un mensonge meurtrier

occhuizzo-marc

règlement de compte à Spanish Harlem, New York.

Deux semaines fusèrent. Elvis devait être en tournée dans un trou à rat, disparu des écrans radar. En revanche, une milice enfouraillée, comme une armée mexicaine, était sous le commandement de ce gourou sur talonnettes, un certain Dol Mazi, ce qui rime avec nazi. L'escouade sillonnait le quartier et l'avait mis sous tutelle. Dol gérait tout. Je n'étais pas loin de la vérité, en repensant à Elvis et son sac à emmerdes que j'avais planqué dans une consigne postale, empaqueté comme je fais d'habitude pour une commande de livres de poche ou de disques vinyles.

 

Ce mardi vers huit heures, jour de marché, madame Aventanoza, la mère petit King, soupèse les fruits d'hiver, tend les sacs en papiers recyclables, remplis de clémentines, de noix, de bananes, d'abricots secs, au marchand ambulant qui au passage la reluque en insistant, pendant qu'il pose les sacs sur la balance, en fronçant ses sourcils en broussaille. Bon poids ! s'exclama-t-il. Il fait un clin d'œil éclair à madame en manteau blanc de louve. D'une voix de velours, il annonce le prix de l'addition, un compte rond.

Cheveux fins, des fils noir de soie, des yeux captivants comme au cinéma d'autrefois. Pas vieille la dame, une vraie beauté mature. La tête baissée, elle trifouilla dans son porte-monnaie. La voilà qu'elle sort un billet de 10 $ en le défroissant d'une main adroite. Lève son visage vers le ciel et les anges, un visage d'heureuse amante comblée éclaira sa peau brunie, l'œil roula en direction du vieux commerçant admiratif, gonflant le poitrail. Sa libido bouillonne dans son petit bidon rondouillard.

Un bruit claque et une violente rafale de métal éclata, un mitraillage à l'ancienne cribla la femme qui virevolta dans tous les sens, serpentant dans l'air glacial. Le corps passoire s'écrasa en masse, un poids mort au sol. La mère, la femme, la belle amante… Le sang mouchetait son beau manteau blanc, taché du col à la ceinture. Son crâne a expulsé des fragments de cervelle ; quelques morceaux au hasard avaient atterri sur une grille couvrant une bouche d'eau pluviale dans la rue en panique générale.

Le commerçant, lui, avait plongé en deux secondes sous l'étal sans demander son reste. Pris de frayeur, tous ses membres tremblaient à presque se briser tels des os d'oisillon. Les gens alentour hurlèrent à l'unisson, fissurant le ciel déjà encombré de nuages bourrés de neige jusqu'à la gueule. Fuyons tous ensemble ! La grosse cylindrée s'était tirée en zigzagant évitant de justesse l'accident entre les belles caisses américaines au milieu d'un tintamarre de klaxons. Le pilote accéléra sur la bande jaune réservée aux bus scolaire. Les mômes s'enterrèrent sous les sièges. Apeurés.

Un binôme pro. Les deux gangsters étaient méconnaissables sous leur tenue casquée et de cuir luisant, de faux flics motorisés, au port assez grand. Ainsi va la vie à Spanish Harlem.

Carmela, en habit noir et croix du calvaire ceint, pleura sa sœur cadette pendant des jours entiers, sans répit. Le malheur l'enlaidit avec ses yeux rougis. Quant à Elvis il se planquait, Dieu sait où.

Derrière la vitrine de ma boutique, j'avais assisté à cette scène d'une violence inouïe. J'avais été au premier rang, d'une impuissance totale. A croire que je pue la mort et la malédiction. Oui j'avoue avoir eu peur pour moi, pour les habitants innocents de ce quartier, pour Carmela, pour ce petit con d'Elvis, devenu orphelin par la violence de l'homme fauve.

Le ballet des sirènes se déchaînait et le bruit sourdait, d'un sadisme perçait les oreilles. Le marché était quadrillé par les forces spéciales. Quelques blessés furent évacués vers les hôpitaux. Dans la confusion pompiers et ambulanciers s'activaient pour le mieux. Les flics avaient fort à faire. Les langues resteraient paralysées. Les mots vides. Les yeux brouillés. Les oreilles bouchées.

La page tournée, les gens reprirent leur vie en mains, que faire d'autre ? ils en avaient plein le dos du malheur qui éventrait le quartier.

 

 

 

 

  • Une très belle écriture qui se lit avec plaisir et moi j'aime lire les textes des autres, même si on ne lit pas les miens. Evidemment, il y en a certains qui m'émeuvent plus que d'autres, c'est normal, on ne peut les aimer tous.
    Merci pour vos lectures, je ne peux y répondre sur ma page, en ce moment, WLW me fait des "niches".

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • merci beaucoup pour votre franchise, ce qui est un matériel rare de nos jours, patience et persévérance sont de fidèles alliées.... bien à vous

    · Il y a plus de 4 ans ·
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    occhuizzo-marc

  • Les gens n'aiment pas lire sur ce site. Un comble, je sais, mais je subis leur paresse intellectuelle depuis pas mal d'années. Il faut insister. J'ai eu droit à des "c'est trop long" et des "j'ai mal aux yeux". De vrais gamins pris la main dans le sac. Perso, je vous lis avec plaisir :)
    Le bonjour chez vous.

    · Il y a plus de 4 ans ·
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    Mario Pippo

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