Un lundi soir au Pérou - La vie est un roman

Laly De Garcia

Il est 9 heures lundi soir. On a bu de l’avoine et de la quinoa bouillis avec du lait et de la cannelle et on a mangé de petits pains blancs tout ronds que l’on ouvre pour y glisser de grosses olives noires juteuses. Chacun a terminé son repas à son rythme. Le petit Luis et ses grands yeux déboulent dans la grande salle toute de ciment, un cahier barbouillé sous le bras.

-       Alors… mes devoirs pour demain… 

-       C’est bien, tu t’y prends en avance », répond Gladys dans un sourire en s’appliquant à plier en triangle une serviette de table en papier. Elle les range toutes dans un présentoir qui sera bondé pour la journée du lendemain. Et elle recommencera demain soir.

-       Alors… E-cris- 10- phra-ses- avec l’-ar-ti…l’ar-ti-cle « le » ou « la ». Mamita, c’est quoi ?

-       Mirko, viens aider ton frère !

Mirko, déjà papa dans l’âme, arrive en marchant la tête haute. Il lit les consignes rapidement.

-       Bon, allez, dépêche-toi ! », s’exclame-t-il sur un ton autoritaire qui sied particulièrement au pouvoir que vient de lui déléguer sa grand-mère.

-       Qu’est-ce que j’écris ?

-       Ecris… bah cherche… une phrase avec « le » ou « la »…

-       Le bébé Hector tête le néné de ma tante.

-       Non, dis plutôt : le bébé Hector boit du lait maternel », rectifie Gladys consciente qu’il y a certaines choses qui ne s’écrivent pas comme elles se disent.

-       Et maintenant ?... Alors… La poule chante en anglais… », s’écrie Luis, tout heureux de sa trouvaille qui illumine ses grands yeux rêveurs.

-       Euh… », sa grand-mère s’arrête là : ce serait trop cruel d’en dire plus.

-       Non ! », rectifie Mirko, le rationaliste. « Une poule, ça ne chante pas ! Autre chose, dépêche-toi…

-       Pour Noël, on vend des jouets », Luis interroge son frère du regard en s’accoudant sur la table.

-       Il est où « le » ou « la » ?

-       Pour LA Noël, on vend des jouets, alors », Luis penche la tête sur le côté pour sceller la négociation.

-       D’accord, écris-le, vite.

-       Ensuite…

-       A la télévision, on passe les infos », suggère Gladys qui se prend au jeu. Puis, elle me regarde en souriant timidement « ou… non ? ». Je suis touchée.

-       Oui, oui c’est très bien », je m’empresse d’abonder dans son sens, faisant fi de tous mes principes.

-       Ou alors, on n’a qu’à dire : A la télévision, il y a des chaines importantes qui passent les informations… », renchérit Mirko en se levant de sa chaise.

-       Ou alors… » s’enthousiasme Luis.

-       Tais-toi ! », lui assène son grand frère. « Hein, mamita : à la télévision, il y a plusieurs chaines et certaines passent des informations, mais pas toutes !», cherche à préciser Mirko. Pour lui, l’approximatif n’existe pas.

-       Un peu compliqué, mon petit ! A la télévision, on passe les infos, ça suffit… », rétorque sa grand-mère doucement.

-       Mais, il n’y a pas que des infos !

-       Je sais… c’est pour l’exercice seulement…

-       Ah, mais quand même…

-       Ah celui-là ! Quel têtu, têtu, têtu !», s’exclame Gladys en l’attrapant de sa chaise pour le serrer dans ses bras.

On éclate tous de rire. Luis est tout excité à moitié debout sur sa chaise avec des petits rires de singe. Mirko rigole comme une otarie en ouvrant largement la bouche. Gladys ressemble à un ours assis à manger du miel et rit de son rire grave qui lui fait bouger le ventre. Un lundi soir ordinaire au Pérou.

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