un seul être

nawel-

nous jouions ensemble, mon corps et moi. une parfaite harmonie sans aucune fausses notes. Magnifiques, nous étions magnifiques. complémentaires même. une parfaite union qui inspirait le respect et l'admiration que tout être humain provoque lorsqu'il est uni avec lui-même, son double absolu. un orchestre fabuleux et rayonnant de vie, de bonne humeur. et puis tout d'un coup semble-t-il, pour une raison inconnue, c'est la descente en enfer. des désaccords,  une dissonance affreuse. elle emplit l'espace et devient désagréable. nous qui nous entendions si bien, nous n'arrivons plus à nous retrouver, à jouer ensemble. nous nous arrêtons même, puis nous reprenons, mais rien n'y fait. nous n'y arrivons pas. je vais trop vite, il ralentit. Je ralentis mais il accélère soudain. une cacophonie monstre qui perturbe le public. les gens s'inquiètent, s'impatientent, s'énervent. nous nous regardons mais nous ne nous reconnaissons plus. qui est-il ? l'était-il auparavant ? et puis qui suis-je moi désormais ? sans lui, suis-je toujours moi ? une telle dissolution est-elle possible à long terme ? c'est tout ce que je me dis lorsque je regarde ses yeux. mes yeux. je sonde leur iris, leur pupille, leur couleur à la recherche de l'avant, du pourquoi. de nous. mais il baisse les yeux, il fuit les miens. je le vois trembler et se taire. je le vois soudain changer, se recroqueviller, devenir tout blanc et pâle et exsangue, des cernes se creuser, le sourire disparaît et est aspiré par de tout autres sentiments. et moi je hurle. je hurle parce que j'ai peur. notre musique résonne encore dans le silence. j'essaie de le briser mais j'ai beau crier à m'en déchirer la gorge mais rien n'y fait. mon corps ne réagit pas. je finis par me laisser aller à sa fatigue. je somnole, je ferme les yeux et je me laisse faire par cette douce quiétude qui s'installe malgré le bourdonnement sourd et incessant du ventre de mon corps. mais je dors mal. le bruit se fait trop dérangeant et je fais des cauchemars. alors j'ouvre péniblement les yeux. moi qui me croyais dans le noir, je suis éclairée, presque éblouie par la lumière. elle est braquée sur moi et mon corps désormais presque minuscule. il est misérable. nous sommes seuls sur scène mais le public est toujours là. mais je suis frappée par son changement d'expression : ils arborent tous un visage horrifié, affreux. ils ont les yeux écarquillés, la bouche ouverte d'impuissance et d'horreur, ils ont peur. ils sont toujours plongés dans le noir et nous sommes pâles et fades et ô mon Dieu si pâles sous la lumière aveuglante des projecteurs. d'un même geste, les gens présents tendent leurs bras, paumes vides mais tellement remplies de bons sentiments. je ne comprends pas tout de suite ce que cela signifie ou je fais semblant de ne pas comprendre. leurs visages se font doux, présents, attentifs. ils ont de l'espoir. et moi je me suis abandonnée. j'ai honte et j'ai tellement peur. et j'ai faim bordel ce que j'ai faim. le public m'observe non seulement moi, mais nous. je tourne la tête vers mon corps. si petit sur sa chaise, si blanc, si maigre. si seul. j'ai abandonné mon meilleur ami. je me suis abandonné moi-même. le silence résonne de ma honte. la tristesse s'échappe de mes yeux. la peur s'empare de mon ventre et je suffoque et je suis perdue. je regarde à nouveau ces gens qui sont encore là, toujours là, qui attendent quelque chose de moi. mais je secoue la tête, éclaboussant la scène de sel. les sanglots me secouent. et là je saisis. je pige. je me tourne vers mon corps, et je lui prends la main.

  • Le corps et l'esprit dans une pièce de théâtre. Et cette problématique moderne: trop d'esprit au détriment du corps. Choix de vie, comportement, nourriture. Le corps s'en plaint et se détache. Subtil.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • merci beaucoup pour votre commentaire... malheureusement, ce n'est pas un choix, on ne choisit pas cette situation là. elle nous tombe un peu dessus comme ça pour une raison précise ou une accumulation d'autres, et il faut parfois souffrir pour les trouver et essayer de régler le problème. mais ce n'est pas un choix, non.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      nawel-

    • Je faisais allusion à ceux qui faisaient sciemment le choix d'abandonner leur corps. Ça existe hélas.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Ok

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

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