Un zoo pas pour les zozos

Gabriel Meunier

Qui n’a visité de zoos pourris, mortifères, où les animaux ne mangent plus ? Modernisés, avec pampas, bambous, barrières invisibles, la joie n’est pas revenue. C'est Prévert qu'il fallait inviter.

Le gorille

a cassé sa grille

il va discrètement à la chasse aux morilles


L'ours

vous propose une petite course

mais il ne prendra pas votre bourse !


La girafe ?

faites gaffe !

elle est vraiment très paf !


Le crocodile

vous laissera tranquille

il s'est démonté le condyle


Les zèbres

devenus célèbres

ils font de l'algèbre


Les paons

n'aiment pas les pan ! pan !

ils les laissent clopin-clopant


Le rhinocéros

ne voulait pas tomber sur un os

sans mot dire il remonta en son carrosse


L'antilope

est tombée en syncope...

on lui avait offert un kaléidoscope !


Le perroquet

a franchi le tourniquet

il s'est vengé sur un paltoquet !


Les biches

vous disent chiche ?

Viens ! Mais je ne serai pas ta bonniche !


Les autruches

autrefois nunuches

se promènent fières et sans capuche


L'éléphant

n'a plus mal aux dents

il se contrefiche des bien pensants


Le zébu

toujours têtu

est parti... à corps perdu !


La gazelle

toujours aussi belle

a voulu se faire la belle


Le chameau

en avait marre de faire le gros dos

incognito il s'est planqué dans un caboulot


Le caméléon

toujours fripon

dirige un groupe de bandonéon


Le lama

ne veut plus être là

retourne dans ses frimas


Le kangourou

a eu son coup de mou

est parti consulter un marabout


J'arrête ici cette énumération incroyable ; le lecteur pourra bien vite reprendre le fil.


Le gorille avait fait école. Tous les animaux ouvraient cages, cadenas et volières de leurs amis.

Et comme c'était un beau jour de juillet, une joyeuse troupe d'écailles, de poils et de plumes, entrepris alors de se dégourdir les pattes dans les allées du parc, sur les pelouses, dans les arbres...


Passant à hauteur du marchand de glaces, le rhinocéros eut une envie folle de goûter la barbe à papa. Un perroquet, qui passait en zigzagant, lui cria  

Lâââââche-toi ! Lââââââche-toi ! 

Ce qui fut fait. Émergeant d'une collerette rose-fraise, sa gigantesque corne devenait franchement mignonne et presque sympathique.

Grande dame, la girafe avait permis à une famille de singes de faire de la balançoire entre ses pattes.

Une escouade de canards hilares, en patins à roulettes, terrorisait touristes et promeneurs en leur tournant autour comme des sioux. Pendant ce temps, profitant de l'inattention générale, le crocodile avait pu dérober la clé du hors bord du marchand de glace. Alors, généreux, il avait proposé à un couple de paons une formidable partie de ski nautique sur le lac ! Champion aquatique s'il en est, il sillonnait à toute vitesse le plan d'eau, et les paons gloussaient de plaisir en éclaboussant les pédalos.

Les singes dérobaient chapeaux, casquettes et autres bibis pour se les lancer d'une allée à l'autre.

Le kangourou – un brin kleptomane – n'eut pas de peine à engranger une véritable collection de porte feuilles dans sa poche.


Nous ne décrirons pas les gentils supplices infligés aux gardes, les farces en tous genres, tout ceci sur un fond de cris aériens, terrestres, aquatiques. Le tout composait une symphonie bigarrée, et on peut affirmer que Camille Saint Saens n'eut pas beaucoup de peine à faire son plagia.


Peu à peu, cet arche de Noé avançait vers la sortie, là où s'élevait un monument à la gloire de grands hommes, militaires, scientifiques, juristes, libérateurs de tous poils…

Les animaux, essoufflés de tant de rires, de blagues et de charivaris, décidèrent de faire une halte et d'aviser à la suite à donner à leur mouvement.

A la mairie ! Crièrent timidement les biches.

Mais non ! Prenons la préfecture ! Grommela le crocodile.

Les deux ! Rétorqua gravement l'éléphant, de sa voix de baryton.

A ce moment les grilles du parc s'ouvrirent brusquement ; des véhicules rouges, blancs et noirs (ceux des grands hommes), sirènes hurlantes et gyrophares allumés, foncèrent sur les joyeux zozos.

Un haut parleur vociféra :

Calmez vous ! Cela suffit comme cela ! Vous vous êtes bien amusés, mais maintenant vous allez rentrer dans vos appartements !

On entendit murmurer « appartements, appartements…! »

Parfaitement ! Nous vous nourrissons, nous nettoyons vos cages et même parfois nous vous chauffons ! Que voulez vous de plus ?

Une frêle petite voix essaya  un

Nous voulons… juste… la liberté ! (c'était une gazelle)

Allez ouste ! Rentrez chez vous ! Sinon, c'est le canon à eau !


Sans, un mot, sans un cri (?) la petite troupe reparti chez elle. Mais avant que chacun ne quitte ses amis, un milan royal, qui avait tout vu, lâcha :

Tenez bon ! je vais porter la nouvelle à la terre entière !

Demain ne sera pas que la sixième extinction ; demain sera la prise de la bastille, la véritable bastille, la cage de tous les animaux !


C'était demain.


PS  je n'ai pas (voulu) de photo d'animal en cage
Signaler ce texte