Une balle pour Tonio
Jean Louis Michel
Une balle pour Tonio
C’est pas que je m’emmerdais ce matin, ou que ça m’a pris comme ça, d’un coup, non, c’est pas tout à fait ça m’sieur l’commissaire, mais voyez, il fallait bien que je le fasse ! C’est vrai ! J’vous jure ! J’ai pas fais ça par plaisir, non ! Même, ça m’embête un peu, voyez ? Moi, c’matin, j’avais juste à faire les courses pour la mère, vu qu’elle peut plus se déplacer, rapport à ses varices. Vous savez c’que c’est les varices ? Ça vous bouffe les jambes et ça vous coupe les pattes ! C’est la misère des vieilles qu’ont trop été debout toute leur existence. C’est tout ce que ma vieille à tiré à la loterie de la vie, si vous voyez c’que j’dis, et comme le père qu’a sa fierté y peut pas aller faire les commissions non plus, ben c’est moi qui m’occupe de tout à la maison. J’ravitaille la famille comme j’ravitaille mes poteaux, c’est ma loterie à moi, j’ai pas choisi. Chacun son bizness et les poules seront bien garnies. Hein ? Oui, gardées… ça fait une différence, m’sieur l’commissaire ?
Bon j’vous explique : Tonio, ça fait déjà quelque temps que je le voyais traîner autour de ma frangine. Vous la connaissez ma frangine ? Non ? Bon. C’est Katia ma p’tite sœur. Elle est pas bien maline la frangine, et comme le dit l’paternel : elle a pas inventé le fil à couper le beurre non plus, mais bon, c’est quand même ma « sisteur » ! Ça fait à peine trois ans qu’elle est majeure et c’est encore comme qui dirait une môme, la frangine, et comme c’est moi qui doit faire attention à sa p’tite gueule et à ses fréquentations, ben c’est moi aussi qui r’monte les manches quand y faut mettre les mains dans l’cambouis. J’balaye presque devant sa porte tous les jours pour pas qu’elle se salisse, la princesse ! Z’avez vu comme elle est belle ? J’vous l’dit, çui qui foutra ses pognes sur ses melons l’est pas encore né, m’sieur l’commissaire ! Parole d’homme et tout l’toutim ! Craché, juré ! [ RRRR-PTIOUUUU !] Avec ses études qu’elle a fait, son CAP de coiffure paysagiste et ses trucs stylés qu’elle fait, j’pouvais pas laissé un crève la dalle comme Tonio y ruiner ses chance de devenir quelqu’un dans la vie, rapport que comme y dit mon vieux c’est pas moi qui ramènerais la fraiche pour la bouffe. Avec son potentiel qu’elle a, elle peut faire tout ce qu’elle veut la sœur, mais pendant ce temps là, j’la surveille pour pas qu’elle déraille, c’est normal, vous feriez pareil, hein ? Non ?
Le problème avec Tonio, m’sieur l’commissaire, c’est que l’Tonio, y connaît pas les manières. Avec lui c’est marche ou crève ! Les femmes, avec lui, ça doit filer droit, et j’peux vous assurer qu’elles s’prennent des beignes aussi souvent que j’enfile mes gants à la salle Saint Cerdan des Batignolles. Y’a toujours eu des histoires dans l’quartiers de filles qui disparaissent ou qu’on r’trouve découpées en rondelles dans les poubelles des abattoirs. Je sais pas si sa s’rait la vérité ou quoi, mais comme on dit, y a pas de fumée sans feux, n’est ce pas ? Alors du coup, même si y a pas de preuve, ben ça fait une preuve que l’Tonio il est pas clair de ce côté-là ! Vous croyez pas m’sieur l’commissaire ? C’est comme qui dirait, le bon sens populaire ! Mon vieux il appelle ça l’intuition. Y r’nifle les embrouilles le père ! Vous pouvez me croire ! Et puis l’Tonio il est pas d’ici, vous comprenez ? Il est d’Puteau, l’Tonio. Avec son humour à deux balles, y disait « Ch’uis d’Puteau, l’paradis des putes dont c’est moi l’Mac ! » Non mais franchement m’sieur l’commissaire, c’est des manières ? C’est comme ça qu’on parle de sa mère ?
