Un petit air de seigneur du mal

judy-may

-C'est bon, lâche-moi, je sais marcher quand même.

-Pas question, princesse.

J'avais trop de fierté pour ça, mais je mourrais d'envie d'éclater de rire. Elle paraissait tellement pitoyable comme ça, ma princesse. Le mascara coulant toujours sur ses joues, traînant les pieds dans la montée. J'avais l'impression qu'elle pourrait se casser la gueule en arrière n'importe quand.

-C'est ça, rigole, connard.

-Calmos, princesse. Te décharge pas sur moi. Si tu veux, je te prête un flingue, mais ce sera pour l'autre.

C'était ce petit con qu'il fallait buter. Je ne sais pas ce qui me retenait d'aller le voir tout de suite. Mais j'étais bien trop heureux qu'il l'ait larguée. Ce petit prince à la con, toujours supérieur à tout le monde, je l'avais jamais apprécié. Lui et ses petits airs. Quand je le voyais au bras de MA princesse, je me souviens de la brûlure, à l'intérieur. Je brûlais de tuer ce fils de pute, de brûler celui qui m'avait comme poignardé.

Amoureux ? Moi ? Pas le moins du monde. Juste amusé par cette petite fille trop fragile. Depuis qu'on était gosses, je me plaisais à l'embêter. C'était ma princesse, j'en faisais ce que je voulais. Je l'envoyais dans les bois pour une farce, je lui faisais peur pour la forme. Et ces petits cris d'effroi, ces petits gémissements plaintifs, ces larmes, c'étaient les miens. J'étais le seul à avoir droit à tout ça, et ce pour toujours. Ça a duré pendant des années comme ça. Jusqu'à ce que l'autre couillon vienne se mêler de tout ça.

Mais c'était fini tout ça. Ma princesse me revenait, comme toujours. C'était pas son premier copain non plus, mais il avait tenu plus longtemps que les autres, je dois le reconnaître. Mais rien n'y changerait. C'était ma petite princesse, à moi et personne d'autre. Personne d'autre que moi. MA princesse blonde, mon bouton de rose, ma princesse charmante, ma poupée de porcelaine, ma petite chipie juste à moi.

-On est presque arrivés. Si t'as un truc à me dire, c'est le moment.

-J'ai rien à te dire, mademoiselle.

On commençait à apercevoir au loin la maison de la petite choute qui commençait à rougir, de fatigue probablement. Les lampadaires commençaient à s'allumer dans la nuit noire, faisant comme des étoiles pour nous montrer le chemin. Pour nous conduire dans le château de la princesse. Soudain, cette dernière s'affaissa sur elle-même. Je réagis au quart de tour pour la réceptionner, mais elle me repoussa. Sa vitesse de réaction m'impressionna, alors qu'elle avait l'air si faible. Elle devait vraiment bien l'aimer, ce connard. Ses épaules tremblaient, comme si elle allait recommencer à pleurer. Je prenais un plaisir pervers à l'observer.

-Si, t'as un truc à me dire.

-Non, pas le moins du monde.

Elle s'était redressée, mais je voyais bien que ses jambes flageolaient. Elle ne tiendrait pas longtemps comme ça. Elle me jeta un regard meurtrier avant de reprendre. J'adorais la voir s'énerver comme ça, mais ce qu'elle dit me déconcerta.

-Tu veux sortir avec moi ?

Un peu troublé, je répondis avec une demi-seconde de retard. Cette demi-seconde qui me trahit.

-Pas du tout.

-Menteur.

Elle me fixait si durement que c'en était perturbant. Les yeux plantés dans les miens, elle semblait déterminée à ne pas faiblir. C'était comique pour une fille de deux têtes de moins. Elle ne tint pas bien longtemps. Quand elle commença à s'écrouler sur le bitume, elle ne put me repousser en allant la rattraper. Je ne comprenais pas vraiment ses réactions, ce soir. Elle venait de se faire jeter. C'était sûrement pas le bon moment d'aborder des sujets comme ça.

Alors que je remontais la princesse, elle s'accrocha à ma chemise pour se redresser violemment, puis se jeta sur moi pour plaquer ses lèvres contre les miennes.

Surpris, je ne savais pas trop quoi faire.

Je ne contrôlais plus mes gestes. Instinctivement, je la serrai contre moi. Elle porta ses deux bras joints à mon cou, tandis que je voulais la serrer encore plus fort contre moi. La briser en plusieurs morceaux, ma princesse. Je resserrais mon étreinte, toujours plus fort, encore plus fort. Ma princesse, rien qu'à moi. Je ne la laisserai plus jamais à personne. Je voulais sentir sa poitrine contre mon torse, sentir son dos se cambrer dans mes bras, son corps se contracter. Son cœur battre tout contre le mien au même rythme. Je voulais qu'elle m'appartienne. Ma princesse.

Quand elle éloigna ses lèvres, je n'osai plus lui voler encore un baiser. Je commençais à prendre conscience de la situation, et mes joues ne pouvaient s'empêcher de rougir.

-Tu es un menteur. Un pervers maléfique.

-Comme dans les jeux vidéo ?

-Si on veut.

Elle riait intérieurement, ça se voyait de loin. Ce sourire, je le connaissais.

-Tu m'appartiens maintenant, mon seigneur du mal.

-C'est toi ma princesse, idiote.

-Inverse pas les rôles.

De nous deux, c'était bien elle qui avait un petit air de seigneur du mal. Mais j'aimais ça.

Signaler ce texte