Un samedi comme tant d'autres

rocheponthus

Un samedi comme tant d’autres

La ville grouille de médiocrités, de laideurs, l’air empeste la province. Je suis seul,  j’évite le contact, c’est le sacro saint jour de la haine. Je me pose en terrasse d’un café et me prépare à débuter mon jeu préféré. Je suis dieu et l’heure du jugement est arrivée. Chaque samedi je m’accorde cette pose, j’oublie ma rédemption pour retrouver le monstre. Un café, une cigarette, je suis prêt, chargé à bloc par une semaine d’esclavage, le couteau entre les dents, je vais dépecer de l’âme et je vais jouir. Pauvre petite, si ronde, si blonde, je la transperce de mon regard, je suis elle, je vois le monde à travers ses yeux, il est glauque mais elle ne le sait pas, je fouraille longtemps pour trouver un peu de consistance, je l’inspire de ce qu’elle n’est pas pour qu’enfin ses rêves se brisent sur sa fatuité. Elle est l’ectoplasme d’une réalité qui se moque de la savoir morte, c’est une suceuse, elle enfourne des wagons de bites pour se remplir, plus elle avale plus elle se sent exister, des milliards de spermatozoïdes cohabitent gaiement dans son estomac, ils y ont leurs places, bien au chaud dans une cavité spécifique, héritage génétique de sa chère maman. J’imagine aisément leurs discussions, je les vois autour d’une table jouer à la belote, fumant la pipe et se rappelant avec encore une pointe d’anxiété le jour où au porte du paradis ils se sont vus s’écraser contre le visage trop maquillé de notre reine de la fellation, se raconter comment in extremis elle les a sauvé d’un revers de main lapant goulument ce qui lui avait échappé en première instance, comment depuis lors ils ripaillent, se mêlant et se démêlant jusqu’à gâter son haleine de l’odeur de sa pourriture intérieure. Elle ne se doute pas de l’imposture de sa vie, ce soir elle va se faire belle pour être un soleil de nuit, elle ne se rendra pas compte que son parfum bon marché empeste la vulgarité, elle ne va pas voir que sa robe plutôt que de souligner des courbes généreuses la boudine, elle ne comprendra pas pourquoi le prince charmant qu’elle va rencontrer, le mec si mignon au bout du bar qu’elle dévore depuis le début de la soirée, ne la rappellera pas, que les mots pour l’emballer n’étaient que le vent soufflant dans une baudruche et que d’être prise à l’arrière d’une bagnole ne constituait pas le début d’une histoire, qu’il était juste question de décongestionner une queue gonflée par le désir éprouvé pour d’autres. Pauvre petite, ce soir elle va espérer un avenir dans mes bras, je vais lui chanter les délices d’une vie à deux, la cajoler le temps de la remplir,  me barrer, rentrer chez moi et me branler en pensant aux images de la comédie pornographique que je viens de tourner à son insu. J’aurai passé un bon samedi, rempli mon bestiaire, nourri le monstre, et comme à tant d’autres je dirai en silence, merci, merci de ne pas avoir compris ce qui se passait, un peu comme l’éleveur lorsque qu’il mène une bête à l’abattoir et ne lit dans son regard que la confiance aveugle envers celui qui l’a nourrit avec tant d’amour.

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