Un petit air de saison

Véronique Pollet

Les deux dames s’étaient installées côte à côte, dans le sens de la marche. Poudrées comme des vieilles poules, lèvres cernées de rouge maladroit, cheveux bleutés gentiment casqués.

L’une, l’aînée sans doute, tenait fermement la main de l’autre. Son regard marquait clairement la certitude de la possession. Son sourire froid indiquait tout aussi clairement que l’autre n’avait pas intérêt à vouloir lui échapper. La plus menue avait gardé ses fossettes de jeune fille. Tout en elle était douceur et rondeur. Ses yeux délavés avaient des airs de printemps.

Je m’étais installée dans leur dos, curieuse de voler quelques bribes de leur conversation. Les voix étaient légèrement éraillées, dans des aigus d’avant guerre. Je m’attendais à une réplique comme «le petit chat est mort». Je tendais donc une oreille bienveillante, prête à accueillir un peu de senteur de naphtaline aux relents désuets d’une musique bal musette.

La première à prendre la parole fut l’aînée. «Il est bien mort, tu en es certaine?» Le ton était suppliant presque plaintif. «Aucun doute, vu sa couleur» répondit l’autre. Le contraste entre la douceur du visage et la dureté de la voix m’a immédiatement interpellée: il ne s’agissait certainement pas du petit chat.

Je me suis un peu raidie, un arrière goût acide dans la gorge, tendue vers la suite.

«Qu’allons nous faire de lui?» pleurnicha l’une «nous en débarrasser» asséna l’autre.

Je n’osais plus me retourner pourtant j’aurais aimé suivre leur conversation en même temps sur leurs traits.

«Il est pourtant bien grand, ça ne sera pas si facile» – «nous le découperons, j’ai remonté la scie du garage, je l’ai nettoyée et huilée»

La gorge nouée, je n’osais plus respirer. J’avais les mains moites et tremblantes. Le temps semblait s’être arrêté dans ce wagon. La prochaine gare était annoncée, je sentais les deux vieilles dames rassemblant leurs paquets, s’apprêtant à descendre. Je devrais descendre également, mais la peur me tétanisait.

S’appuyant lourdement sur le dossier, sa main presque dans mon cou, l’aînée se redressa péniblement. Soufflant sous l’effort.

«On aurait dû m’écouter et en prendre un artificiel, c’est bien plus facile et on peut le ranger au grenier, avec les boules et les guirlandes»

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