Un verre au café des morts

je-est-un-autre

Quels rêvent peuvent faire les morts? (ce texte ne répond pas à cette question)

Prologue

« La mer


Qu'on voit danser le long des golfes clairs


A des reflets d'argent


La mer


Des reflets changeants


Sous la pluie »


Dans les ombres d'une maison, deux silhouettes tristes fredonnent et dansent, ivresse sans flacon, flacon sans ivresse, et les mains se dessinent sur les murs, les murs blancs d'une petite maison. L'une des silhouettes effleurent ses lèvres, et d'un rouge sang décore son visage pâle de poupée immobile. Les ombres passent sur les murs. Un blond, un brun. Des yeux bleus noyés dans les abysses des iris noirs de l'autre.





« La mer


Au ciel d'été confond


Ses blancs moutons


Avec les anges si purs


La mer bergère d'azur


Infinie »


Le disque tourne toujours, et la chanson résonne, passe au travers des ombres des silhouettes qui s'assemblent et s'emboitent, et même les murs rient, dans le silence des notes de musique, au gré de l'opium des martyrs qui reposent sur leur peau cadavérique, et la chanson défile et enivre. Leur valse frénétique les fait rire. Les converses noires de l'un marchent parfois sur les rangers grises de l'autre. Les ombres ne distinguent plus rien. Sur le papier peint, légèrement tacheté de rouge, se forme une seule et unique personne avec deux visages qui se rapprochent et se percutent doucement, une explosion cérébrale que personne n'entend.





« Voyez


Près des étangs


Ces grands roseaux mouillés



Voyez


Ces oiseaux blancs


Et ces maisons rouillées »


La voix du chanteur s'emporte, le ton s'accélère. Au creux de leurs mains des éclats de rouge se fragmentent, décorent leur visage heureux, et les murs de sang pleurent. La maison hurle les cris des suppliciés dans l'écho de l'inaudible. Dans une cuisine, une famille figée se cloue dans une position ironiquement vivante. Un mouvement dans la mort. Et pendant que les morts se taisent les assassins dansent.





« La mer


Les a bercés


Le long des golfes clairs


Et d'une chanson d'amour



La mer

A bercé mon coeur pour la vie »


Le disque ne tourne plus. Et dans les débris funéraires de l'incinération de rires d'enfants à coup de hache, des écorchés vifs dont la peau est un manteau, un débris que la souffrance porte en trophée, l'odeur de l'innocence empeste le sang et la pourriture. Mais au milieu du carnage, des murs de sang, des armes et des lames qui jonchent le sol froid, deux silhouettes s'embrassent, comme des rescapés de l'apocalypse et leur rire ressemble à un enterrement, ils transpirent l'amour, cette passion tremblante et fragile dans sa force, cet attachement pour l'autre indescriptible qui fait qu'on le suivrait jusqu'en Enfer, parce que l'Enfer c'est mieux que de dormir ailleurs que dans son lit. Au milieu du carnage, on entend les essences de joie et la beauté des roses fanées d'un sourire de papier qui se froisse, et les cadavres hurlent et pleurent dans l'écho du silence.


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