Un monde de pièces de rechange

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D’abord le titre. Toute histoire commence par une idée qui en deux minutes devient un titre. De grandes belles lettres que le ciel nocturne embrasé d’or éclaire sur la page de couverture. Pas de titre. Pas de couverture. Pas d’or. Heureusement cela n’arrive jamais. Aucun être humain au monde ne m’aura plus appris sur moi-même que Jack Kérouac. Mais en contrepartie j’en sais plus sur lui, Sur Ce Qu’il Etait.. qu’il en savait lui-même. Voici un échange gagnant et honorable pour l’auteur et son lecteur. J’estime qu’il donnait à peu près quatre-vingt pour cent de lui dans tout ce qu’il écrivait. Pour ma part j’ai dévoilé les vingt pour cent manquants qui forcément importent le plus. Il se secouait l’âme jusqu’à tomber raide pendant vingt ans(l’avant et la fin de sa vraie sa vie d’écrivain ne comptent pas), pour écrire quelques bouquins. Je branlais ce qu’il en restait par pur vice pour comprendre ce qu’il tentait en vain de se planquer à lui-même. Au moins je sus qu’il était honnête ce gars. Mort, clamsé à quarante-sept piges, de n’avoir pu trouver le truc d’en sortir le dernier jus, l’ultime semence. Au-delà de laquelle il aurait pu se sentir en paix dans sa petite baraque de Floride entre un eucalyptus et une paire de bananiers farceurs, les champs d’agrumes, citrons, orangers ; les beaux pamplemousses farcis de rats morts qu’il pouvait cueillir rien qu’en tendant la main au milieu du désert hollywoodien. Son temps était loin d’être fini. Chaque année je fais le compte de l’âge qu’il aurait et ce qu’il pourrait encore nous offrir si le sang de son âme ne lui était sorti à gros bouillon par le trou du cul. Quelle putain de mort. J’aurais voulu être assez doué pour l’inventer une mort pareille. Le grand héros se tape une hémorragie interne et chie son testament dans la baignoire.  Tout seul comme un grand avec juste Mémère qui sortie des chaussettes à repriser n’était pas la plus indiquée à tenir le rôle. Des farceurs ces bananiers.. Mais c’est elle qui était là dans la petite baraque de Floride cernée d’alligators. Il était où Neil. Ils étaient où Bull. Irwin. Raphael. J’aime Kérouac en creux, comme tout ce que j’ai appris de lui(et sur moi-même) dans l’étude scientifique à laquelle je me suis livré pour ramener en plein jour les secrets misérables de son humanité. Voilà un vrai bon gars obligé de subir les sentiments atrocement humains sans lesquels on n’existe qu’à moitié, ou si peu. La part du chien dont il ne voulait pas l’a tué à petit feu. Un puits de générosité, d’abnégation, de lucidité, de modestie, n’aurait jamais écrit une ligne. L’écrivain serait mort -né, Neil serait peut-être encore en vie, aurait-il du moins vécu assez longtemps pour accomplir une mission sur Terre moins douloureuse. Mais Kérouac ne serait qu’un imbécile heureux de plus et moi je n’aurais rien appris digne de cet émerveillement propre à rendre l’homme glorieux. Le pauvre, riche de son habit enluminé et radicalement anarchiste. Cette nuit je coupe les couilles du prophète.

Pour en revenir au titre. J’en parle maintenant et une bonne fois pour toute, puis je ne reviendrais dessus qu’à la fin pour illustrer, quand tout sera dit (je rêve de simplement écrire comme Neil parlait). L’écriture est un long onanisme coléreux. A chaque ligne je vois l’écrivain ruminer sa joie, ses peines, son insolite et obscène jubilation, la main dans le calcif. Il veut faire partager à la terre entière sa délicate fonction mentale qu’il place au-dessus des faits. Ce qui compte est l’interminable rumination égocentrique surtout s’il prétend être animé d’un besoin vital d’écrire. J’en tiens pour preuve que la société en fabrique tellement qu’elle ne sait plus quoi faire de ces malades qui encombrent les rubriques de condoléances. Ils y annoncent leur mort prochaine aussi bien qu’une joie de vivre surnaturelle, démesurée et maladive. Les écrivains sont des crétins qui à défaut de se soigner entretiennent jalousement leur vice. Alors si talent il y a, cela consiste en peu de chose. Avoir l’air sans donner l’impression de chercher à avoir l’air. Ce qui en soi est un art et Kérouac est le plus grand des artistes. Maintenant on attaque.

