommes-nous pas encore entré dans le centre commercial ?

TOURISTE QUATRE : Mais qu’est ce que vous racontez ? Je crois que nous allons trop loin, là ! Je n’ai rien contre vous, très cher guide, je respecte même scrupuleusement votre parole ! Vous êtes un guide, tout de même ! Mais je crains que l’influence de cet homme et de ses questions pernicieuses ne nous ai fait dévier du droit chemin.

TOURISTE UN : Monsieur le guide. Retrouvons le droit chemin ! Allons dans le grand magasin.

TOURISTE TROIS : Est-ce que ça s’achète, au moins, un niqab ?

LE GUIDE : C’est important ce que je vous dis ! Il s’agit de notre histoire commune ! Cela peut vous sembler dément, mais il faut savoir qu’à l’époque, en France, les trottoirs étaient envahis de femmes encagoulées, belliqueuses et sauvages. Elles étaient fanatiques et obligeaient tous ceux qu’elles croisaient à intégrer leur groupuscule, à accepter les lois de leur religion. Plus personne n’osait sortir de chez lui par peur d’être converti !

TOURISTE SIX : Mais ça devait être une époque de terreur ! Les gens ne pouvaient même plus aller faire leurs achats ?

TOURISTE SEPT : Vous n’exagérez pas un peu là ? Je n’ai jamais entendu parler de ça ? De toute cette violence à l’époque. J’ai un bouquin chez moi et il semble que les gens vivaient plutôt convenablement ensemble. Il y avait des tensions mais apparemment ça se régulait assez bien.

TOURISTE QUATRE : C’est notre guide ! Il peut s’égarer parfois, surtout s’il est mal entouré, mais il ne peut certainement pas exagérer ! Vos interventions sont très gênantes, monsieur !

TOURISTE UN : Et inutile de vous la ramener parce que vous possédez un livre ! Je ne sais pas comment vous avez pu vous le procurer, étant donné leur prix et leur rareté, mais ce n’est pas la peine de vous en vanter !

TOURISTE DEUX : Il faut toujours qu’il y en ait qui affichent leur richesse au regard des autres ! Soyez un peu plus modeste, tout de même ! C'est indécent !

TOURISTE UN : Tu verras qu’à la fin il n’achètera rien de plus que ce qu’il y a sur la liste !

TOURISTE QUATRE : Il y en a à chaque fois des comme ça ! Et puis je croyais qu’il était interdit d’avoir des livres chez soit ! A part le Livre Unique, bien sûr !

TOURISTE DEUX : Peut-être qu’il n’est pas à lui ? Il n’a pas dit qu’il était à lui ! Il l’a peut-être volé !

LE GUIDE : Messieurs dames ! Il faut m’écouter ! N’oubliez pas que vous avez payé ! Ces femmes enturbannées défiaient ouvertement et d’une manière extrêmement agressive les représentants de l’ordre de l’Etat français, garant de notre cher et précieux principe de laïcité. C’est écrit dans Le Livre Unique, justement.

TOURISTE DEUX : Vous voyez ? C’est marqué dans le Livre Unique. Vous feriez mieux de ne pas croire tout ce qui est écrit ailleurs, jeune homme ! Et allez donc déposer votre livre dans ces lieux, là. Comment les appelle t’on déjà ?

TOURISTE SIX : Des Musées-Bibliothèques !

TOURISTE DEUX : C’est ça ! Allez donc y mettre votre livre ! Dans ces Musées-Bibliothèques ! Si tant est que ce livre vous appartient ! Je me demande d’ailleurs pourquoi ces livres n’ont pas encore été détruits ! Pourquoi n’a-t-on pas encore fermé ces Musées-Bibliothèques ? Qui cela peut-il intéresser à part des marginaux ?

TOURISTE CINQ : Les détruire ? Mais ils valent une fortune ! Vous n’y pensez pas !

TOURISTE SEPT : Peut-être existe-t-il d’autres personnes que moi qui trouvent un intérêt à fréquenter ces lieux. Peut-être que le Livre Unique a oublié de mentionner certains éléments ou n'a pas jugé utile de les raconter. Je suis persuadé que des personnes cherchent dans ces Bibliothèques les réponses aux questions qu’ils se posent ou des conseils pour mieux nous accompagner. Il est plus que probable que ce sont ces mêmes personnes qui ont le pouvoir de maintenir ces lieux ouverts.

TOURISTE SIX : N’oubliez pas qu’il existe des gens qui ont les moyens de s’en acheter !

TOURISTE DEUX : Mais qui cela peut-il intéresser ? Franchement ! Des collectionneurs fortunés qui veulent épater la galerie. Cela ne me fait ne chaud ni froid !

TOURISTE QUATRE : Moi je dis que ce n’est pas pour rien qu’il y a un Livre Unique et puis c’est tout !

LE GUIDE : Allons ! Allons ! Je sens une certaine tension entre vous ! Tenez ! Si vous êtes curieux de savoir ce qu’est un niqab, quelques exemplaires sont exposés dans la toute partie musée de notre centre commercial. Le musée des religions. L’entrée est payante, rassurez-vous, et le musée ne comprend que deux salles. Ce ne sera donc pas trop long ! Par contre, sa boutique-souvenirs de cinq cents mètres carrés, totalement climatisée, vous permettra de choisir parmi une large gamme de produits qui vous laisseront un merveilleux souvenir de votre visite dans notre chère ville ! De quoi épater vos amis !

TOURISTE SIX : Heureusement que des lois ont interdit toute ces pratiques. Ce sont ces lois qui ont permis de fermer ces lieux de débauche ? Cette cathédrale, par exemple ?

LE GUIDE : Non, bien sûr ! Chacun est libre aujourd’hui de pratiquer le culte qu’il souhaite.

TOURISTE CINQ : Le quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit ?

TOURISTE SIX : Le culte ! Les chansons en karaoké !

TOURISTE CINQ : Ah oui, c’est vrai !

TOURISTE DEUX : Mais on a fait un karaoké, nous, l’autre jour ! Souviens-toi !

TOURISTE UN : Tu crois que ça veut dire qu’on pratique du culte ?

TOURISTE QUATRE : Est-ce que vous avez payé pour faire un karaoké ?

TOURISTE UN : Oui, bien sûr ! Quelle question ! J’ignore ce que vous sous-entendez, monsieur ! C’était une soirée convenable ! Entre amis respectables ! Nous ne sommes pas de ce genre là ! Il fallait payer !

TOURISTE QUATRE : Alors ce n’était pas du culte ! C’était juste du karaoké ! Le culte, c’est gratuit. C’est ce que le guide nous a dit tout à l’heure.

TOURISTE DEUX : Ouf ! Imagine si nous  n’avions rien payé !

TOURISTE UN : Je préfère ne pas savoir !

TOURISTE SIX : C’est pour cela qu’il est important de bien connaître notre histoire. Imaginez si notre guide ne vous avait pas raconté tout ça ! Vous auriez peut-être pratiqué une religion sans le savoir ! Maintenant, vous saurez !

LE GUIDE : Chacun est libre de pratiquer une religion, un culte, même encore de nos jours. Aucune loi ne l'interdit explicitement.

TOURISTE TROIS : Ah bon ? Mais c’est extrêmement dangereux ! Avec tout ce que vous nous avez raconté ! Il y a encore des gens qui pratiquent ? Ils n’ont pas été arrêtés ?

LE GUIDE : Rassurez-vous ! La mise en application des lois dont je viens de vous parler fut tellement bien contrôlée par l’Etat et notre chère Police-Militaire que très vite, plus personne n’osa se rendre dans les lieux tels que cette cathédrale, les mosquées ou les temples. Et puis qui cela intéresserait-il aujourd'hui ?

TOURISTE UN : Encore heureux ! Imaginez si le centre commercial était encore un lieu de culte. Nous serions bien embarrassés !

TOURISTE QUATRE : Il ne manquerait plus que ça ! Nous risquerions même de nous faire arrêter !

LE GUIDE : Justement. Dès que quelqu’un se rendait dans l’un de ces lieux de culte, il était immédiatement arrêté car son attitude, sa manière de marcher, ses vêtements, son odeur ou ses silences trahissaient sa foi profonde et ses intentions provocantes à l’encontre de notre République-Démocratique et de son Livre Unique. Il y eut de très nombreuses arrestations, parmi lesquelles les grands leaders d’opinion des religions.

TOURISTE TROIS : Ah oui ! C’est ce que vous nous disiez tout à l’heure ! Je comprends mieux !

TOURISTE SIX : Vous voyez que ce n’est pas si ennuyeux que cela, ce qu’il raconte. Continuez, monsieur le guide ! Tout le monde vous écoute à présent.

LE GUIDE : Du coup, ces temples devinrent très vite obsolètes. Heureusement, l’Etat les vendit à de grands groupe commerciaux qui en ont fait aujourd’hui ces lieux que vous adorez tant. Cela représenta une manne non négligeable pour nos gouvernants.

TOURISTE UN : Encore heureux !

TOURISTE QUATRE : Il ne manquerait plus que ça !

TOURISTE SEPT : ça consistait en quoi de faire un signe de croix ?

TOURISTE CINQ : Mais c’est pas vrai ! Voilà qu’il recommence avec ses questions !

LE GUIDE : Un signe de croix ? Vous voudriez voir un signe de croix ? ça vous plairait ?

TOURISTE DEUX : Je ne sais pas ! Franchement…

TOURISTE UN : Est-ce bien utile ?

TOURISTE CINQ : N'a t-on pas mieux à faire ?

TOURISTE SIX : Avons-nous le temps ?

TOURISTE QUATRE : Surtout à quoi est-ce que ça nous sert ?

TOURISTE TROIS : Est-ce que c’est payant ?

LE GUIDE : Bien sûr que c’est payant ! Cela vous sera facturé en complément à la fin de la visite !

TOURISTE QUATRE : Dans ce cas là…

TOURISTE UN : Il fallait le dire tout de suite ! Rigolons un peu !

TOURISTE TROIS : Allons-y pour un petit signe de croix !

TOURISTE SIX : Ce n’est pas de refus !

LE GUIDE : Il faut juste que je prévienne la Police-Militaire. Messieurs ! Excusez-moi !

Entrée rapide de deux Policiers-Militaires.

LE GUIDE : Bonjour messieurs ! Je voulais juste vous prévenir que nous allons effectuer collectivement un petit signe de croix ! Alors inutile de nous interpeler et de nous mettre en prison, cela fait partie de la visite.

LES TOURISTES : Ah ah ah !

LE GUIDE : Oui oui. C’est facturé ! Ils vont le payer !

LES TOURISTES : Ah ah ah ! On va payer ! On va payer !

Les Policiers-Militaires acquiescent de la tête et restent sur place, l’air menaçants.

LE GUIDE : Bien. Nous sommes autorisés.

LES TOURISTES : Ah !