Alors bon, vous m’connaissez, m’sieur l’commissaire ! Pour moi, l’honneur de la famille c’est sacré ! Et l’Tonio, aussi balèze qu’il est, j’pouvais pas le laisser toucher à ma frangine, surtout qu’il n’en met jamais des gants, quand il les cogne. J’pouvais pas expliquer au daron, qu’la Katia se s’rait prise des gnons avec Tonio cause que j’aurais tout laissé faire ! Vous comprenez, hein ? Vous croyez qu’il m’aurait pas pris pour une vraie lopette, le vieux, si j’avais laissé faire ? Vous croyez que j’aurais pu vivre avec ça sur la conscience après ? NOOON m’sieur l’commissaire, pas moi ! Quand c’est pour l’honneur : c’est pour l’honneur ! C’est pas pour rien qu’on est rital de père en fils, chez nous. L’honneur c’est un truc qu’on a dans le sang, ça s’guérit pas.
Bon OK, j’admets, j’y ai même pas laissé l’occasion d’emballer à Tonio. La frangine elle a même pas eue l’occasion d’remarquer que l’Tonio s’intéressait de près à ses miches de concours, mais faut comprendre que c’est presque de la médecine que j’ai fais ! J’ai distribué l’médicament avant la gangrène ! Comme qui dirait, j’y ai sauvé la peau à la soeurette ! Ça mérite vot’ clémence, non ? On va quand-même pas me foutre en taule pour une simple histoire de famille, si ?
Bon OK, j’admets, j’aurais peut-être pas du lui coller une dragée entre les deux oreilles, mais admettez quand-même que depuis qu’il est plus là, l’Tonio fout plus l’bordel dans vot’dispositif non plus, hein ? Je l’sais bien qu’il était dans vos p’tits papiers avec son trafic d’herbe et ses filles qu’il foutait su’l trottoir. C’est pas avec les alloc qu’il se les payait ses pompes en croco d’Arménie et ses costards Armani. Alors moi, comme j’ai toujours un outil qui traine dans la poche, comme il était juste devant moi à la caisse devant la caissière, bah c’est comme si j’aurais vu rouge ! C’était l’occasion, quoi ! J’ai sorti le souflant de la poche et pan ! Dans les dents ! C’est juste un hasard, la faute à pas d’chance, il étais là, j’étais là, c’est tout.
Bon OK, j’admets, j’aurais peut-être pas dû le saigner à la caisse de la supérette devant tout l’monde. Si j’avais attendu un peu, j’l’aurais attendu derrière le parc, là ou il fait un peu sombre et j’l’aurais fumé discrétos, sans témoin. Du coup, je s’rais chez moi avec mes vieux à attendre que la Katia sorte de son salon de coiffure, pour passer à table. J’s’rais pas là comme un con avec les bracelets à vous raconter comment il a cané l’Tonio. Et puis aussi, qu’est ce qu’ils ont eu à gueuler comme ça dans la supérette, hein ? Vous vous mettez à hurler vous, m’sieur l’commissaire, quand y faut passer à l’action ? Non ? Ben moi, si je s’rait à leur place, j’aurais fermé ma gueule et j’aurais calté sans demander ma monnaie ! Non mais sans blague.
Bon OK, y’en a eu partout… J’admets que lui faire sauter l’caisson avec un 357 c’était pas terrible comme idée. J’aurais dû prendre un bon vieux 9mm, ça fait moins de bruit et ça fait pas sauter le haut du scalp avec le matos que y a dedans. Peut être que si j’aurais utilisé les bons outils, y seraient pas débarqués comme des cow-boys, vos copains d’la BAC. Y aurait pas eu un carnage comme ya eu ! Mais bon quoi, c’était Tonio ou ma « sisteur » ! Si la caissière s’est prise un gros bout de cervelle sur sa ch’mise, c’est comme qui dirait les risque du métier. Z’êtes pas d’accord, m’sieur l’commissaire ? Et puis plus tard elle aura des trucs à raconter à ses gosses… Bon, pas çui là, y parait qu’elle en a fait une fausse couche…mais c’est con les filles, ça tombe dans les vapes pour un rien ! J’le sais, la mère elle fait pareil de tomber dans les pommes quand le vieux la dérouille ! Ceci-dit c’est pas trop souvent, pis elle est plus en état de faire des fausse couche la vieille, héhéhéhé !!!! Ça vous fait pas rire, m’sieur l’commissaire ? z’avez pas d’humour, vous. Z’avez une sœur au moins ? Oui ? Z’auriez pas fait comme moi avec Tonio si vous auriez vu un mac lui r’nifler l’derche ? z’y auriez pas collé une cacahuète non plus ? Non ?
