UN PEU D’ANTHROPOMORPHISME POUR CHANGER

Hervé Lénervé

Anthropomorphisme ! Anthropomorphisme ! Est-ce que j’ai une gueule d’anthropomorphisme ?

§ 3

 

Nous, Hommes, nous pensons le Monde, mais nous le pensons à notre image, id est, nous l'interprétons en y projetant des significations spécifiquement humaines.

Tant qu'il s'agit du minéral, ça va, du végétal, ça va encore. On regarde les crêtes de la montagne mordant le ciel, on observe la danse des branches oscillant sous le vent et des associations nous viennent à l'esprit, appelons cela la propension poétique du psychisme. Mais quand on s'attaque au vivant, là, ça dégénère grave.

Quelques exemples pour situer le propos :

Nous observons, un chien de campagne, brave corniaud. Il a piqué un os, va savoir où, il le tient dans sa gueule, cherchant un endroit approprié pour y creuser un trou, y déposer son trésor, refermer et s'en aller, on ne sait où, sans en marquer l'endroit par une grosse croix rouge maladroite sur une carte parcheminée ?

Observons un chien d'appartement, à présent, fier comme d'Artagnan pour changer un peu, le même os dans la gueule, enfin pas exactement le même, un autre, mais jumeau. Regardons-le à présent gratter stérilement la moquette, y déposer la friandise et repartir faire une sieste.

A la première situation, on se sera émerveillé de l'intelligence du chien dans des préventions de disette. A la seconde on aura classé le cabot, dans le registre des débiles profonds irrécupérable pour la zoo-psychiatrie. Pourtant, dans les deux cas c'est bien le même chien, cette fois pour de vrai, disons qu'il serait parti en villégiature à la ville pour prendre des vacances loin de la Nature.

Nous avons succombé à l'anthropomorphisme sans le savoir, pareil à monsieur Jourdain pour la prose.

Observons encore, on peut dire que l'on observe dur en ce moment, une toile d'araignée de belles formes, non encore déchirée par ces stupides proies qui tentent, bêtement qu'elles sont, de s'échapper et ne réussissent qu'à détruire le bel agencement de l'édifice. On va s'extasier sur l'adresse de la tisseuse qui a su produire ce délicat napperon. On va prêter une intelligence d'architecte à la bâtisseuse. Maintenant, machiavélique, nous sommes, arrêtons la dentelière dans son travail, elle abandonnera sa toile, pour en commencer une autre un peu plus loin. L'endroit ne devait plus lui plaire, n'était plus stratégique à son flaire « arachnidien » de la chasse au filet, pensons-nous. Que nenni, l'araignée, comme le chien de tout à l'heure, répondait à un programme génétique, l'araignée ne peut faire une toile que de A à Z et cela même, sans rien connaître de l'alphabet. Pour l'araignée c'est une programmation strictement innée, pour le chien, une pratique génétique  et atavique à son espèce.

L'entomologiste français Rémy Chauvin, tant qu'il avait les pieds sur Terre, avant qu'il ne s'échappe vers des planètes paranormales disait : « Ce n'est pas la fourmi qui existe, c'est la fourmilière. » Une fourmi isolée de sa fourmilière meurt ni de faim, ni de soif, elle meurt d'un manque de structure. N'ayant plus de rôle social, elle s'éteint comme une diode extraite de son circuit électronique. Le collectif a une fonction pas l'individu.

On pourrait multiplier à outrance les exemples puisés dans le règne animal, ce serait usant à la fin et épuisant à la longue. L'humain est un animal, certes, mais un animal particulier, il s'est singularisé en accédant à la pensée conceptuelle, celle qui permet d'avoir des images mentales propres à un langage abstrait et modifier ainsi son environnement. Il s'est extrait des lois naturelles qui régissaient tout le vivant… il s'est dénaturé.

***

L'interprétation humaine est de donner du sens à tout ce que nous observons, c'est ainsi, on ne peut pas s'en empêcher, disons que l'on est fait comme cela, tout comme le chien est fait comme un clebs, tout comme l'araignée est faite comme une répugnante bestiole à écraser illico presto.

Si ces propos vous ont intéressés, vous pouvez toujours vous abrutir davantage en lisant le roman philosophique : « Les animaux dénaturés » de Vercors ou les anecdotes plus scientifiques de Cyrulnik, psychiatre et éthologue distingué et préféré des médias, notamment « Mémoire de singe et paroles d'homme » auquel j'aurais mis une note de 5, s'il l'avait écrit chez nous.

 

Tchao les bandinos.

Le Monde est aux imbéciles insomniaques qui se lèvent tôt.

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