LE GUIDE : Alors je vous montre comment il faut procéder. Tout d’abord vous portez votre main droite comme ceci vers le front. Tout le monde fait avec moi ! Voilà, comme ça. Ensuite, vous descendez cette main et vous touchez votre nombril…

TOURISTE DEUX : C’est rigolo !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE SIX : Vous aviez déjà fait ça, vous ?

TOURISTE UN : Nous avions fait quelque chose de similaire, une fois. C’était où, chéri ?

TOURISTE DEUX : C’était lors d’un stage de taï-chi-chuan. Un autre truc qui a disparu, d’après ce qu’ils disaient.

LE GUIDE : Attendez ! Ce n’est pas fini. Toujours avec cette même main, vous allez jusqu’à l’épaule gauche ou jusqu’à  la droite, peu importe. Puis vous faites un ou plusieurs allez-retours, autant que ça vous chante, d’une épaule à l’autre. Voilà ! ça s’appelle un signe de croix. C’est sympa, non ?

Les Touristes s’amusent, font plusieurs allers-retours avec leur main entre les épaules, recommencent, se font des blagues,…

TOURISTE SIX : Moi j’aime bien ! Je trouve ça original !

TOURISTE CINQ : Oui, c’est pas mal ! En tout cas je ne connaissais pas !

TOURISTE TROIS : Et puis ça fait faire de l’exercice ! C’est important de faire de l’exercice ! C’est écrit dans le Livre Unique : « des achats et du sport…

LES TOURISTES : Pour aider les commerçants et son corps » ! Ah ah ah !

TOURISTE TROIS : Carrément !

TOURISTE UN : On montrera ça aux enfants ! A leur âge, ils sont très curieux !

TOURISTE DEUX : Nos amis seront épatés quand ils verront ça ! Je n’ose imaginer leur tête !

TOURISTE UN : Et leur portefeuille !

LES TOURISTES : Ah ah ah !

TOURISTE SEPT : Ils faisaient ce geste à chaque fois qu’ils se retrouvaient pour leur culte ?

LE GUIDE : Je crois, oui.

TOURISTE QUATRE : Ils avaient des pratiques bien étranges !

TOURISTE CINQ : Surtout s’ils ne payaient rien !

TOURISTE TROIS : Et est-ce qu’on peut essayer la prière à genoux ? ça me plairait bien, en fait !

TOURISTE DEUX : Oh oui ! Bonne idée !

TOURISTE SIX : Ah oui, tiens ! Celle de l’autre culte, là !

LE GUIDE : Bien sûr ! Il me suffira juste d’indiquer double prière sur la facture. Cela double le prix ! C’est tout simple !

TOURISTE SIX : Génial ! J’adore cette visite ! Vraiment l’une des meilleures ! Je crois que nous avons trouvé notre guide !

TOURISTE CINQ : Je crois que nous ne trouverons jamais plus un autre guide qui soit aussi bienveillant avec notre pouvoir d’achat !

TOURISTE TROIS : Vous croyez ? C’est vrai que maintenant que vous le dites, je n’en ai jamais eu de si soucieux de notre consommation, de si profond avec notre pouvoir d’achat. Jamais un guide ne m’a autant donné l’envie d’acheter, de dépenser.

TOURISTE QUATRE : Je dois admettre que vous avez raison. J’ai une sacrée envie d’aller dans ce centre commercial et d’y acheter ces bottes et tout ce qui va avec !

TOURISTE DEUX : Cela nous fera plein de choses à montrer à nos amis ! Jamais nous n’aurons autant dépensé ! Ce guide est vraiment incroyable !

TOURISTE SIX : Nous, on fait des soirées payantes entre amis.

TOURISTE UN : Ah bon ! En quoi ça consiste ?

TOURISTE SIX : On se raconte nos souvenirs de vacances ! Nous leur montrons tout ce que nous avons acheté !

TOURISTE CINQ : Nos amis adorent ! Ils s’y mettent eux aussi. C’est croustillant ! On facture au souvenir. C’est pour ça que nous devons en ramener un maximum ! Je dois avouer qu’aujourd’hui, notre guide nous a été d’une aide plus que précieuse ! Jamais nous n’avions eu autant de souvenirs à acheter !

TOURISTE DEUX : C’est une bonne idée, ça, de faire payer ! Et puis quel geste d’amitié fort ! Vous devez avoir de nombreux amis ? Vous devez être extrêmement sollicités ?

TOURISTE SIX : Les gens se bousculent pour être nos amis ! Notre réseau social est extraordinairement étendu. Avec notre guide, cela risque fort d’augmenter ! De plus en plus d’amis… D’ailleurs, est-ce que vous voulez être nos amis ?

TOURISTE DEUX :  Ce serait avec plaisir, oui ! Il faudra qu’on essaye nous aussi de faire payer nos amis. Je suis sûr qu’ainsi nous nous en ferons de nouveaux.

LE GUIDE : Je dois juste demander l’autorisation à la Police-Militaire pour la seconde prière…

TOURISTE UN : Bien entendu !

TOURISTE DEUX : C’est normal !

TOURISTE TROIS : Carrément ! Pour la Police-Militaire hip hip hip ?

LES TOURISTES : Hourra !

TOURISTE CINQ : Chérie ! Tu vas te mettre à côté de la Police-Militaire pour une photo ? C’est combien ?

La Touriste Six se déplace vers les Policiers-Militaires.

TOURISTE SIX : C’est combien ?

Les Policiers-Militaires la regardent froidement, sans broncher.

TOURISTE CINQ : Alors chérie ? C’est combien ?

Le Guide se rend compte du danger de la situation.

LE GUIDE : Non il ne faut pas ! Madame ! Il ne faut pas !

TOURISTE SIX : Ah bon ? Pourquoi ? Ne vous inquiétez pas ! Je vais payer !

LE GUIDE : Je vous conseille de les laisser tranquilles. Excusez-nous, messieurs ! Ils ne savaient pas ! Personne ne recommencera, c’est promis !

Un long malaise s’installe.

Le Touriste Six s’éloigne très lentement des Policiers-Militaires qui la dévisagent, toujours sans broncher.

TOURISTE SIX : Bien sûr ! Ah ah ah !

TOURISTE CINQ : C’était pour rire ! Ah ah ah !

LES TOURISTES : Ah ah ah !

LE GUIDE : Du coup, nous allons peut-être éviter de faire la prière à genoux des musulmans…

TOURISTE UN : Oui, c’est normal !

TOURISTE QUATRE : Ah ah ah !

TOURISTE TROIS : Carrément !

LE GUIDE : Des questions ?

TOURISTE SEPT : Je me demandais juste si…

LE GUIDE : Personne ? Parfait ! Nous allons pouvoir passer à l’étape que vous attendez tous avec impatience…

TOURISTE DEUX : Les achats !

LE GUIDE : Eh oui ! Les achats. Suivez-moi ! C’est par là !

LES TOURISTES : Les achats ! Les achats ! Les achats !

Ils sortent tous, sauf le Touriste Sept qui regarde plus en détail la cathédrale et les deux policiers-militaires qui le surveillent.


L’ARRESTATION

 

Le Touriste Sept éternue et met ses mains devant sa bouche. Il regarde ensuite dans ses mains et les referme vivement l’une contre l’autre, devant sa poitrine, afin de masquer leur contenu.

Les deux Policiers-Militaires se déplacent vivement vers lui et le saisissent par les bras.

 

POLICIER UN : Ne bougez plus !

POLICIER DEUX : On le tient ! La petite saloperie !

POLICIER UN : Vous êtes en état d’arrestation monsieur !

TOURISTE SEPT : Pardon ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

POLICIER DEUX : Vous êtes en état d’arrestation en vertu de la loi du 11 octobre 2050 interdisant les signes, gestes ou mouvements explicitement ou implicitement religieux dans l’espace public.

POLICIER UN : Vous venez d’accomplir un geste explicitement religieux, monsieur.

TOURISTE SEPT : Mais de quel geste parlez-vous ? Je n’en connais aucun. Je n’ai jamais pratiqué aucune religion, elles n’existent plus depuis bien trop longtemps. Je ne sais pas à quoi ressemble un geste religieux.

POLICIER DEUX : Ils disent toujours ça.

POLICIER UN : Vous êtes devant une ancienne cathédrale, monsieur.

POLICIER DEUX : C’est l’espace public, monsieur.

POLICIER UN : Vous avez commis un geste explicitement catholique, monsieur.

POLICIER DEUX : C’est interdit dans l’espace public, monsieur.

POLICIER UN : C’est uniquement autorisé dans les lieux de cultes, monsieur.

TOURISTE SEPT : Mais il n’existe plus aucun lieu de culte ! Ils ont tous été transformés en lieu de grande consommation ! Le guide n’a pas arrêté de nous le dire tout à l’heure.

POLICIER UN : Il ne faut pas croire tout ce qu’un guide peut vous dire.

POLICIER DEUX : Un guide peut masquer un dangereux intégriste.

TOURISTE SEPT : Cette ancienne cathédrale n’est plus un lieu de culte ! C’est un centre commercial !

POLICIER DEUX : Ce n’est pas notre problème, monsieur.

POLICIER UN : Nous sommes là pour faire respecter la loi, monsieur.

POLICIER DEUX : Vous ne pouvez prier que dans un lieu autorisé, monsieur.

TOURISTE SEPT : Mais il n’en existe plus !

POLICIER UN : Ce n’est pas notre problème, monsieur !

POLICIER DEUX : Le fait qu’il n’en existe plus aucun en France n’est pas de notre ressort.

POLICIER UN : Puisque votre geste était explicite, vous risquez une lourde peine de prison, monsieur.

LE TOURISTE : Explicite, mon geste ? Mais je venais juste d’éternuer !

POLICIER DEUX : Vous avez éternué ? Il a éternué !

POLICIER UN : Vous avez éternué ?

LE TOURISTE : Mais oui j’ai éternué !

POLICIER UN : Pourquoi avez-vous éternué ?

LE TOURISTE : Pourquoi ? Mais parce que…

POLICIER DEUX : C’est parce que vous pleuriez d’émotion, n’est-ce pas ?

TOURISTE SEPT : Pardon ?

POLICIER UN : Vous pleuriez parce que vous n’avez pas supporté de voir cette ancienne cathédrale transformée en centre commercial.

TOURISTE SEPT : Mais pas du tout ! Je m’en fou !

POLICIER DEUX : Beaucoup de gens de votre groupuscule pleurent d’émotion lorsqu’ils passent devant un ancien lieu de culte.

TOURISTE SEPT : Mon groupuscule ? Mais quel groupuscule ?

POLICIER UN : C’est comme ça qu’ils se font le plus souvent avoir, les crétins !

POLICIER DEUX : Les imbéciles ! Ils pleurent et ils tentent un petit geste religieux discret.

POLICIER UN : Mais heureusement, les forces de l’ordre et de la paix sociale veillent ! On vous avait déjà repéré, monsieur, tout à l’heure, pendant la visite.

POLICIER DEUX : Vos questions étaient bien trop orientées !

