Une autre patrie

Comprendre la langue de ma mère, avoir une relation  instinctive avec elle, façonner ma personnalité avec des mots de là-bas, mon île aux souvenirs de maisons de pierres et de champs qui brûlent sous un soleil impitoyable, chaque été était une fournaise, le cours et la place bondés du soir ne résonnaient que d'une seule langue, des mots entendus dans des chansons ou dans la bouche des grands-mères heureuses d'être enfin avec les siens, le temps de vacances où chaque jour était une vie entière. La mer, mythique, semblait très loin,  les seules ondes auxquelles nous avons goûté pendant longtemps étaient celles de la petite radio dans la cuisine où l'on dressait de grandes tablées, ces jours-là les mots chantaient, souriaient, il y avait de la joie dans les coeurs, du bonheur dans les larmes, les enfants dont je faisais partie ne comprenaient pas toujours ça. Notre île était le point de ralliement d'une famille aux mille cousins éclatée dans un monde qui très tôt dans ma vie m'a semblé familier, c'est là une grande richesse, une de mes richesses dans laquelle je me suis vite sentie à l'aise, reconnue.

Comprendre la langue de ma mère, une langue qu'on parle aussi bien en Europe qu'en Amérique, ma vision du monde est d'abord affective, elle est peuplée d'un millier de coeurs qui battent, le mien fait partie des leurs, infiniment, le monde est ma patrie, on se comprend comme des parents éloignés.