UN SOMMEIL DE RÊVE
franck75
Un sommeil de rêve
Cette nuit j'ai rêvé que je dormais.
Ou plutôt, que j'essayais de dormir. Car malgré les somnifères, je n'y parvenais pas. Alors, dans mon rêve, j'en ai eu assez de fixer le plafond ou de compter les moutons sur la moquette. Je me suis levé et je suis parti chercher le sommeil.
Dehors il faisait nuit mais on y voyait comme en plein jour. Peut-être était-ce simplement le jour ; le manque de sommeil altère la lucidité.
J'ai marché pendant longtemps dans Paris que je ne reconnaissais pas. Les gens étaient tristes et laids ; ils semblaient indifférents à tout et à moi en particulier. J'ai marché, marché, marché encore mais malgré ma fatigue, je n'ai pas trouvé le sommeil.
Après un certain temps, une grosse voiture s'est arrêtée près de moi et un homme en est sorti.
- Vous cherchez quelque chose ? m'a t-il dit.
- Oui, je cherche à dormir ; c'est le seul état qui me convienne depuis quelque temps.
L'homme m'a souri en découvrant d'affreuses dents jaunes et il m'a tapé sur l'épaule :
- Vous ne pouviez pas mieux tomber, cher monsieur, je suis le marchand de sable. Je suis plein de “dunes”, a-t-il plaisanté en clignant lourdement de son oeil noir. Faites-moi confiance, avec moi vous dormirez sur vos deux oreilles. Mais pour ça, bien sûr, il faut aligner la monnaie.
- Comment... mais il n'est pas gratuit, le sable ?
- Vous rêvez, cher monsieur, ces temps sont révolus. Endormir les gens c'est un business de nos jours qui exige de vrais professionnels. Vous devez compter deux cents francs pour une sieste, cinq cents pour un sommeil réparateur et mille pour le grand jeu avec rêve en technicolor.
- Un somme ordinaire me suffirait amplement, mais je n'ai pas d'argent sur moi, ai-je fait en retournant les poches de mon pyjama.
Le marchand de sable a roulé ses yeux brillants en direction de mes chevilles.
- Regardez dans vos bas de laine, vous y trouverez sûrement de quoi payer.
Dans mes chaussettes, il y avait effectivement des SICAV, toute mon épargne était cachée là.
Je me résignais à lui acheter un sommeil réparateur, lorsque l'autre m'a soudain vidé un sac de sable sur la tête et, profitant de mon aveuglement, il s'est enfui en emportant mes économies.
- Me voilà sur le sable, me suis-je dit en pleurant de rage. Et effectivement, autour de moi, ce n'était plus que sable à perte de vue. J'ai eu envie de crier dans le désert, mais je ne l'ai pas fait car ça ne sert généralement à rien.
Je me suis donc remis à marcher, longtemps, quarante jours peut-être sous un soleil accablant puis j'ai rencontré une chèvre, en fait non, un bouc. Pour passer ce qui me restait de colère, je l'ai frappé longuement des pieds et des poings.
- Je comprends ta fureur, m'a dit l'animal à barbiche, les marchands de sommeil sont tous des menteurs et des voleurs. Maintenant, si tu es calmé, suis-moi. Mon maître te prie de bien vouloir partager sa table.
Avec méfiance, j'ai finalement mis mes pas dans ceux du bouc émissaire car en plus d'avoir sommeil, j'avais maintenant faim et soif. Nous sommes arrivés dans un campement de Touaregs. Là, tout était bleu : leurs somptueux vêtements, leurs yeux, le ciel au-dessus d’eux. Je me sentais bien. Le chef m'a accueilli avec beaucoup d'égards. Il m'a fait servir de l'agneau grillé, ma viande préférée, puis il m'a laissé seul avec sa fille. Elle avait quinze ans tout au plus. Me sentant protégé par mon immunité onirique, je me suis sans crainte allongé à ses côtés. Hélas, mes paupières étaient trop lourdes ; il me fallait dormir. J'ai aperçu pendant quelques secondes encore la silhouette immobile et bleue de la jeune Touareg, puis soudain, j'ai tout compris : cette forme bleue, ce n'était pas la fille, c'était une bonbonne de gaz.
L'explosion a été terrible.
Je me suis retrouvé projeté sur une banquette du RER, au milieu des gémissements et de chairs déchiquetées.
- Je veux quitter ce mauvais rêve, ai-je hurlé en courant dans les couloirs. J'en ai assez, je ne veux plus dormir !
Dehors, la rue semblait sourde à tout ce malheur. À bout de souffle, j'ai arrêté des passants pour leur demander s'ils connaissaient le chemin du réveil, mais ils m'ont pris pour un provocateur. Eux voulaient dormir, répétaient-ils. De plus, mon teint halé par le soleil du désert semblait les rendre méfiants. L'un deux, en pressant le pas, m'a désigné du doigt un immense panneau publicitaire sur lequel on pouvait lire “Dormez, nous faisons le reste”. Je me suis effondré sur un banc public dans un sentiment de total abandon.
Une main s'est alors posée sur mon épaule. J'ai levé les yeux. Un type borgne avec une gueule de bouledogue me regardait d'un air protecteur.
- Laisse-moi te montrer le chemin du réveil, mon garçon, le chemin du réveil national. Viens avec nous, rejoins ta vraie famille...
- Lâchez-moi, créature de cauchemar, lui-ai je rétorqué en me dégageant. Je ne veux pas me réveiller dans votre monde. Pincez-moi, s'il vous plaît, je sais que vous faisiez ça très bien en Algérie.
Le sale type n'a pas su résister à la tentation. Il m'a pincé violemment et je me suis réveillé ce matin d'une humeur de chien.
Joli parcours...fatigué non, de ce périple? On dit que les rêves reflètent nos peurs...
· Il y a presque 12 ans ·en tous cas le récit imagé est très interessant!
Choupette