TOURISTE SEPT : Mais je m’intéressais juste ! Il n’y a rien de criminel là-dedans ! Je voulais connaître notre histoire !

POLICIER UN : Pourquoi vous intéresser à l’histoire ?

POLICIER DEUX : Pourquoi toutes ces questions alors que seule compte la consommation ?

POLICIER UN : Il n’y a rien de bon à vouloir connaître l’histoire. Il y a trop de violences, de conflits, de religions ! A trop vouloir savoir, on perd le désir d’acheter !

POLICIER DEUX : L’histoire est dangereuse, monsieur ! Ceux qui s’y intéressent sont dangereux ! Une menace pour notre société !

POLICIER UN : Nous ne sommes pas dupes, monsieur !

POLICIER DEUX : Vous êtes un activiste.

POLICIER UN : Le geste explicite que vous venez d’accomplir est la preuve que vos questions étaient intéressées, que vous vouliez pervertir vos compagnons de visite.

TOURISTE SEPT: Mon geste n’avait rien d’explicite ! J’ai juste voulu dissimuler ce que j’avais sur les mains ! Mais c’est de la folie !

Les policiers consultent un petit livre.

POLICIER DEUX : Il dit vrai. Regarde. Ce geste n’entre pas dans la catégorie des gestes explicites.

POLICIER UN : Montre voir. Tu as raison. C’est marqué là. « Le signe de croix est un acte explicite passible d’une peine d’emprisonnement incompressible de dix ans, au même titre que la Salat musulmane passible de quinze ans parce que ça fait plus peur. Si le délinquant joint ses mains sur sa poitrine devant un ancien lieu de culte, il s’agit d’un geste implicite… Tu vois ? C’est marqué « implicite ».

POLICIER DEUX : C’est quoi la suite ?

POLICIER UN : « Un geste implicite passible d’une privation de sa carte bancaire pendant une durée de un mois ». La petite crapule ! Il connaît bien la loi.

POLICIER DEUX : Tu sais bien que ces groupuscules forment  leurs membres. Ils les initient  à maîtriser toutes les lois afin de mieux les contourner ! La preuve !

POLICIER UN : Les terroristes !

TOURISTE SEPT : Mais je ne connais pas ces lois !

POLICIER UN : Comment ?

POLICIER DEUX : Vous ne connaissez pas les lois !

POLICIER UN : Comment est-ce possible ?

POLICIER DEUX : Nul n’est sensé ignoré la loi, monsieur !

POLICIER UN : Vous osez avouer devant des représentants des forces de l’ordre et de la paix sociale que vous ne connaissez pas la loi ?

TOURISTE SEPT : Mais c’est impossible de toutes les connaître ! Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ?

POLICIER UN : Et bien vous allez très bien la connaître désormais, la loi !

POLICIER 2 : Pour ce qui est de votre prière, la peine est la suivante : vous devez nous remettre votre carte bancaire, sanction à régler sur le champ.

TOURISTE SEPT : Mais je n’ai pas ma carte sur moi !

POLICIER 1 : Pardon ?

TOURISTE SEPT : Je suis parti de l’hôtel sans argent.

POLICIER 2 : Vous n’avez pas pris d’argent ! C’est impensable !

POLICIER 1 : Mais vous aggravez considérablement votre cas, mon cher monsieur.

POLICIER 2 : Nul n’est sensé ignoré que toute sortie en ville doit obligatoirement s’achever par des achats conséquents dans notre bien aimé temple de la consommation.

POLICIER 1 : Vous n’aviez pas prévu de quoi dépenser dans notre centre commercial ?

TOURISTE SEPT : Si, bien sûr ! Je comptais retourner à l’hôtel prendre mon argent et repartir aussitôt pour faire de substantiels achats. Je n’avais rien emmené pour ne pas être trop chargé, par crainte des voleurs.

POLICIER 2 : Vos arguments sont bien peu crédibles, mon cher monsieur. 

POLICIER 1 : Vous craignez les voleurs ?

POLICIER 2 : Est-ce à dire que nous ne faisons pas bien notre travail ?

TOURISTE SEPT : Pardon ? Je ne comprends pas ! Je n’ai rien fait d’autre que d’éternuer moi ! J’ai posé des questions parce que je suis curieux, parce que je voulais comprendre ! J’aime consommer ! Je n’y connais rien aux religions d’avant.

POLICIER 1 : A d’autres ! Vous nous accusez ouvertement de ne pas faire notre travail !

POLICIER 2 : Vous osez dire à deux Policiers-Militaires dans la force de l’âge et dans l’exercice de leur noble fonction qu’ils sont des incapables et qu’ils ne savent pas protéger les bons touristes contre les voleurs ?

TOURISTE SEPT : Mais je n’ai jamais dit ça !

POLICIER 1 : Alors vous niez l’évidence ? Même devant deux témoins assermentés ? Tu serais prêt à témoigner que j’ai bien entendu ?

POLICIER DEUX : Carrément ! Et toi ?

POLICIER UN : Carrément aussi !

TOURISTE SEPT : Je n’y comprends rien ! Mais qu’est-ce que vous me voulez ?

POLICIER 2 : Vous n’êtes pas un bon touriste, mon cher monsieur.

POLICIER UN : La loi nous oblige à vous infliger une sanction bien plus lourde.

TOURISTE SEPT : Mais je n’ai rien fait !

POLICIER DEUX : Vous avez fait bien plus que ce que nous n’avons jamais vu !

POLICIER UN : Votre cas dépasse l’entendement !

POLICIER DEUX : Votre cas est indéfendable !

POLICIER UN : La société n’a pas besoin de dangereux intégristes tels que vous !

TOURISTE SEPT : Mais je n’ai rien fait !

POLICIER DEUX : Comment peut-on en arriver là ?

POLICIER UN : Vos parents ne vous aimaient pas ?

POLICIER DEUX : Votre amie vous a quitté ?

POLICIER UN : Vos parents vous ont quitté ?

POLICIER DEUX : Votre amie ne vous aimait pas ?

TOURISTE SEPT : J’ai juste posé quelques questions !

POLICIER UN : Vous avez prié devant une cathédrale, monsieur !

POLICIER DEUX : Vous savez ce qu’on fait à des types comme vous !

POLICIER UN : On leur retire tous leurs droits à la consommation !

TOURISTE SEPT : Quoi ? Mais c’est impossible !

POLICIER UN : Nous vous retirons tous vos droits à la consommation, monsieur !

TOURISTE SEPT : Non ! Pas ça ! Tout mais pas ça ! Ne me faites pas ça !

POLICIER UN : Plus aucun magasin ne pourra vous autoriser à entrer, plus aucune banque ne pourra vous accorder le moindre prêt…

POLICIER DEUX : Plus aucun cinéma ne vous sera ouvert, plus aucun bowling ne vous acceptera !

TOURISTE SEPT : Pas le bowling !

POLICIER DEUX : plus personne ne s’intéressera à vous ! Personne !

POLICIER UN : Vous n’êtes plus un consommateur !

POLICIER DEUX : Vos parents et votre petite amie ne vous aimaient pas et vous avaient quitté. Maintenant, ils vous détesteront, ils auront honte de vous !

TOURISTE SEPT : Si je ne suis plus un consommateur je ne suis plus rien !

POLICIER UN : Il fallait y penser avant, mon très cher monsieur.

POLICIER DEUX : Nous ne laisserons pas de dangereux activistes intégristes fanatiques religieux tels que vous attenter à notre liberté !

TOURISTE SEPT : Je ne suis pas un religieux !

POLICIER DEUX : Vous n’êtes plus rien !

TOURISTE SEPT : Je ne suis plus rien !

POLICIER UN : Vous allez de ce pas nous conduire à votre hôtel afin que nous puissions saisir vos cartes bancaires, mon très cher monsieur.

Le Touriste Sept tombe à genoux.

TOURISTE SEPT : Mon dieu, non ! Je vous en prie ! Que quelqu’un me vienne en aide !

Les deux Policiers-Militaires s’arrêtent soudain, tétanisés. Ils reculent doucement, prêts à dégainer leur arme. Le Touriste Sept reste à genoux, la tête entre les mains.

POLICIER UN : Tu as bien entendu la même chose que moi ?

POLICIER DEUX : Oui. Il a dit « Mon di… »

POLICIER UN : Chut ! Ne va pas répéter ce mot !

POLICIER DEUX : Oh ! J’ai failli le dire !

POLICIER UN : Qu’est-ce qu’on fait ?

POLICIER DEUX : Je n’en sais rien ! C’est la première fois que je suis confronté à ça !

POLICIER UN : Tu crois qu’il est dangereux ? Qu’il va nous agresser ? Ou pire ! Qu’il va essayer de nous convertir ?

POLICIER DEUX : Mais qu’est-ce que j’en sais, moi ? On m’a dit les mêmes choses qu’à toi ! Que ces groupuscules étaient dangereux parce qu’ils essaient de nous corrompre avec leurs croyances…

POLICIER UN : Et que ces croyances vont pervertir les lois de notre République Démocratique. Je sais tout ça ! Mais jamais je n’ai été confronté en vrai.

POLICIER DEUX : Mais qu’est-ce qu’il fabrique, là, à genoux ?

POLICIER UN : Il a mis sa tête entre ses mains ! Il est en train d’invoquer son dieu ! Celui qu’il a appelé à l’aide en disant… Ce qu’il a dit !

POLICIER DEUX : Mais s’il lui demande de l’aide, l’autre va venir ! Il va nous sauter dessus ! Putain ! Putain ! Putain !

Les deux Policiers-Militaires dégainent leurs armes et regardent tout autour d’eux, affolés.

POLICIER UN : A quoi il ressemble son dieu ?

POLICIER DEUX : Je n’en sais rien ! Merde ! Merde ! Merde ! Personne ne nous a jamais rien dit là-dessus !

POLICIER UN : C’est forcément quelqu’un de très fort ! S’il est capable de venir sur une simple prière à genoux !

POLICIER DEUX : Plus fort que deux Policiers-Militaires ?

POLICIER UN : Je n’en sais rien et je n’ai pas envie de le savoir, moi ! Les hommes ont tout fait pour le détruire depuis des décennies et visiblement il existe encore !

POLICIER DEUX : Tu veux dire qu’il est immortel ? Putain !

POLICIER UN : Nos armes ne nous serviront à rien !

POLICIER DEUX : Merde ! Partons ! Tirons-nous avant qu’il ne nous tue ! Ou pire ! Qu’il nous convertisse !

POLICIER UN : Il l’a appelé pour nous convertir ! Oh putain ! Partons !

POLICIER DEUX : Et puis rien ne nous dit qu’il n’en a pas appelé plusieurs !

POLICIER UN : Partons ! 

POLICIER DEUX : Et lui, là ?

POLICIER UN : On s’en fou de lui ! Moi je n’ai pas envie de crever ! Je me tire !

Le Policier-Militaire Un sort brutalement.

Le Policier-Militaire Deux hésite un instant puis sort tout aussi rapidement.

