Un jour, peut être, le monde appartiendras aux pigeons
stockholmsyndrom
Il faisait chaud, très chaud, trop chaud. Je me suis assis sur le rebord de la fontaine, la place grouillait de monde, un bordel sans nom, les discutions, les disputes, les cris, les bruits s'entremêlaient, fondaient sur le pavé et se renouvelaient incessamment, un lieu vivant, authentique, eternel, une vraie fourmilière en ébullition.
La vue de cet endroit était bonne, un véritable observatoire, et la fraicheur de la fontaine me redonnait espoir dans la lutte pour combattre le soleil.
A coté de moi, il y avait des pigeons se faisant la guerre pour 2,3 mies de pain balancés par les gosses en ballade avec leur mère. Je regardais le spectacle, tout comme ce type que le soleil finirais par tuer, adossé a l'un des rares arbres de l'endroit, exhibant une pancarte indiquant qu'il crevait de faim. Ces rats a plume, se pavanant fièrement le torse bombé, comme pour nous faire part du mépris qu'ils nous portaient, ne se doutaient probablement pas de la chance qu'ils avaient. « Le monde appartiendras un jour aux pigeons. » j'ai murmuré.
J'ai allumé une clope et j'ai commencé a regarder le défilé de jambes nues, en oubliant d'être discret, parfois ca marche, tu regardes les fesses d'une fille, tu les fixent, et la fille au bout d'un moment se retourne, j'ai souvent effleuré l'hypothèse que leur derrière était directement relié a leur cerveau, comme un radar a part entière, détectant le potentiel male prétendant. Des fois, j'ai droit a un sourire, des fois ca marche. Souvent, je passe pour un détraqué. La loterie des caractères. Les jolies filles, c'est pas ce qu'il manque en Amérique du sud, mais la plupart d'entre elles offrent des baisers mortels, des entraineuses, un battement de cils et tu te retrouves a poil dans une ruelle déserte, l'employeur n'est jamais très loin. Moi, j'avais pas vraiment la gueule d'un descendant de Métheque, mon jeans, mes lunettes de soleil, j'étais facilement détectable et catalogué comme touriste, ils n'avaient même pas besoin de me le faire sentir, le soleil qui brulait ma peau peu habituée a de telles chaleurs se chargeait de me rappeler qu'ici, je n'étais pas chez moi. Heureusement pour moi, le terrain était tout aussi hostile pour mes pieds que pour tous les pieds Métheques qui s'y posaient : ici, c'est la police qui prend la fuite.
J'ai repéré un mec louche en face, non loin de la, il faisait le planton la depuis bien une demi heure, un mec du genre a te faire le sourire a 1000dollars l'unité. Il avait l'air un peu tendu, son regard changeait de direction toutes les deux secondes. J'ai croisé son regard plusieurs fois puis il a fini par s'avancer vers moi. Il était jeune, 17ans, 16 peut être. Il arborait des tatouages sur le cou, jusqu'au menton, pas la moindre parcelle de peau vierge. Il était maigre, s'il avait fallu en venir au poing, j'aurais certainement arraché 2,3 pièces de sa dentition plus que douteuse, mais ce mec la, c'est le genre de mec a planquer un revolver dans son pantalon. Je me suis demandé un instant si je devais prendre la fuite mais j'avais mangé trop épicé pour espérer produire une belle performance au sprint. Et merde, qu'il fasse ce qu'il a a faire après tout. Il est arrivé devant moi et m'as demandé du feu, en Anglais. Je lui ai répondu en Espagnol et lui ai filé mon briquet. Il a allumé sa cigarette et s'est retourné avant de partir, avec mon feu, ni au revoir, ni merde. J'ai ri, j'adore l'hospitalité, et puis j'aurai pas oser espérer ne perdre qu'un feu de toute façon, c'est moi le gagnant. Il s'est effacé de mon champ de vision.
Cinq bonnes minutes a regarder des fesses se sont écoulées avant qu'un deuxième mec du même genre que le premier ne déambule vers moi, des traits de visage durs, agressifs, beaucoup plus gros et plus vieux que le précédent. Il se la jouait. Il mâchait un chewing gum et portait des lunettes de soleil. Il avait l'air de se prendre pour Danny Trejo, en plus gras, une vraie tête de con qui avait certainement trop regardé de Tarantino. Il n'inspirait ni l'intelligence, ni le pacifisme. La, j'ai vraiment regretté d'avoir mangé épicé. Il s'est arrêté devant moi.
