UN VRAI PERE JUIF

René Kalfon

Elle sait que je la quitte pour à peine quelques jours. Alors elle est pénible. Elle fait exprès d'être pénible afin que je n'aie pas de peine à la quitter pour quelques jours.

Elle me fait le coup du vrai père juif, celui dont on m'a raconté l'histoire lorsque j'étais enfant. Ce père n'avait qu'une fille. Sa fille n'avait que lui. C'était pendant la guerre, la guerre pendant laquelle on arrachait des enfants juifs à leurs parents et le contraire, des parents juifs à leurs enfants. Un jour il a appris que les nazis allaient venir pour lui, et qu'il allait devoir partir, et partir pour toujours. A partir de ce jour il s'est montré odieux avec cette fille pour que, le jour de son départ, non seulement elle ne souffre aucunement de leur séparation, mais encore mieux, qu'elle soit comme délivrée d'un père vraiment odieux.

Mais hélas elle était perspicace.

Elle a lu dans son jeu et je ne vous dis pas à quel point le départ de son père et leur séparation l'a fait souffrir au bout du conte, ce conte que l'on m'a raconté lorsque j'étais enfant, quelques années seulement après la fin de cette période où l'on emmenait des pères très loin de leurs enfants.

Signaler ce texte