Le Touriste Sept reste encore un moment, la tête entre les mains.


LE RETOUR DU GUIDE

TOURISTE SEPT : Allez-y ! Qu’on en finisse ! Ne me faites pas souffrir et achevez-moi ! Je préfère être tué que de perdre ma liberté de consommer ! Je ne suis plus rien sans elle ! Je ne peux plus exister sans elle ! Comment vivre aujourd’hui sans son pouvoir d’achat ? Comment survivre sans carte de crédit ? Je ne suis pas un activiste ! J’ai toujours voulu être comme tout le monde ! J’ai toujours dépensé sans compter ! Je me suis bien endetté ! Je n’ai jamais cherché à offenser qui que ce soit ! J’avais le droit de poser des questions puisque j’avais payé ! C’était juste de la curiosité ! Je ne crois en aucun dieu ! Je crois au pouvoir d’achat !  Si je ne dois plus exister dans notre monde de consommation, si je ne peux plus rien acheter, je sais que je n’existerai plus nulle part ailleurs ! Il n’existe aucun ailleurs que le monde dans lequel je vis aujourd’hui ! Aucun ! Je suis né ici et j’ai grandi dans ce monde ! Je ne connais que ce monde de consommation ! Vous ne pouvez pas me l’enlever ! Je veux vivre dans ce monde qui m’a fait ! Oui j’ai été curieux de ces dieux qui vous font tant peur ! Mais ce n’était pas pour imposer leurs lois divines et les substituer aux lois de la République-Démocratique ! J’ai lu le Livre Unique et je sais ce qui est interdit ! Je voulais juste savoir comment les gens vivaient ensemble avant ! S’ils faisaient comme nous quand ils étaient heureux ! Comment partageaient-ils leur bonheur ? Allaient-ils dans les grands magasins ? Se consolaient-ils avec des achats quand ils souffraient ? Un achat compulsif pouvait-il calmer leur douleur ? Pourquoi ont-ils eu besoin d’inventer ces dieux ? Pourquoi est-ce que je vous ai fait si peur ? Répondez-moi ! Pourquoi est-ce que mes gestes vous ont fait si peur ? Pourquoi la société s’est-elle mise à avoir si peur d’eux ? Que s’est-il passé ? Je ne comprends rien ! Est-ce parce vous craignez leur puissance ? Mais comment peut-on craindre la puissance de quelque chose qui n’existe pas ? Vous avez peur de cette cathédrale ? Vous croyez qu’en me mettant à genoux devant elle, je vais réveiller des dieux endormis et qu’ils se vengeront de votre ignorance ? Mais s’ils étaient capables d’une telle violence, ils nous auraient écrasés depuis longtemps ! Ce sont vos peurs à vous qui me tuent aujourd’hui ! C’est parce que vous avez peur que je vais mourir ! Je trouve cela profondément injuste ! J’ai toujours voulu bien faire et voilà ma triste récompense ? C’est comme cela que tout doit finir ? Et bien sachez que je n’aurai plus peur désormais puisque je n’existerai plus. Vous m’entendez ? Sachez que je n’aurai plus peur de vous ! je n’aurais plus peur des hommes qui ont peur ! Je n’aurais plus peur de vous, pauvres hommes qui souffrez !

Le Guide entre sur scène.

LE GUIDE : Ah vous voilà ! Je vous cherchais partout ! Mais que faites-vous dans cette position ? Redressez-vous tout de suite ! Si la Police-Militaire vous découvre comme ça ! Vous m’écoutez ! Monsieur !

Le Touriste Sept sort de sa transe et lève les yeux vers le Guide.

TOURISTE SEPT : Vous ? Mon guide ?

LE GUIDE : Oui, c’est moi ! Redressez-vous, je vous dis ! Vous êtes inconscient ou quoi ? Vous pouvez risquer votre vie comme ça vous chante mais d’abord, il va falloir passer à l’hôtel et me payer ma visite guidée ! Avec tous les suppléments que vous avez pris, il est hors de question que vous vous en sortiez comme ça !

TOURISTE SEPT : J’ai encore le droit de payer ?

LE GUIDE : Bien sûr, monsieur ! Le client est roi ! Et je suis votre guide, ne l’oubliez pas. Ma prestation ne s’achève que lorsque vos achats sont terminés.

TOURISTE SEPT : Mon guide…

LE GUIDE : Et je dois vous prévenir que les autres touristes vous attendent pour la sortie au centre commercial. Je peux vous dire qu’ils ont une dent contre vous ! Il faut les comprendre, les pauvres ! Il ne leur reste plus que l’après-midi pour faire leurs achats alors que le programme prévoyait la journée entière ! On peut dire que vous savez vous faire détester, vous !

TOURISTE SEPT : Sans doute, oui… Vous aussi, mon guide, vous me détestez ?

LE GUIDE : Mais non, voyons ! Un guide ne peut pas détestez ses clients ! Vous allez payer ?

TOURISTE SEPT : Bien sûr que je vais payer !

LE GUIDE : Alors vous êtes un homme bon ! Vous êtes un bon client !

TOURISTE SEPT : Merci mon guide ! Merci !

LE GUIDE : Allons allons ! ça ne sert à rien de trop en faire ! Me flatter ne fait que vous rabaisser ! A mes yeux, vous avez la même valeur que chacun des touristes de votre groupe. Vous avez tous une carte de crédit bien remplie.

LE TOURISTE SEPT : Je dois vous avouer quelque chose ! Je n’ai rien dit, tout à l’heure ! Les autres disaient que vous étiez leur guide et moi je ne disais rien ! je m’en veux ! Je m’en veux tellement !

LE GUIDE : Allons ! Allons ! Il ne faut pas !

TOURISTE SEPT : Je suis tellement fier d’avoir été accepté par vous ! Que vous aillé accepté d’être mon guide !

LE GUIDE : Mais c’est normal ! Vous avez payé pour que cela arrive !

TOURISTE SEPT : Oui ! Cela est arrivé ! C’est un miracle ! J’en prends conscience, à présent ! Vous m’avez sauvé !

LE GUIDE : Je voulais juste que vous vous leviez ! Je craignais juste pour votre sécurité.

TOURISTE SEPT : Vous êtes humble, mon guide ! Comment puis-je vous remercier à la hauteur de ce que vous avez accompli pour moi aujourd’hui ?

LE GUIDE : Il suffit que nous retournions à l’hôtel et que vous me payiez, tout simplement ! Sans oublier vos achats au centre commercial !

TOURISTE SEPT : Je veux faire bien plus ! Il existe certainement un moyen…

LE GUIDE : Vous êtes libre de laisser une petite commission supplémentaire si vous avez apprécié mes services.

TOURISTE SEPT : Il faut que ça se sache ! il faut que le monde sache qui vous êtes ! Le bien que vous m’avez fait ! Le monde doit savoir !

LE GUIDE : Oui. Il est vrai qu’un peu de publicité ne me ferait pas de mal…

TOURISTE SEPT : Mon guide !

LE GUIDE : Oui ?

TOURISTE SEPT : Je prends ici devant vous l’engagement solennel de vous servir corps, âme et portefeuille !

LE GUIDE : Oui et bien… Pourquoi pas ! Et en quoi cela consiste t-il au juste ?

TOURISTE SEPT : Je veux que le monde entier vous connaisse ! Partout autour de moi j’irai dire que j’ai rencontré mon guide. Je parlerai de vous ! Je répèterai vos paroles ! Des gens viendront vous écouter ! Beaucoup d’hommes et de femmes feront votre visite guidée !

LE GUIDE : Bien ! J’aime la publicité ! C’est une bonne idée !

TOURISTE SEPT : Le centre commercial de la ville deviendra un lieu de culte ! Les gens viendront pour voir le guide ! Mon guide !

LE GUIDE : Bon ! ça m’a l’air très bien tout ça ! Je vous raccompagne à l’hôtel. Vous semblez avoir subi beaucoup d’émotions fortes aujourd’hui ! Ce serait dommage que vous ne retrouviez pas le chemin et que je sois obligé d’envoyer la Police-Militaire à votre recherche.

TOURISTE SEPT : Non ce sera inutile. Je vous suis ! Vous êtes mon guide.

LE GUIDE : Et oui, c’est moi votre guide. ça me fait penser qu’en ce moment à l’hôtel, ils proposent une séance complète de massages détentes pour à peine plus cher que le massage ordinaire. Etant donné votre état, je suis sûr que cela vous fera le plus grand bien.

TOURISTE SEPT : ça a l’air bien, oui… Dites moi, mon guide, quelle est la différence entre les deux massages ?

LE GUIDE : Aucune ! A part le prix. Et la commission que je touche si je réussis à envoyer des clients. Ils sont très généreux avec moi.

TOURISTE SEPT : Je prendrais les deux alors. Si cela peut augmenter votre commission.

LE GUIDE : C’est une bonne idée, ça ! Décidément, vous êtes pétri de bonnes intentions !

TOURISTE SEPT : Je vous ai enfin rencontré, mon guide.

LE GUIDE : C’est possible, en effet ! Enfin, il y en a d’autres…

TOURISTE SEPT : Il y en a d’autres, oui. Mais aucun n’aurait jamais fait ce que vous venez d’accomplir ! Je veux que les gens ouvrent les yeux ! Il faut qu’ils vous rencontre ! Je veux leur dire qui vous êtes ! Ce que vous avez fait pour moi Je veux qu’ils viennent à vous !

LE GUIDE : Il est vrai que ce serait une bonne chose. Vous savez être convaincant, vous savez ? Votre campagne de publicité me plaît vraiment beaucoup ! Il faudrait faire une étude de marché, étudier la faisabilité… Mais ça me tente bien, tout ça !

TOURISTE SEPT : Je veux que vous m’accordiez votre confiance. Suis-je digne de votre confiance ?

LE GUIDE : Je vous fais entièrement confiance. Vous semblez tout à fait digne, apte à recevoir ma confiance.

TOURISTE SEPT : Tout le monde a besoin d’un guide. J’ai raison, non ?

LE GUIDE : Tout le monde a besoin d’un bon guide ! Sinon tout le monde s’égare. La preuve ! Et je suis un bon guide ! Peut-être le meilleur de la ville ! Il suffit de toute façon de lire les critiques sur mon livre d’or. Elles sont dithyrambiques !

TOURISTE SEPT : C’est parce que vous le valez bien ! Vous êtes le meilleur guide de la ville !

LE GUIDE : Puisque vous le dites ! Il faudra l’écrire sur mon livre d’or, hein ?

TOURISTE SEPT : J’écrirai tout ! Tout ce que vous avez fait pour moi ! Tout ce que vous avez dit !

LE GUIDE : Et bien dites donc ! J’ai hâte de lire ça !

TOURISTE SEPT : Un livre ne suffira pas ! Il en faudra plusieurs !

LE GUIDE : Rien que ça ? Ah la fougue de la jeunesse !