Dans la vie, ya des occasions comme ça ou faut être un homme, comme y dit mon vieux, c’est ça l’honneur et quand y a pas d’honneur, y a pas d’homme ! Moi, ch’uis un homme, j’ai l’sens de l’honneur. Pouvez y demander à tout le monde dans la cité, l’Tonio y méritait ce qu’il a prit dans la tête.
BAM !!!
Juste une prune ! À l’économie que j’y ai fait ! Comme un pro ! On va quand même pas m’foutre en taule pour ça, non ? Si ? Et c’est vous qui allez l’annoncer à mon vieux ? Bon courage, m’sieur l’commissaire !
N’empêche… si la BAC elle avait pas été « COMME PAR HASARD » dans l’quartier à faire chier les jeunes au pied des barres. Si elle avait pas tourné « COMME PAR HASARD » au même moment ou j’y f’sais sa peau derrière le comptoir de la caissière, dans la rue de la supérette, hé ben vous pouvez m’croire, m’sieur l’commissaire : y a personne qu’aurait causé de s’qu’il a vu de ses yeux vu ! Et même la p’tite caissière qu’à perdu son marmot à cause de la cervelle à Tonio, elle aurait passé un coup de balais fissa, et personne n’aurait ouvert sa gueule ! Un coup de jet et hop ! Ni vu ni connu, j’t’embrouille ! Moi, j’avais plus qu’à y foutre le corps dans le compacteur qui l’aurait compacté et CRAAC ! Plus de Tonio, et plus d’misère dans l’quartier ! Alors, c’est pas d’ma faute si les mecs en bleu ils ont tirés partout au hasard. Vous pouvez pas dire que c’est d’ma faute pour les trois clients qui se sont pris des pruneaux sur les trajectoires ! Le carnage, c’est pas moi qu’a commencé ! J’ai fait qu’à me défendre, et même, y en a eu un ou deux de clients, si je les avais pas poussés dans les conserves, y z’auraient bien pu se prendre des pruneaux de VOS collègues, ce qui aurait eu comme conséquence immédiate d’alourdir vot’ facture : Les bleus 5, moi 1. Ça, pour d’la bavure, c’est d’la bavure ! N’est ce pas, m’sieur l’commissaire ?
En tout cas, maintenant je sais une chose, m’sieur l’commissaire, même si j’fais, mettons… six mois pour vos bavures – notez, j’vous en veux pas, vous faites vot’ boulot – dans l’quartier j’aurais pris de l’envergure ! J’aurais nettoyé l’terrain et j’pourrais marcher dans les pompes de Tonio. Quand j’pense… juste pour une histoire de gonzesse, se prendre six mois, c’est pas un gâchis m’sieur l’commissaire ? Y avait pas moyen de régler nos affaires à l’amiable comme un accident d’bagnoles ? Moi j’aurais bien passé l’éponge sur les trois voisins que vos gars ont fumés, j’aurais pas été chien, Six mois, alors que chez vous, rien. Si j’me permettrais, m’sieur l’commissaire, c’est pas ça la justice…
Je voulais m'exercer au monologue, ce texte n'est donc qu'un exercice dont l'idée m'est venu en lisant une annonce de concours, ici, sur le thème "one shot" de storylab. Pour le personnage, je me suis inspiré de la manière de parler de Coluche dans ses sketches, un peu du personnage de Berurier également. Content que ça vous plaise !
· Il y a presque 13 ans ·Jean Louis Michel
vraiment pas mal! pour un peu on s'y croirait!
· Il y a presque 13 ans ·Karine Géhin