Une affaire vaseuse (2)

le-fox

Résumé : L’inspecteur Pic, que l’on croyait n’être qu’un incommensurable crétin, s’est révélé être le cerveau de la bande dite de « L’Ibis Sacré ». Dans le bureau même de son chef, il a barboté le Vase Etrusque, en trucidant au passage une jeune femme très comestible qui aurait pu faire sans cela une héroïne potable. Ah, le gredin !

Malgré l’air imperturbable qu’il affichait même par temps pluvieux, Dufisque était ulcéré. Que cette fripouille, ce malandrin, ce pignouf de Pic ait pu l’abuser, avec ses costards à la godaille et sa bouille en graine de courge, l’abuser lui, inspecteur Dufisque, l’un des fleurons florissants du trente-six, voilà qui dépassait le sens commun. On ne le bernait pas aisément, lui Dufisque, et dès qu’il rattraperait ce gibier de bagne, il lui offrirait une place de choix à un concerto pour gnons et bourre-pifs de sa composition.

En attendant, le gang des attractions à vent commença de faire parler de lui, et Dufisque dut plancher sur le sujet. Ces misérables avaient imaginé de souffler dans des binious en faisant danser la veuze à des gourgandines sommairement vêtues, dans le but de distraire les gendarmes cependant que des complices commettaient un hold-up dans les environs immédiats. Ces coquins sans idéal poussaient même le cynisme jusqu’à faire la quête après leurs exhibitions, devenant ainsi la première bande organisée à recevoir un pourboire des mains des pandores après chaque méfait.

- Vous comprenez Dufisque, dit le commissaire Bouvier, ce scandale doit cesser.

Puis il ajouta « aïe, bordel », car il venait de se brûler en absorbant une tasse de vin chaud à la cannelle, boisson revigorante s’il en est.

- Oui, chef.

- Bousculez vos indics ! Dufisque ! Du nerf ! Vous voulez mon avis ?

- Bien entendu, chef.

- Ce vin chaud manque de sucre. Vous avez une idée, au moins ?

- Vous pourriez en rajouter un morceau ?

- C’est pas de ça que je parle ! Dufisque ! Ahuri patenté !

Dufisque prit la mine contrite de l’adolescent qui, à confesse, balbutie son confiteor avant de devoir avouer qu’il s’est touché pendant le mercredi des cendres.

- C’est à dire que je devais être rencardé par Mme Troude, la chaisière du square Viviani, qui aurait appris que les binious transitaient moitié par Auray, moitié par Concarneau, avant d’être livrés à une adresse qu’elle devait me préciser aujourd’hui, à seize heures pétantes.

- Mais ?

- Mais quoi, chef ?

- Vos conditionnels réitérés, outre le fait qu’il soit seize heures trente, me font subodorer un « mais » de mauvaise augure.

- Puissamment raisonné, chef. Il y a un hic. On vient de la retrouver, la chaisière, encastrée dans une compression de chaises. On se livre en ce moment où nous causons à la désincarcération de la dame, toutefois je crains que…

- Je crains aussi, dit Bouvier. Bien. J’expose. Cette affaire fait tousser le Ministre. Or, quand le Ministre tousse, ça fait courant d’air. Résultat : le Préfet attrape un refroidissement, ce qui refile la grippe au directeur de la Police Judiciaire. Lequel me convoque, ce qui me colle illico au vin chaud, et influe sur mon humeur d’habitude délicieuse. Tout ça Dufisque, tout ça à cause de votre incurie !

- L’écheveau est difficile à démêler, chef !

- Taisez-vous ! Là, je vous signale que le rouge est mis ! Et que ça va chier des briquettes pour votre matricule si dans quarante huit heures, ces tire-laine ne sont pas sous les verrous ! Dufisque ! Entendez-vous ?

Il en avait de bonnes, le commissaire. C’est qu’elle tombait comme une quille dans un jeu de chiens, cette affaire. Comme s’il n’avait que ça sur les bras, lui Dufisque. Et Pic, alors ? C’était pas une priorité, ça, Pic ? Une priorité d’amour-propre, en plus !

Amer et désolé, il erra dans les couloirs avant de se décider à aller boire un demi. Selon un vieil adage de la maison Poulman, le bistro porte conseil, et cet adage il l’avait souvent vérifié.

Tout en sirotant sa tartine de houblon, il se mit à réfléchir intensément aux conséquences que pouvaient avoir les drames de la déforestation sur la reproduction des termites bariolées, autrement dit son esprit dériva au gré du n’importe quoi. Il en était à envisager le pire pour les termites lorsqu’il fut interrompu grossièrement par le tenancier, qui avec le journal vespéral se livrait à de véhémentes gesticulations, au risque de renverser les verres.

- Vous avez vu ça, monsieur l’inspecteur ? Encore un coup de ces gougnafiers ! Que fait la Police, à part contribuer de façon plus qu’honorable à la progression de mon chiffre d’affaires, on se demande !

Dufisque s’empara du baveux, et ligota l’article en zigzag. Effectivement, une statuette de Bastet, déesse égyptienne de la musique, qu’on avait découverte lors des travaux de la pyramide du Louvre, avait été engourdie selon les méthodes folkloriques du gang des attractions à vent.

Ah ah, se dit Dufisque en son for interne (il n’en possédait pas d’externe), voilà qui est inhabituel, et qui me rapproche du Vase Etrusque… Y aurait-il du Pic là-dessous ? Diable ! La bande de l’Ibis Sacré et celle des attractions à vent auraient-elles fusionné ? Je m’en fous bien mal, je le saurai…

Du coup, il s’offrit un deuxième demi.

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