TOURISTE SEPT : Oui, c’est ça ! Un livre qui témoigne de ma rencontre avec vous ! Un autre livre ou votre parole s’étale et que chacun pourra découvrir ! Où chacun pourra trouver la force de dépenser plus !

LE GUIDE : Et ainsi ils viendront à moi. Il viendront dans mon centre commercial ! C’est une très bonne idée, mon ami ! La meilleure des publicités !

TOURISTE SEPT : J’ai retrouvé le pouvoir d’achat ! Grâce à vous !

LE GUIDE : Mais quelle coïncidence ! J’allais vous parler d’un petit restaurant qui ne paye pas de mine mais qui vous propose une de ces cartes ! A tomber par terre, justement !

Les deux hommes rient.

LE GUIDE : Allez venez ! Allons-y ! Tant de choses restent à payer. Il reste tant à dépenser…

TOURISTE SEPT : J’arrive…

Le Guide est sorti.

Le Touriste Sept reste un instant, regarde la cathédrale avec dévotion puis en direction du guide.

Le Touriste Sept  sort, pieusement.


LA CREATION

Les deux Policiers-Militaires sont sur scène, ils attendent.

Le Guide et le Touriste Sept entrent.

LE GUIDE : Ah ! Vous êtes là !

Le Guide et le Touriste Sept se dirigent vers les deux Policiers-Militaires.

Un dialogue s’instaure en messes-basses.

Le Guide donne de l’argent puis va s’asseoir. Le Touriste Sept reste debout, à côté de lui. Les Policiers-Militaires sortent et reviennent quelques instants plus tard avec les autres Touristes.

Les Deux Policiers-Militaires se positionnent de chaque côté de la scène.

LE GUIDE : Vous voilà enfin, mes amis ! Nous vous attendions !

TOURISTE UN : Cela fait des heures que nous attendons, nous aussi ! Coincés à l’hôtel !

TOURISTE DEUX : Nous voulons aller faire nos achats ! Nous n’en pouvons plus de ne pas dépenser !

TOURISTE SIX : Nous étions inquiets ! Nous nous demandions ce qu’il vous était arrivé !

TOURISTE CINQ : Nous comptons tellement sur vous ! Jusqu’à présent, vous nous avez donné tellement confiance en notre pouvoir d’achat ! Il faut comprendre le bouillonnement de nos amis !

LE GUIDE : Soyez patients, mes amis ! Soyez patients ! Je comprends vos inquiétudes !

TOURISTE QUATRE : Vous l’avez enfin retrouvé, l’autre là ! J’espère qu’il a une bonne excuse parce que c’est tout de même à cause de lui si nous en sommes arrivés là !

TOURISTE TROIS : Nous allons enfin pouvoir y aller !

TOURISTE UN : Quand est-ce que nous y allons ? on veut payer !

LES TOURISTES : On veut payer ! On veut payer !

LE GUIDE : Je comprends votre colère, mes amis ! Il y a des colères saines !  C’est une juste colère que vous exprimez là ! C’est la volonté de consommer qui vous anime et je vous comprends tellement !

TOURISTE DEUX : Cela fait des heures que nous attendons ! Je suis persuadé que nous avons raté de nombreuses bonnes affaires !

TOURISTE UN : Je suis sûr qu’il n’y aura plus de bottes !

TOURISTE SIX : Oh non ! Pas les bottes ! Et notre réservation au ski !

TOURISTE CINQ : Ne t’inquiète pas, ma chérie ! Je suis persuadé que notre guide ne nous aura pas abandonné. Dites-lui que vous ne nous avez pas abandonné ! Dites-lui que nous irons skié cet hiver !

LE GUIDE : Ne suis-je pas votre guide ?

TOURISTE DEUX : Si bien sûr. Mais nous nous sommes sentis abandonnés, vous comprenez ?

LE GUIDE : Vous ai-je déjà fait faux bond ?

TOURISTE DEUX : Et bien un peu tout de même ! Depuis tout à l’heure, nous sommes un peu livrés à nous-mêmes.

TOURISTE QUATRE : Nous étions là, à l’hôtel, avec nos cartes bleues, sans savoir que faire. Il n’y a presque rien à acheter dans ces hôtels !

TOURISTE TROIS : La boutique de l’hôtel n’a pas pu nous fournir tout ce que nous souhaitions. Il faut dire que nous voulions tout acheter ! Et comme nous étions nombreux…

TOURISTE UN : Puis ces Policiers-Militaires sont venus nous chercher ! Nous avons eu peur, vous savez ! Imaginez un peu ! Des Policiers-Militaires !

LE GUIDE : Vous n’aurez plus peur désormais ! Je vous le promets ! Ou je vous le rembourse !

TOURISTE SEPT : Il était parti à ma recherche ! Je m’étais égaré !

TOURISTE QUATRE : ça nous l’avions déjà remarqué que vous aviez l’air bien égaré ! Ce n’est pas nouveau, ça.

TOURISTE SEPT : Il m’a aidé. Notre guide m’a aidé à retrouver le chemin du centre commercial.

LE GUIDE : Et oui ! Il a retrouvé le chemin de notre temple de la consommation.

TOURISTE QUATRE : Nous allons pouvoir acheter, alors !

TOURISTE TROIS : Oui ! On veut dépenser, nous !

LE GUIDE : Patience mes amis ! Patience ! J’ai quelque chose d’encore mieux pour vous ! Quelque chose de beaucoup plus grand !

TOURISTE CINQ : C’est vrai ? Qu’est-ce que c’est ?

TOURISTE DEUX : Il existe un centre commercial plus grand en ville ?

TOURISTE TROIS : Je sens que nous allons faire des affaires ! je sens mon portefeuille qui frétille au fond de ma poche !

TOURISTE QUATRE : Voilà que ça lui reprend de parler n’importe comment ! L’excitation lui fait perdre toute cohérence !

LE GUIDE : C’est grâce à notre ami égaré que l’évidence m’est apparue. Vous devriez l’en remercier.

TOURISTE QUATRE : Oui c’est ça ! Et puis quoi encore ? Vous n’allez pas nous faire croire que nous ferons plus d’achats grâce à lui ?

LE GUIDE : Ouvrez grand votre esprit et écoutez-moi !

TOURISTE TROIS : Qu’est-ce qu’il propose au juste ? Parce que moi je suis déjà prêt à dépenser plus !

LE GUIDE : Ce qu’il propose ?

TOURISTE UN : Oui ! Qu’est-ce qu’il propose d’autre ? Encore un cours de culte ? Nous, ce que nous voulons, c’est acheter ! Rien de plus !

LE GUIDE : Non ! Cela n’a rien à voir avec le culte ! C’est beaucoup mieux, beaucoup plus que ça ! Ce qu’il vous propose, ce qu’il nous propose, c’est l’avenir, mes amis ! C’est votre avenir ainsi que celui de l’humanité !

TOURISTE DEUX : Rien que ça ! Et vous comptez faire ça maintenant, là, dans le centre commercial ?

LE GUIDE : Le centre commercial sera le berceau de notre grand et beau projet. Vous entendez ? Le berceau !

TOURISTE TROIS : Un berceau ? Je n’ai pas d’enfants, vous savez. Alors je peux en acheter un ou deux pour anticiper. Oui ! ça servira forcément. J’en prendrai deux ! J’ai vraiment besoin de dépenser, moi !

LE GUIDE : J’ai besoin de vous, mes amis. J’ai besoin de vous car vous serez les messagers. Mes représentants !

TOURISTE CINQ : Vos représentants ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

TOURISTE UN : Nous allons encore perdre du temps pour nos achats ! Le temps tourne et nos bottes s’éloignent !

LE GUIDE : Vas-y, mon ami ! Explique-leur tout !

TOURISTE SEPT : Merci ! Lorsque vous m’avez connu, j’étais troublé. J’ai même fini par m’égarer, me perdre totalement.

TOURISTE QUATRE : ça nous le savons déjà tous ! Nous vous avons attendu suffisamment longtemps !

TOURISTE SEPT : Oui j’étais perdu ! Beaucoup de choses n’avaient plus de sens, mon pouvoir d’achat disparaissait. Je peux même dire que je n’en avais plus ! La police-Militaire m’en avait définitivement ôté l’usage ! Mais alors que je sombrais et que je croyais avoir définitivement perdu l’accès à ma carte bancaire, notre guide m’est apparu et il m’a ouvert les yeux. Surtout, mes amis, il a accompli un véritable miracle ! J’ai pu grâce à lui retrouver l’usage de ma carte de crédit ! Il m’a redonné mon pouvoir d’achat ! Je suis un miraculé !

TOURISTE UN : La Police-Militaire l’avait privé de sa carte !

TOURISTE TROIS : Le guide a réussi à lui redonner son pouvoir d’achat !

 TOURISTE CINQ : C’est incroyable ! C’est un miracle ! Un véritable miracle ! Notre guide a accompli l’impossible !

TOURISTE QUATRE : Il lui a fait retrouvé son pouvoir d’achat…

TOURISTE SEPT : Grâce à lui, je me sens fort à nouveau et capable d’acheter tout ce qu’il me plaît. Grâce à sa parole décomplexée, j’ai pu me relever, me redresser, et marcher vers le centre commercial, alors que je venais de traverser le plus grand moment de détresse de mon humble existence. Je croyais bien ne plus jamais pouvoir acheter quoi que ce soit !

TOURISTE UN :  Le pauvre ! C’est horrible ! Vous avez dû tellement souffrir !

TOURISTE TROIS : Cela vous est vraiment arrivé ? C’est tellement difficile à croire qu’une chose pareille puisse se produire de nos jours.

TOURISTE SEPT : Notre guide m’en est témoin.

LE GUIDE : J’en suis le modeste témoin.

TOURISTE SEPT : Il a su me relever, me parler et me conduire jusqu’à l’hôtel. Ma carte bancaire m’attendait. Je l’ai saisie comme je le fais maintenant et je suis venu jusqu’ici, jusque dans ce temple de la consommation. Ses néons publicitaires ont éclairé mon chemin ! Et je vous retrouve ici mes amis, impatients de consommer ! Je veux payer !

LE GUIDE : Vous entendez ça, mes amis ? Il veut payer ! Il veut payer !

TOURISTE SIX : Il veut payer…

TOURISTE CINQ : Il veut payer.

TOURISTE QUATRE : Moi aussi je veux payer !

TOURISTE TROIS : Moi aussi ! On veut tous payer !

TOURISTE DEUX : On veut tous payer !

LES TOURISTES : On veut payer ! On veut payer ! On veut payer !

LE GUIDE : Et oui, on veut tous payer, mes amis. On veut tous payer. Ce jour est un jour fondateur. Ici, dans ce temple de la consommation, commence notre longue et extraordinaire campagne publicitaire. Car il existe encore aujourd’hui, de par le monde, des hommes et des femmes qui vivent dans l’ignorance ! Des hommes et des femmes qui ne connaissent pas nos temples de la consommation ! Des hommes et des femmes qui ne possèdent pas de carte bleue ! Il faut leur ouvrir les yeux ! L’esprit ! Il faut leur ouvrir le portefeuille ! J’ai besoin de vous, mes amis !