La route des souvenirs est longue d’autant qu’elle se disperse en approchant de l’essentiel. Là où se divise le cœur de la matière. Dans la partie gauche, on tient le drame en cours et dont j’essaie de parler ici, à droite, sa contre-logique existentielle. Sachant que je veux bien reconnaître, et d’office, sans qu’on m’y pousse, l’absurdité du système tel que je l’expose. Tout démarre cent mille ans en arrière. Les vieux par mille caprices demandaient aux jeunes de les vénérer après leur mort. A la base on retrouve les vieux toujours, qui sentent l’heure et s’en émeuvent. Plus tard ils embauchaient des peintres et s’en allaient accrocher d'eux-mêmes leur portrait au mur du salon. Pour ceux qui en avaient les moyens bien sûr. Se préoccuper de sa propre éternité a toujours été un luxe. Les pauvres mis à part. Encore qu’ils peuvent s’en remettre à Dieu, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Une fois clamsé les pauvres laissent si peu derrière eux que du jour au lendemain c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. Les peuplades de type africaines s’en sont remises aux esprits. Bien vu d’ailleurs, et parce que très simple à refiler de générations en générations. Un esprit ça ne pèse jamais bien lourd. Mais ce genre de civilisation bien équilibrée à petite échelle n’a jamais rien donné de bon en termes de progrès. Disons que je ne me souviens pas d’avoir entendu parler d’un Kérouac africain. Or il est le fruit parfais et juteux de son seul continent. La grande Amérique souvent haïe et foulée aux pieds par ses rejetons les plus typiques. Miller, Kérouac, Steinbeck, Dylan, Bukowski, Hendrix, Bill Gates.. Une armée entière que je ne pourrais pas nommer. On pourrait ajouter aussi que le monde entier et grâce à eux, en est plus ou moins devenu la succursale. Comme quoi le grand paradis capitaliste recycle même ses rebelles quand il est question de ramasser les dollars. Personnellement je n’y suis jamais allé. C’est trop tard, le mythe a pris la place de la réalité poétique, et je n’ai pas envie de verser des larmes sur mes propres rêves. Maintenant que des petits malins organisent leurs circuits touristiques sur les traces de toutes ces histoires recapitalisées à l’américaine. Pour  ma part cela ne me gêne pas vraiment. N’étant pas persuadé que les enfants sauvages de l’Amérique ne rêvaient dès le départ de pareille sanctification cotée en bourse. De vrais amerloques au fond. Ils n’étaient et c’est bien mon avis, que le vent furax des plaines du Kansas, ou  le Bayou des Louisianes, les dures Appalaches, Californie ambigüe  sous le signe de Zorro, raide Colorado. Puis Hollywood nous a tous passé à la moulinette. Stop. Trop tard. Le mal est fait. Les grands mythes américains sont voués à devenir des attractions à Disneyworld. Des néons bleus, roses, verts, des lasers, des murs animés de dix mètres. A Las Végas bat le cœur de l’Amérique, et par conséquent celui de la chine, de l’Afrique, de l’Europe qui en a fourni les racines cultivées sous serre. Je me sens trop petit pour ce cauchemar. Je ne veux pas voir ça. ..