- « Désolé, j'ai plus d'feu. », j'ai dis.
- « Ferme ta gueule. », il m'a tendu un téléphone portable. « Tu vas recevoir un appel, je te conseille de répondre si tu veux pas savoir jusqu'à quel point tes couilles se tendent avant de céder fils de pute. », et puis il s'est barré, comme si de rien n'étais.
J'étais en train de me faire braquer, la clope au bec, décontract, a la fraiche, accoudé sur le rebord d'une fontaine, j'étais le mec le plus cool de la place de Medellin, j'étais le plus gros pigeon de la place de Medellin. L'espace d'un instant, j'ai songé a jeter ce foutu appareil a l'eau et m'en aller en baissant mon froc, je songeais a traverser la foule en montrant mon cul a ces petites frappes mal élevées, rien que pour voir ce qu'il allait se passer, comme ca, par curiosité, pour ridiculiser ces amateurs misant sur un bluff de mauvais gout, mais j'étais pas assis a une table de poker et ces hommes de mains avaient certainement une bonne main. J'ai attendu le coup de fil, rendant hommage a mon nouveau statue de pigeon d'or, eux même me regardaient avec une certaine admiration maintenant. Ce fut bref, 5min et la sonnerie s'est déclenchée. J'ai répondu a la dernière tonalité, j'adore faire ca :
- « En face de toi, le taxi 23, tu montes dedans et tu fermes ta gueule. »
- « On va ou ? » , il avait déjà raccroché.
J'ai attendu un instant. Le taxi ne bougeait pas. J'ai regardé autour de moi pour essayer de repérer des issues de secours, mais je vous l'ai déjà dis deux fois, la bouffe dégueulasse de ce pays était elle aussi décidée a me mettre des bâtons dans les roues. Je décidais de ne pas tenter d'exploits. Ici, si tu cherches Superman, c'est a la morgue du coin qu'il faut que tu t'adresses. Je me suis levé et j'ai déambulé tranquillement vers le taxi, l'air détaché de la situation. J'ai jeté mon mégot et je suis rentré. Au volant se tenait un mec d'un certain âge, assez vieux, je sais pas, la cinquantaine peut être, assez marqué par les saisons passées.
- « Direction le guichet, je supposes ? », j'ai fait.
Il n'a même pas pris la peine de répondre, il s'est contenter de me jeter un bref regard et a démarré. Il a commencé a rouler, tranquillement, s'éloignant petit a petit du centre ville, vers donc le mystère. Cela faisait une semaine que je venais d'arriver dans cette ville et elle m'était quasiment inconnue. Un grillage séparait le conducteur de l'arrière de la voiture ou je me trouvais, les sièges étaient bouffés et troué a multiples endroits, la couleur de la mousse qui en ressortais virait au marron-vert, sobre mélange de pourriture, la voiture sentait l'huile de friture, le toit en tôle nue se mariait parfaitement avec le bruit de casserole que faisait le véhicule. L'atmosphère était lourde, pas la moindre bulle d'air, les rayons du soleil venaient écraser l'habitacle qui donnait l'impression d'etre sa cible privilégiée, la tension était palpable, electrique, le climat insoutenable, étouffant. J'ai voulu ouvrir la vitre, la centralisation était bloquée. La porte, pareil.
- « C'est possible d'ouvrir la vitre ? », j'ai dis.
- « Non. »
- « Je vais pas sauter, j'te jure, si j'aurai voulu m'échapper je l'aurai fait depuis longtemps, tu sais pas qui je suis, ca se voit ! », j'ai dis en me faisant passer pour Jacques Mesrine.
Il en avait que foutre, j'étais juste un truc a transporter pour lui. Il s'est arreter a un feu rouge. J'en ai profiter pour renchainer :
- « Tu bosses pour qui au juste ? C'est bien payé ? »
Toujours rien, rien a foutre, ce trou du cul restait figé sur la route.
- « On va ou alors ? », j'insistais.
Toujours pas d'interaction. Je commençais a me demander si ce mec payait les consonnes et les voyelles. Il était imperturbable, complètement calme, plein d'assurance, de sang froid. Je me demandais bien comment il y arrivait dans cette jungle en pleine fournaise.
J'ai relancé une tentative :
- « Tu boss…. », il m'a coupé la parole.