TOURISTE CINQ : Je veux leur ouvrir le portefeuille !

TOURISTE TROIS : Il faut leur ouvrir le portefeuille !

TOURISTE DEUX : Mais comment peut-on faire ? Comment peut-on vous aider, mon guide ?

LE GUIDE : Il y a bien des manières d’accomplir cette noble tâche. Notre ami a évoqué auprès de moi l’idée d’écrire un livre qui raconterait mes visites guidées et l’expérience que chacun aura vécu à mon contact. Ce livre donnerait aux gens l’envie de venir dans cette ville, berceau de notre projet, et de profiter de mes visites guidées. Chacun pourrait y trouver les réponses qu’il cherche depuis si longtemps. Comment augmenter son pouvoir d’achat ! Où faire les meilleures affaires ! Comment acheter sans avoir peur ! Ce livre doit aider à vaincre la peur ! Il deviendra une lumière dans l’obscurité, un néon publicitaire dans la cité !

TOURISTE QUATRE : Un livre ! ça ne pouvait être qu’un idée à lui, ça !

TOURISTE UN : Moi je trouve ça bien, un livre. Et puis ça changerait du Livre Unique. C’est vrai ! Qui d’autre ici s’est autorisé à lire un autre livre que Le Livre Unique ? A part lui, bien sûr !

TOURISTE DEUX : Tu as raison ! Un livre serait certainement une bonne idée mais qui aura envie de le lire ?

TOURISTE QUATRE : C’est vrai ça ! Plus personne ne lit de livres.  Ils sont beaucoup trop chers !

TOURISTE SEPT : Nous sommes libres de lire ce que bon nous semble ! Aucune loi ne nous interdit de lire des livres ! Mais tout comme les lois sur les religions, tout a été fait pour nous en éloigner !

LE GUIDE : Il dit vrai. Il y a longtemps, un livre pouvait s’acheter très facilement. Aujourd’hui, qui a les moyens de s’en acheter un ? Leur prix est devenu prohibitif afin de nous en détourner petit à petit.

TOURISTE UN : Vous ne voulez tout de même pas que votre livre soit gratuit ? Ce serait une terrible erreur !

TOURISTE SEPT : Non ! il serait payant, bien sûr ! Il serait même très cher ! Il faut  que les gens aient envie de se le procurer ! A part les catalogues et les programmes télévisés, qui se souciait de lire ce qui se trouvait dans nos Musées-Bibliothèques ? Tout a été mis en œuvre pour nous éloigner de ces ouvrages, de ces lieux. Qui parmi vous a déjà mis les pieds dans ces Musées ?

TOURISTE UN : Il faut avouer que ça ne donne pas très envie ! Il n’y a que des livres et l’entrée est gratuite. Et puis comme on nous a toujours dit de lire le Livre Unique.

LE GUIDE : Il faudra que cela change, mes amis ! Tout sera mis en œuvre pour que les gens aient besoin de l’acheter. Il faudra qu’ils lisent notre livre !

TOURISTE CINQ : Moi j’aurai envie de le lire, ce livre !

TOURISTE SIX : Moi je veux participer ! Je veux écrire ! Je veux raconter ma rencontre avec vous, mon guide ! Je crois que j’ai retrouvé le goût de lire !

TOURISTE TROIS : C’est un nouveau miracle !        

LES TOURISTES : Un miracle !

TOURISTE SEPT : Chacun d’entre vous sera libre d’écrire son livre, de témoigner sa version des évènements qui nous ont réunis ici, dans ce temple de la consommation ! Chacun pourra apporter son témoignage !

LES TOURISTES : On veut consommer ! On veut consommer !

LE GUIDE : On veut tous consommer ! Oh oui, on le veut tous ! Vos livres seront le témoignage de cet instant fondateur que nous vivons aujourd’hui. Vos livres deviendront les écrits de référence qui réconforteront ceux et celles qui se sentent seuls et perdus à travers le monde, sans pouvoir d’achat. Il aidera ceux et celles qui n’ont pas de temple pour consommer. Je veux croire que grâce à vous, mes amis, les hommes et les femmes s’uniront pour bâtir de nouveaux temples de la consommation. De magnifiques centre commerciaux voués à notre cause ! Je veux donner à chacun la chance de posséder une carte bleue. 

TOURISTE TROIS : Vous pourrez compter sur moi ! Je parlerai en votre nom !

LE GUIDE : Je veux compter sur toi, mon ami !

TOURISTE QUATRE : Et pourquoi ils sont là, eux ? Je croyais qu’on ne pouvait pas les acheter ?

LE GUIDE : Alors ? Il paraît qu’on ne peut pas vous acheter, mes amis ?

LES POLICIERS : Ah ah ah !

LE GUIDE : J’ai pu les acheter. Je leur ai parlé. Ils m’ont écouté. Ils ont entendu mes paroles et je les ai payés. Et oui, maintenant tout s’achète, je veux le croire. Et si vous aussi, mes amis, vous y croyez, si vous ne laissez pas le doute diminuer votre pouvoir d’achat, vous pourrez tout acheter !

TOURISTE TROIS On pourra même les acheter, eux aussi ?

LE GUIDE : Oh je pense que oui. Si tu y crois, mon ami, si tu y mets le prix et si tes intentions sont bénéfiques pour ton guide, alors oui, tu pourras les acheter.  Ils nous seront fort utiles pour veiller sur nos modestes affaires, pour nous protéger. Car, je le crains, notre succès ne fasse fera des envieux ! Certains tenteront sans doute d’en attenter à ma personne.

TOURISTE SIX : Non ! pas ça !

LE GUIDE : Ne t’inquiète pas, mon ami ! Notre foi est au-dessus de ces gens-là ! Et je paye ces Policiers-Militaires pour me protéger. Pour ma sécurité. Un jour, vous le verrez j’en suis sûr, tous les hommes de ce monde connaîtront le règne de la consommation de masse. De nouveaux temples se répandront un peu partout et tout le monde saura que c’est ici, dans cette ville, dans ce centre commercial, que tout à commencé ! Je suis votre guide et j’ai besoin de vous !

TOURISTE TROIS : Moi j’irai par les chemins, en avion ou bien en train ! Je raconterai d’où je viens, de ce qu’ici j’ai vu je serai le témoin. Je parlerai à tout un chacun, j’écrirai s’il le faut de ma mains. Grâce aux médias les plus contemporains, votre message, mon guide, sera le mien !

TOURISTE QUATRE : Bravo ! C’est magnifique ! Autant plus tôt j’étais sceptique quand il faisait des phrases étranges, mais là, je m’incline !

TOURISTE SIX : C’est vraiment très beau ! Très vendeur !

TOURISTE TROIS : Merci ! ça m’est venu comme ça ! C’est le guide qui m’inspire. Encore un miracle, sans aucun doute !

LE GUIDE : Trouvez l’inspiration, mes amis ! Soyez créatifs ! Votre campagne publicitaire sera longue et semée d’embuches. Vous croiserez sur votre route des personnes qui prêchent la parole d’un autre guide, d’un autre temple. Retors, ils essaieront eux aussi de convaincre les hommes et les femmes de se détourner de nos centres commerciaux. Ils voudront les conduire vers des lieux obscures, les petits commerçants ou les artisans ! Ils essaieront peut-être même de vous pervertir !

TOURISTE UN : Mais comment peuvent-ils faire ça ? Ils n’ont donc aucun scrupule ?

TOURISTE QUATRE : Il faudra les empêcher ! S’ils ne veulent pas nous écouter, je serai prêt à me battre ! Je ne peux pas admettre que des gens ne veuillent pas entendre votre message, mon guide !

LE GUIDE : J’aime ta fougue, ton énergie, mon ami. Elle nous sera certainement très utile. Des temples de la consommation vous ouvriront leurs portes à l’approche des grandes villes. Ils vous offriront des boutiques et des centres de loisirs pour vous détendre. Ils vous fourniront toute la logistique pour démarcher. Le centre commercial de cette ville sera le temple fondateur, un lieu de visite. Je peux même dire un lieu de culte ! Les gens viendront avec leurs enfants, leurs familles et leur carte bleue bien remplie. Ils diront à leurs chères têtes blondes et dodues : c’est ici que tout a commencé ! C’est ici, mon enfant, que je te remets ta première carte bancaire.

TOURISTE UN : il faut qu’on revienne avec les enfants ! Ils faut qu’ils aient leur carte bancaire !

TOURISTE DEUX : Mais ils en ont déjà une !

TOURISTE UN : Non ! Ils n’ont pas de carte. Ils n’ont pas la carte ! C’est ici et maintenant que tout commence ! Je veux que leur première véritable carte leur soit remise ici ! Dans le respect de notre culte !

TOURISTE DEUX : Tu as raison ! Nous reviendrons avec les enfants ! Et nous serons accompagnés de milliers de gens ! Tous voudront que leur carte bancaire soit créditée par vous, mon guide.

LE GUIDE : C’est une bonne idée ! J’achèterai une banque et je créditerai les cartes ! Oui je pense que je pourrai faire cela ! Vous êtes décidemment une très bonne équipe commerciale !

TOURISTE SEPT : Nous devons inventer un signe ! Un langage par le geste qui nous relierait, qui nous identifierait.

TOURISTE CINQ : Un peu comme le signe de croix que vous nous avez enseigné tout à l’heure, c’est ça ?

TOURISTE SEPT : Oui. Comme  celui-là ou celui d’une autre religion. L’histoire peut nous enseigner beaucoup, pourvu que l’on sache en retenir le meilleur.

TOURISTE SIX : Vous voyez qu’il avait raison ! Heureusement notre guide a su répondre à ses questions pendant la visite tout à l’heure. Alors que nous étions tous impatients, l’esprit fermé, le guide lui a su prendre le temps de l’écouter. Notre guide savait qu’il fallait lui répondre !

LE GUIDE : Mais oui ! Et c’est parce qu’il avait payé ! Ses questions, il les payait ! Tel est mon message et il en a toujours été ainsi : Tout est à toi, tu peux tout avoir, il suffit pour cela de payer.

TOURISTE TROIS : On veut payer !

LES TOURISTES : On veut payer ! on veut payer !

TOURISTE CINQ : Alors ce signe ? Que décidez-vous, mon guide ? Quel signe allons-nous adopter ?

TOURISTE DEUX : On pourrait aussi décider d’un moment où se retrouve tous, un peu comme maintenant. Histoire de se souvenir de ce jour, de ce qui est né aujourd’hui. Nous célèbrerions ce jour fondateur.

TOURISTE QUATRE : On pourrait inventer des chants ! Des chants qui seraient repris dans tous les karaokés ! Les gens paieraient pour chanter vos louanges !