Depuis la France profonde le ciel du matin a aussi ses couleurs, toujours des teintes de silicone vert, bleu, jaune, blanc, terriblement gris. J’ai le mal d’un pays imaginaire en les retrouvant. La nostalgie aussitôt me plie les entrailles selon un procédé difficile à entendre. Le pays de nos rêves serait une légende ancienne s’appuyant sur des faits prouvés par le carbone14. Mais je prétends que cela tient purement à l’époque. Ce n’était pas le cas avant, et je peux parier que dans vingt, trente ans, le monde aura sauté sur une bombe démographique qui en fera ce qu’il a toujours aspiré à être, un grand zoo de singes hurleurs. Défoncés à la myxomédrine aux fenêtres des barres d’immeubles. Maintenant que je l’ai dit, je me fous de l’avenir. C’est pas le mien. Tout se passe ici, dans ma ville, depuis que j’ai rencontré Adrien par le plus grand des hasards. Il est prof, et mieux encore, écrivain. Je sais déjà beaucoup de lui. Il ne sait rien de moi. Possédant une vie unique et ma seule personnalité, je ne vais pas en chercher une autre. Welcome, mon ami.. allez.. Tu sais que je fais des brochettes samedi.. ? Une petite soirée entre potes.. J’en ai deux qui viennent de Paris.. Peut-être avec des gonzesses, qui sait.. Il fit un petit signe évocateur. Je t’ai trouvé un petit chantier si ça te dit. Ah bien..  vas-y toujours .. je lui fais. On se cassait sous la véranda où il s’empara d’un billet qu’il me tendit. C’est un éditeur que je connais, il demande que tu l’appelles ;. Sa femme a acheté une propriété dans le coin l’année dernière.. Je pense que tu en aurais pour une semaine à faire le parc..Il y a plus d’un hectare à ce qu’il parait, c’est grand. Je hochais le crâne pour lui manifester ma joie et ma gratitude. Un merle chanteur tourniquait sur le dôme du puits au milieu du jardin. Je me laissais tomber les yeux clos sur le fauteuil d’osier. J’ai vu un serpent mort ce matin.. il dormait sur la mousse de l’arbre, mort lui aussi.. tu sais que la conscience éternelle est une pute qui sème des visions d’horreur .. Je soufflais à Adrien qui préparait deux expressos sur l’engin chromée rutilant de vanité occidentale. Je l’entendis soupirer. Ainsi tu as vu un serpent mort sur la souche de l’arbre mort.. La conscience éternelle comme tu dis,.. serait une pute qui sème des visions d’horreur.. J’aime bien t’écouter.. Pour un type qui nettoie des jardins.. tu t’en sors pas mal. Tiens, ton café comme je sais que tu l’aime, fort et crémeux.. Le grand tourbillon des évènements me souriait. Alors t’as fini ta semaine là.. Ouaih.. je vais me reposer maintenant.. comme Dieu le fit, et tous les anges de sa grande compassion.. Je goûtais mon café et refermais les yeux. Lourd de toutes mes idées macabres sur la vie et la mort des hommes dont je ne me sens pas en vérité partie prenante. J’entendis distinctement le discret claquement du carnet s’ouvrir. Un carnet noir, long et étroit. Celui  où Adrien notait avec soin, gros fayot qu’il est du seigneur de l’Ogdoade, les bons mots et les phrases naïves d’un peuple naturel. Avec moi il était servi. Dans ma solitude qui est un désert où rien ne pousse et m’oblige à tout inventer, j’avais le temps de lui en écrire des phrases. Je les lui refilais comme de la monnaie de singe et en contrepartie il m’accueillait chez lui, me faisait connaitre ses potes et des gonzesses un peu hystériques aux longues jambes fuselées. Après pas mal d’années de solitude j’avais fini par découvrir que je ne tirerais pas plus de cette absence d’humanité. Moins encore que d’un grand bain d’égos pollués. Au fond l’ennui est un catalyseur d’émotions une fois qu’on en a bien pris conscience. Le tout est de ne pas se laisser embringuer dans les courants frelatés des camaraderies provinciales. Une putasse qui sent fort le cimetière. D’autres sont morts pour si peu, mais avaient-ils quelque chose à perdre seulement. Je dois ramener quelque chose pour samedi lui demandais-je. ..

Je m’étais mis en tête de rentabiliser au mieux mon temps de vie sur terre. Tandis qu’au-dessus du marais la brume traçait des lignes de Nazca. Justement là. A la recherche des secrets tapis dans l’eau glacée du printemps je me vis cerné par l’entière humanité. Drôle aussi que la conscience se voit assaillie d’autant de terreurs existentielles dès qu’elle se croit en mesure de communier avec la nature. L’homme foncièrement a été prévu pour être un parfait abruti. Et ce dès le départ. S’il y réfléchit, l’absurdité des choses l’étouffera pire qu’un gâteau de Noël. J’avais beau chercher, aucune vie de rechange ne s’offrait à moi. Il m’aurait fallu le goût d’aller voir toujours plus loin dans un monde grand comme un timbre-poste. Je ne cesse de le dire par ailleurs. Les prochains beatniks feront du stop au bord des cosmodromes. . J’en suis tellement certain que j’ai mis en route le roman des étoiles. Pour dire à quel point je hais cette époque intermédiaire qui est juste bonne à enculer les vieilles touristes toutes excitées par le décalage horaire. Oui, je suis un aigri. Autant ne pas chercher à m’enfoncer plus que je ne le suis pour ceux que ça tenterait. Je le dis tout de go.. Je vis dans un monde de pièces de rechange. Des brindilles de glace pour me réchauffer la couenne puisque dans le monde utopique le jour et la nuit se confondent. Principe d’Archimède appliqué aux consciences humaines bourrées de programmes télé. (Emissions culturelles uniquement..)

 http://www.youtube.com/watch?v=fwJvvdQh1k4&feature=related

  • ...et principe thermique d'entropie qui fait que le désordre s'amplifie...

    Chronique très bien écrite je trouve...me donne envie de combler quelques lacunes sur Kérouac !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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