- « C'est un quoi ton jeans ? »
- « Qu.. Pardon ? »
- « Ton jeans, la marque, c'est un Levis ? »
- « Euh, non, non, c'est un True religion, c'est pas d'la merde ca mon pote. », il a tourné la tête vers moi.
- « Hum… T'es le seul trou du cul bien sapé sur la place, t'es con ma parole. Ou alors… non, oublie, t'es con. », il a eu un petit rictus malsain avant de reprendre : « Bon ! On va aller vider ton compte ! »
Comme quoi, je supposais bien. Je m'étais néanmoins trompé sur une chose : mon statut prometteur de gros pigeon dépassait largement les frontières de Medellin.
On est arrivé dans une rue assez calme. Le conducteur a enclenché son clignotant et s'est garé devant une banque. On est descendus tous les 2, il m'a suivi jusqu'au guichet et m'a fait retirer, il a regardé toutes les opérations auxquelles je procédais. 800, le seuil limité au guichet par la banque. Une voiture de police est passée devant nous, lentement, observant le manège. Les flics a bord m'ont regardé, j'ai fait de même, ils ont ris puis se sont effacés. J'ai remis les billets dans les mains de mon chauffeur. Il n'arrêtait pas de me regarder de la tete aux pieds a ce moment la, un reluquage complet, le genre qui te mets mal a l'aise, pitié, pas ca, si il tente le viol, il s'en prends une ! J'ai essayé de détourner l'attention :
- « Tu vas toucher quelque chose sur le butin ? »
Il a continué a me reluquer les jambes et sans prendre la peine de lever la tete, il a dis :
- « File moi ton jeans. », il m'a en partie répondu, a sa facon. J'avais touché le fond avec le bout des orteils, mais la, je sentais bien que j'avais les deux pieds dans la merde.
- « …C'est une blague ? Non désolé j'peux p…. », il m'a interrompu calmement, tout en sortant un canon qui devait bien faire 15cm, tout en sobriété, et me l'a collé contre le sternum.
- « J'ai dis, je veux ton jeans. »
Balles a blanc ?? Je préférais laisser planer le mystere, j'ai déboutonné illico mon pantalon, l'ai baissé et lui ai remis dans les mains, la tete inclinée vers le trottoir, le regard honteux, vous savez, comme ce regard qu'ont les chiens quand on les surprends en train de chier. Il a pris mon bien, est reparti dans le taxi, mis le contact, m'a fait un signe de la main « adios, mutchatchos » et il s'est barré.
J'avais vraiment fini en slip cette fois ci, et littéralement, comme un strip poker qui aurait mal tourné, bien joué. J'étais a poil, dans une ville inconnue, sans le moindre sous en poche, j'étais seul au monde. J'ai essayé de faire appel a dieu mais il était une fois de plus sur messagerie. J'ai un peu commencé a paniquer. Il n'y avait pas de passants a ce moment la alors j'ai pris la fuite en rasant les murs, tout en trottinant. C'est a ce moment la que j'ai entendu retentir une sirene de police. Je me suis retourné, elle était pour moi, c'était les deux flics de tout a l'heure. J'ai eu ce reflexe a la con, étant maintenant libéré de ma digestion, j'ai commencé a courir, courir, courir, sans m'arrêter, me retourner, les deux shérif m'ont pris en filature, je les entendais crier des trucs pas commodes, mais je continuais a courir, rien a foutre, je voulais pas justifier ma tenue. Ils ont finis par me rattraper. L'une de ces deux brutes m'a plaqué au sol, comme un vulgaire stricker qu'on voit dans les stades, sauf qu'on a jamais vu un stade de foot recouvert de goudron. Ils m'ont passé les menottes devant les bados qui venaient de s'amasser pour assister a ce spectacle loufoque, comme pour m'humilier un peu plus. Les flics m'ont vulgairement chargé dans leur voiture. J'avais mal a la jambe et a mon amour propre. Sur le retour qui me conduisait au commissariat, je regardais le paysage, exténué par la journée de merde qui venait de se dérouler. A un moment j'ai apercu un panneau sur le bord de la route, il y était marqué : « BIENVENUE EN COLOMBIE ». J'ai décidé de fermer les yeux.
Un jour, peut être, le monde appartiendras aux pigeons. Une chose est sure, Medellin est d'un autre monde.