LE GUIDE : Quel enthousiasme mes amis ! Quel enthousiasme ! Nous aurons du temps pour tout cela, ne vous inquiétez pas ! Votre destin est ailleurs, à présent ! Vous êtes les premiers ! Les élus ! Ceux que j’ai choisi ! Mes représentants !

TOURISTE SIX : Je vous l’avais dit qu’on était un bon groupe ! Je m’en doutais ! J’avais senti quelque chose ! Je sentais que quelque chose de beau, de grand, de fort arriverait.

LE GUIDE : Vous êtes celles et ceux qui répandront la première parole ! A l’aide de vos livres, des médias et de vos réseaux sociaux, vous conduirez le monde vers ce centre commercial ! Votre mission est la plus belle de toutes !

TOURISTE UN : Nous ne vous décevrons pas ! Soyez assuré que notre campagne sera des plus féroce !

LE GUIDE : Mais avant cela, mes amis, faites vous plaisir ! Dans notre centre commercial, faites raisonner les bips bips des machines à cartes bleues ! Vous l’avez bien mérité ! Et tant attendu !

TOURISTE QUATRE : ça c’est sûr ! Mais le jeu en valait la chandelle !

LE GUIDE : Les achats que vous ferez aujourd’hui resteront gravés dans votre esprit ! Ce sont les premiers achats du premier jour de votre nouvelle vie !

TOURISTE TROIS : Allons faire des achats ! Allons dépenser !

TOURISTE DEUX : Allons dépenser ! Viens, mon amour, je t’emmène au deuxième étage !

TOURISTE UN : Oh mon amour ! Les bottes !

Les Touristes Un et Deux sortent.

TOURISTE TROIS : Je sens que vais dépenser ! Je sens que vais dépenser comme jamais je n’ai dépensé auparavant !

TOURISTE QUATRE : Je peux vous le dire maintenant : j’ai douté de vous ! Je n’aurais jamais cru que quelqu’un comme vous puisse nous conduire devant notre guide. Voilà… Je tenais à vous le dire. Je suis désolé si j’ai pu être un agressif parfois ! C’est mon tempérament ! Je suis un impulsif, vous comprenez ?

TOURISTE SEPT : Ne vous inquiétez pas ! L’important est que nous soyons maintenant tous sur le même chemin ! Nous sommes différents mais notre guide nous a tous acceptés tels que nous sommes. Il a su voir clair au plus profond de chacun d’entre nous. Il a accueilli votre impulsivité, il a rassasié ma curiosité.

TOURISTE QUATRE : Vous êtes quelqu’un de bien ! Il fallait que je vous le dise. J’apprécierai un jour de faire des achats en votre compagnie. Si cela vous tente, bien sûr…

TOURISTE SEPT : Mais vous aussi vous êtes quelqu’un de bien. Je suis persuadé que nous ferons de grands achats tous ensemble ! Allez ! Les dépenses ne peuvent attendre !

TOURISTE QUATRE : J’y vais ! On va payer ! 

TOURISTE SEPT : A plus tard !

Le Touriste Quatre sort.

TOURISTE TROIS : Avant de partir, mon guide, je voulais vous dire que si vous cherchez quelqu’un pour les chansons à votre gloire… Enfin bon voilà ! Je compose et j’écris un peu, par ci par là ! Donc si vous avez besoin de moi…

LE GUIDE : Mais c’est une très bonne nouvelle ! J’ai pu entendre tout à l’heure un léger extrait de ta prose et ça a l’air très bien. On te rappellera, mon ami !

TOURISTE TROIS : Merci mon guide ! Je n’osais pas trop vous en parler. Jusqu’à présent je me suis toujours senti un peu mauvais. Mais grâce à vous…

LE GUIDE : Ce n’est pas moi, mon ami. Je n’ai fait qu’éveiller le pouvoir d’achat qui sommeille en toi. Si cela peut t’aider à composer.

TOURISTE TROIS : Oh oui cela m’aidera !

LE GUIDE : Fonce alors ! Cours ! Vole ! Comme un oiseau, bien sûr ! Pas comme un voleur !

TOURISTE TROIS : Ah ah ah !

LE GUIDE : Il y a au troisième étage un magnifique magasin de musique. Je suis convaincu que tu y trouveras les instruments qui te donneront l’inspiration. Prends en un maximum ! Ne lésine pas la dépense ! C’est ainsi que tu deviendra peut-être celui qui écrira nos plus belles chansons pour les karaokés.

TOURISTE TROIS : Pour les karaokés ? Vous croyez vraiment ? Mes chansons dans les karaokés ! J’y vais, alors ! Au troisième étage…

LE GUIDE : Au troisième étage. N’oublie pas de dire que tu viens de ma part ! Je touche une commission.

TOURISTE TROIS : Jamais je n’oublierai de le dire ! Jamais je n’oublierai, mon guide !

Le Touriste Trois sort.

TOURISTE CINQ : Nous allons y aller nous aussi ! Nous voulions vous remercier de nous avoir choisis ! Vous avez dû accueillir tellement de groupes, de visiteurs depuis que vous êtes guide. Je ne sais pas ce qui fait de nous les heureux élus mais je vous en serai éternellement reconnaissant.

TOURISTE SIX : Nous vous en serons éternellement reconnaissants. Nous ferons tout pour être dignes de votre confiance ! Tout au long du chemin qui nous attend, nos mots seront les vôtres, nos pensées seront les votres, notre carte de crédit sera la votre ! Elle chauffera dans les centres commerciaux du monde entier ! Et toujours, elle reviendra ici dépenser encore plus. On veut payer !

LE GUIDE : Allez payer, mes amis ! Allez payer !

Les Touristes Cinq et Six sortent.

TOURISTE SEPT : Je vais y aller, moi aussi, mon guide. Rejoindre nos amis. Y a-t-il quelque chose que je puisse encore faire pour vous ? Puis-je vous être utile en quoi que ce soit ?

LE GUIDE : Tu as déjà tant fait pour moi, mon ami ! Sans toi je n’en serais pas là. Tu m’as aidé à prendre conscience de la valeur profonde de mon message. Tu as su me faire comprendre que j’avais une mission, que je devais parler au monde ! Je t’en serai moi aussi éternellement reconnaissant.

TOURISTE SEPT : Je n’ai rien fait d’autre, mon guide, que de voir ce que vous êtes réellement.

LE GUIDE : Merci pour tes louanges. Va rejoindre nos amis ! Va dépenser ton argent ! Tu l’as bien mérité.

TOURISTE SEPT : Vous ne voulez pas vous joindre à nous ?

LE GUIDE : Je vous rejoindrai tout à l’heure. Mais auparavant, il y a quelque chose d’important que je dois faire. Quelque chose que tu m’as suggéré…

TOURISTE SEPT : Bien ! Je vous laisse, alors ! Vous serez en sécurité ? Nous pouvons compter sur leur loyalisme ?

LE GUIDE : Bien sûr mon ami ! Ne t’inquiète pas pour moi ! Personne ne pourra jamais éteindre la flamme que nous venons d’allumer. Et puis je les ai très grassement payés. Que peut craindre celui qui sait qu’il détient la monnaie ?

TOURISTE SEPT : C’est soulagé alors mon guide que je vais aller dépenser.

LE GUIDE : Va payer, mon ami ! Va payer ! Je t’envie !

Le Touriste Sept sort.


LE PREMIER CHAPITRE

Le Guide s’assoit, sort un livre qu’il pose sur une table devant lui.

Il l’ouvre et commence à écrire.

LE GUIDE : Premier chapitre. Ceci est le tout premier chapitre. La fondation. Ce livre sera le témoignage de ce que des hommes et des femmes ont vécu en ce jour béni. Ce qu’ils ont vu. Ce qu’ils ont retenu. Nous nous sommes trouvés aujourd’hui. Il me cherchaient dans l’obscurité. Je les attendais sous les lumières des grands magasins. Je n’ai pas choisi d’être leur guide. Ils m’ont choisi. Ils ont payé. Ces hommes et ces femmes qui venaient de tous les endroits du pays pour visiter notre belle cité. Ils ne se connaissaient pas, ils n’espéraient plus rien. Ils étaient de bon consommateurs mais il leur manquait quelque chose. Il y avait un vide en eux, leur cœur ressemblait à un compte bancaire déficitaire. Et c’est ici qu’ils ont rencontré leur destin. Je n’ai rien inventé. Je n’ai fait que réunir ce groupe d’hommes et de femmes autour de ce qu’ils avaient de plus cher. Je ne suis qu’un modeste guide qui s’est donné pour mission de révéler à chacun son pouvoir d’achat. De tous les temps, les hommes et les femmes ont cherchés à se retrouver, à communier, à se rassurer ensemble. A s’aimer. C’est ce que nous allons désormais faire. Consommer pour vivre pleinement et sereinement tous ensemble. Je veux que chaque âme égarée, chaque porte-monnaie percé puisse trouver sur sa route un temple de la consommation, un centre commercial éclairé. Que la douce lumière de ses néons l’accueille et lui offre les meilleurs produits aux meilleurs prix. Qu’il se sente comme chez lui. Que le centre commercial devienne le lieu de son réconfort s’il se sent troublé, qu’il devienne le lieu de ses achats compulsifs s’il se sent énervé. Qu’il puisse se procurer de quoi offrir s’il se sent aimé et qu’il puisse s’acheter de quoi compenser s’il se sent délaissé. Qu’il puisse acquérir de quoi s’enivrer s’il est désespéré et qu’il puisse trouver les dernières nouveautés s’il veut briller en société.  Nous avions oublié que les hommes sur notre belle planète sont là pour vivre tous ensemble, dans la paix et l’harmonie. Nous avions laissé la peur nous aveugler et nous détourner des autres. Retrouvons-nous, mes amis. Il est temps. Je veux que tous les samedis, jour de grande consommation, tous les centres commerciaux soient ouverts, qu’ils soient illuminés et qu’ils accueillent tous les hommes et les femmes dans un grand mouvement de communication massive. Que ce jour devienne le jour qui symbolisera notre règne, pour des siècles et des siècles. Tout le monde paiera ! On veut tous payer !

Alors qu’il achève son écrit, les deux Policiers-Militaires s’approchent de lui. Le Policier-Militaire Un l’étrangle pendant que l’autre surveille les entrées du regard.

LE GUIDE : Mais que faites-vous ?

POLICIER UN : Chut ! Ne parlez pas, s’il vous plaît !

LE GUIDE : pourquoi ? Je vous ai pourtant achetés ?

POLICIER UN : Tout s’achète, mon guide. Tout s’achète. Maintenant ne parlez plus !

LE GUIDE : Si vous me tuez, jamais nous ne pourrons accomplir notre œuvre.

POLICIER UN : Je n’en sais rien, mon guide. Je dois vous tuer. J’ai été acheté pour ça.

POLICIER DEUX : Dépêche-toi ! Cela ne doit pas durer trop longtemps ! Quelqu’un peut venir à tout moment !

LE GUIDE : Je peux payer plus cher !

POLICIER DEUX : Mais fais le taire !

