Une bonne dose d'adrénaline

nat28

Projet Bradbury - Semaine 46

     Mes biceps se contractent tandis que je tente de soulever la carcasse de voiture dans laquelle une petite fille en larmes est bloquée. Autour de moi, c'est le chaos le plus total, les gens s'enfuient en hurlant et au milieu de leurs cris, je n'entends que le bruit des explosions des conduites de gaz. C'est la merde. Et je suis leur dernier espoir.

     Une goutte de sueur glisse sur mon front et tombe sur le sol jonché de débris. Je dois rester concentré et mobiliser toutes mes forces pour sortir cet enfant de son piège de métal. L'habitacle bouge, enfin ! J'encourage la fillette à se glisser hors du véhicule, en lui souriant d'un air rassurant. Avoir une confiance en soi sans faille et une autorité naturelle, voilà le secret. Un débardeur moulant, un peu déchiré, ça aide aussi.

     Sans vouloir me vanter, quand rien ne va plus, je suis toujours là, pour résoudre les problèmes, pour sauver un maximum de personnes et pour pouvoir dire à la fin de la journée “j'suis bien content de voir le soleil se coucher ce soir”. Par le plus grand des hasards, les membres de ma famille font toujours partie des rescapés, et si j'ai une ex-femme ou un ado un crise qui ne veut plus me parler à la maison, je profite toujours de la situation catastrophique pour recoller les morceaux. Tant qu'à faire…

     Certains disent que je suis un héros, mais je n'aime pas ce qualificatif. Je fais mon job, voilà tout. Je suis souvent pompier ou policier, rarement expert-comptable, j'ai des gros bras et un sens pratique hors pair, et, par dessus tout, une chance incroyable (on pourrait dire “de cocu”, ce qui serait un peu vexant mais tout à fait raccord avec le coup de l'ex-femme).

     Je suis toujours au mauvais endroit, au mauvais moment, mais comme j'ai les capacités physiques et intellectuelles pour m'en sortir, la plupart du temps, ça passe avec une bonne dose d'adrénaline. Parfois, je me sacrifie, généralement pour sauver l'humanité, ou ce qu'il en reste, alors j'accepte mon sort. La plupart du temps, je m'en sors bien, je retrouve ma petite famille, décomposée au début de la crise, plus unie que jamais devant le champ de ruine qu'est devenu sa vie d'avant. Ca n'a même pas l'air de les affoler, ce paysage apocalyptique, comme si le fait d'être ensemble et le pouvoir de l'amour allaient résoudre tous les problèmes.

     Je fatigue, parfois, mais comme tout le monde compte sur moi, je ne peux pas me reposer un seul instant, ou faire part de mes doutes. Les autres ne comprendraient pas. C'est comme si j'avais, en même temps, rien à perdre et tout à préserver. Cette responsabilité me pèse. En plus, de l'extérieur, on pourrait croire que tout est facile pour moi, alors qu'il n'en ait rien. Ce n'est pas par hasard que je vais toujours au bon endroit pour trouver la bonne personne ou le bon outil. Je suis très bien renseigné parce que je me prépare toujours au pire. Et oui, la voiture que j'emprunte a toujours le plein et ne tombe jamais en panne, et oui, les explosions ont la décence de se produire à quelques mètres de moi, sans jamais me blesser, et oui, je trouve toujours un peu d'énergie quand tout semble perdu…  

     Ce n'est pas de la chance, c'est du talent. Dommage qu'à chaque fois, ça me coûte un débardeur. 









Signaler ce texte