POLICIER UN : J’essaie ! Taisez-vous ! Je vous en prie ! C’est déjà assez désagréable comme ça !

LE GUIDE : Je peux payer ! Je veux payer !

POLICIER UN : je suis désolé ! Jamais vous ne pourrez nous payer suffisamment !

LE GUIDE : Qui vous a demandé de m’assassiner ? Qui ?

POLICIER UN : Je ne peux pas vous le dire ! Il possède quelque chose de plus. Quelque chose que vous n’aurez jamais ! Quelque chose qui ne s’achète pas !

LE GUIDE : Mais de qui parles-tu ?

POLICIER DEUX : Ne lui dis rien ! S’il l’apprend on est mort !

POLICIER UN : Je ne dirai rien ! Je connais les risques !

LE GUIDE : Mais tout s’achète !

POLICIER UN : Non ! Tout ne peut pas s’acheter ! J’ai connu la peur ! Je sais ce que ça fait ! Rien ne sera jamais plus fort que ça ! Je ne veux plus jamais connaître cette sensation ! Plus jamais ! Même tout l’argent du monde ne pourra jamais me faire oublier ! Et lui il a le pouvoir… Il a le pouvoir. Vous comprenez ? Il a le pouvoir !

LE GUIDE : Je veux payer ! je veux…

Le guide meurt.

POLICIER UN : J’espère que là où vous allez, vers le grand mystère, vous trouverez plein de centres commerciaux qui vous accueilleront et qui vous feront les meilleurs prix…

POLICIER DEUX : je crois que ça y est. Il est mort.

POLICIER UN : je vous souhaite là-bas de faire chauffer votre carte de crédit…

POLICIER DEUX : Mais qu’est-ce que tu lui racontes ? Il est mort ! Il n’entend plus rien ! Que veux-tu qu’il entende ?

Entrée du Touriste Sept.

POLICIER UN : Mais je ne sais pas, moi ! je trouve ça bien, c’est tout ! C’est important pour moi de lui dire tout ça ! ça me rassure ! Peut-être que ça l’a aidé à avoir moins mal. Tu sais, le fait de savoir que peut-être après il y a des centres commerciaux, là où il va.

POLICIER DEUX : Moi je trouve ça crétin…

TOURISTE SEPT : Non ! C’est une très bonne idée !

POLICER DEUX : Vous êtes là ! On ne vous avait pas vu entrer !

TOURISTE SEPT : Que celui qui meurt soit accompagné par tous ceux qui comptaient sur lui ! Par tous ceux qui l’aimaient ! Ou par ceux qui ont quelque chose à se faire pardonner ! Comme toi, mon ami ! Qu’ils se retrouvent tous au centre commercial pour dépenser en pensant à celui qui les a quittés. Plus ils dépenseraient et plus ils lui offriraient une chance d’un au-delà merveilleux ! Ils chercheraient tous à être celui qui achète le plus afin de s’attirer la sympathie de l’au-delà. Ou pour se garantir l’accès aux meilleurs centres commerciaux par delà la mort… C’est une très bonne idée que tu as eu, mon ami ! Il faudra qu’elle soit marquée dans notre livre. Je me promets d’y travailler !

POLICIER UN : Et bien merci… Je n’ai pas fait exprès.

TOURISTE SEPT : Comment ça s’est passé ?

POLICIER DEUX : Très bien. Personne ne nous a interrompus. On a fait comme vous aviez demandé. On l’a laissé écrire et puis quand il a eut fini, on l’a… Enfin vous voyez quoi !

TOURISTE SEPT : Il a dit quelque chose ?

POLICIER UN : Il a voulu savoir. Il a voulu nous acheter. On n’a rien dit !

TOURISTE SEPT : Vous voyez ! Je vous l’avais prédit ! Il croyait que tout pouvait s’achèter. Nous avons tous les trois vécu une expérience qui nous prouve qu’il existe au-dessus de nous des forces que l’on ne peut pas acheter. Et souvenez-vous que j’ai le pouvoir de les appeler.

POLICIER DEUX : ça c’est sûr ! On ne l’oubliera pas ! Jamais ! Vous pouvez en être convaincu.

POLICIER UN : Vous avez le pouvoir ! Nous savons très bien ce que c’est d’avoir peur ! Vous pouvez compter sur nous, nous ne l’oublierons jamais ! On ne veut aucun problème avec quelqu’un qui parle avec les dieux d’avant !

TOURISTE SEPT : Je vous crois. Je sais que vous êtes de bons gars !

POLICIER UN : ça c’est clair ! On est les meilleurs pour ça !

TOURISTE SEPT : Sans aucun doute. Vous ne connaîtrez jamais de difficultés tant que vous continuerez à agir ainsi. Voyons maintenant ce que notre guide tout puissant a écrit avant de mourir…

Le Touriste Sept lit l’écrit du Guide. Il rigole à plusieurs reprises.

TOURISTE SEPT : C’est vraiment très convaincant ! J’ai bien fait de le laisser faire seul. J’avais songé un moment à lui proposer mon aide mais il s’est très bien débrouillé tout seul.

POLICIER UN : Comment saviez-vous qu’il allait écrire ?

TOURISTE SEPT : Mais tout simplement parce que je le lui avais suggéré. Il m’écoutait, vous savez. Il possédait ce charisme et ce charme que je n’aurai jamais. Les autres gens ne m’ont jamais vraiment écouté. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours senti une certaine animosité à mon égard. Et puis il savait entendre ! Il m’a merveilleusement bien écouté ! Au-delà même de ce que j’aurais pu espérer ! C’était un bon guide !

POLICIER DEUX : Mais pourquoi l’avoir tué ? Il était le guide ! Plus personne ne le suivra. Surtout qu’il est mort maintenant !

TOURISTE SEPT : C’est maintenant qu’il est mort que tout peut commencer. Il y a du bon parfois à être le seul qui ait lu des livres d’histoire. Saviez-vous qu’il y a déjà eu par le passé des hommes qui, en se sacrifiant ainsi, ont su bouleverser le monde ?

POLICIER UN : Non…

TOURISTE SEPT : Bien sûr que vous ne le saviez pas ! Personne ne le sait ! Personne n’a lu de livres ! Notre guide a écrit son histoire. Il fallait juste qu’il se sacrifie, que l’ennemi oppresseur l’assassine,  pour que cette histoire devienne une légende. Il ne peut pas y avoir de changement sans un coup d’éclat, sans une figure symbolique ! C’est le prix à payer pour changer le monde. C’est le prix à payer pour devenir un mythe. Savez-vous ce qu’est un martyr, mes amis ?

POLICIER UN : Un quoi ?

POLICIER DEUX : Non. Aucune idée. Est-ce que ça s’achète ?

TOURISTE SEPT : Est-ce que ça s’achète ? Ah ah ah ! j’avoue que la question est très bonne ! Et bien, il me semble que oui ! Et je viens de m’en offrir un. Je viens de me payer un martyr ! A un prix, ma foi, tout à fait acceptable ! Tout s’achète, mes amis ! Tout s’achète.

POLICIER UN : ça c’est sûr ! Tout s’achète ! Enfin sauf…

TOURISTE SEPT : La légende est en marche ! Il s’en trouvera parmi nos amis qui voudront le venger de ce terrible assassinat.

POLICIER DEUX : Ils vont nous massacrer ! Il y en a un ou deux parmi eux qui sont particulièrement agressifs !

TOURISTE SEPT : Mais non ! ils ne sauront jamais que vous êtes mes bras armés. Ils croiront que c’est l’ennemi qui l’a assassiné, ceux et celles qui ne voulaient pas entendre la parole de notre guide. Les plus belliqueux de nos amis iront venger son honneur tandis que les autres iront chanter ses louanges, raconté son souvenir. La mythologie de notre guide est née.

POLICIER UN : D’accord. Très bien ! L’important, c’est qu’à nous il ne nous arrive rien.

TOURISTE SEPT : Il ne vous arrivera rien. Les dieux anciens veillent sur vous.

POLICIER DEUX : Vous leur avez parlé de nous ?

POLICIER UN : Vous leur avez dit du bien, j’espère ?

TOURISTE SEPT : Je leur ai dit que je pouvais compter sur vous. Je suis persuadé que vous ne les décevrez pas. Que vous ne me décevrez pas ! Maintenant laissez-nous ! De nombreux chapitres restent à écrire. La légende ne fait que commencer !

POLICIER DEUX : Tu as entendu ? Il a dit nous ? Tu crois que ces dieux étaient là ?

POLICIER UN :  Mais tais-toi, imbécile !

Les deux Policiers-Militaires sortent sans se faire prier, regardant discrètement autour d’eux.


LE SECOND CHAPITRE

Le Touriste Sept tourne autour de la table. Il s’arrête derrière le Guide et l’attrape par-dessous les épaules. Il le pose délicatement au sol et reste un moment à le contempler.

Puis il va s’assoir devant le livre. Il tourne la page du livre, saisit le crayon.

TOURISTE SEPT : Chapitre deux…

Il lève les yeux et sourit.

 

 

  • "Carrément" d'accord, c'est drôle et subtile à la fois. L'alchimie entre les deux est rare et là, je trouve que ça fonctionne bien. En plus, il y a un message de fond qui prête à réfléchir.
    Coup de mon cœur du jour!
    J'ajoute un peu d'auto-promotion: lisez VOMERE ET GUARIR. C'est mon premier texte sur ce site.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Sam 2114 500

    Hazelnut Finetti

  • J'aime bien ton univers, c'est drôle et le message est plus subtile qu'il n'y paraît. Bien vu!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Img 20110805 00022 54

    Maria Dubrovacko

  • Merci pour ton (double) commentaire, Jolivia. Le terme de touriste est souvent dévoyé, synonyme d'inculte lourdaud et envahissant. Il y a un peu de cela ici mais j'ai tout simplement voulu mettre en avant ce que ces personnages sont dans le contexte de la pièce: des personnes qui ont voyagé et visitent un lieu "culturel".
    Au plaisir.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    20100725 img 0197 5 wm

    Johann Corbard

  • Bravo pour cette pièce. L'exposition du premier tableau peut laisser croire qu'il ne s'agira que d'une farce et très vite l'absurde prend le dessus et atteint son paroxysme lors de l'arrestation, drôle et oppressante. La fin est très cynique et surprenante comme il faut.
    Je n'aime pas trop l’appellation des personnages en "touristes" mais cela a du sens dans le contexte.
    Du beau travail.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    L j olivia coat

    Jolivia Le Decor

  • Bravo pour cette pièce. L'exposition du premier tableau peut laisser croire qu'il ne s'agira que d'une farce et très vite l'absurde prend le dessus et atteint son paroxysme lors de l'arrestation, drôle et oppressante. La fin est très cynique et surprenante comme il faut.
    Je n'aime pas trop l’appellation des personnages en "touristes" mais cela a du sens dans le contexte.
    Du beau travail.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    L j olivia coat

    Jolivia Le Decor

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