Une chanson douce

walkman

Quand j'étais un chiard, et qu'elle venait de toute sa beauté divine se pencher au-dessus de mon lit pour border mon imagination débridée vers des rives sereines et accueillantes, il y avait ces sons. Elle chuchotait ces charmes et éveillait en moi cet amour immortel que le temps qui a gommé ses traits n'effacera malheureusement jamais. Il m'a laissé, traîtrement, avec ce souvenirs insupportable qui a guidé l'échec de tout ce qui a été bâti autour de ce monde magique. J'étais qu'un môme, et c'était la seule voix qui valait la vie. Dieu, j'en avais rien à carrer. Même après, quand je me suis posé les questions de l'existence, Dieu n'avait rien à voir là-dedans. C'était trop complexe et trop contraignant. Je n'aimais pas ce qu'il attendait de moi, je n'aimais pas le berger que l'on racontait. Dieu, c'était surtout  un prétexte pour pas buter quelqu'un, ce qu'on raconte aux gens pour qu'ils se tiennent. Plus on vieillit, plus l'éternité semble durer longtemps, alors on reste sage pour pas fâcher Dieu. Ma mère ne croyait pas en Dieu. Peut-être que je n'y ai pas cru pour faire comme elle. Mais à la fin de sa vie, elle espérait quand même. J'espérais aussi. Ça semblait trop glauque de se contenter de savoir qu'elle allait disparaître. 

Mais Dieu c'était définitivement pas pour moi. J'étais pragmatique. Et ça voulait dire que s'il était là, prêt à me juger, j'allais devoir renoncer à beaucoup de vices que j'affectionnais au printemps de ma vie. Et puis, la religion touche à quelque chose de trop intime. Les spiritueux, je préférais les boire. 

La politique n'ont plus, ce n'était pas pour moi. Même quand les règles ont arrêté de me faire chier juste par fait d'existence. J'avais le coeur trop gros pour tout ce monde. Les hommes politiques, ils se parlent surtout entre eux, se chicanent et t'apostrophent dans des discours que tu as du mal à croire. Le pouvoir ne m'intéressait pas. Ni divin ni démocratique. 

Mais quand ma mère chantonnait, elle ne m'expliquait pas tout ça. Elle pouvait rien faire d'autre que de me dire que tout irait bien, et toutes ces promesses pleines d'amour te foutent en l'air quand tu grandis. Parce qu'elle est morte et que sur ça personne pourra revenir. 

Finalement, il y avait quelque chose d'incestueux qui s'est déclaré quand elle est morte. De l'autre côté de la pièce, mon père n'en faisait pas des caisses. Je ne le voyais pas contenir tout ce que je contenais. Taiseux, il passait devant moi sans rien laisser paraître. Ça ne rendait pas sa tristesse plus digne. Peu à peu, en gangrénant, la frustration nous a opposés. On était inconsolable sur le temps qu'on a perdu quand elle vivait, lui il avait eu la chance de la connaître plus longtemps que moi ; moi, j'avais un lien avec elle qu'il ne pigeait pas. La mort de ma mère avait aussi dissipé le truc qui nous unissait. Quand il me voyait tenter ma chance avec mes cordes sensibles, il s'emportait. Ça n'avait pas de sens pour lui de me voir assis à remuer des pages de la biblio d'Hemingway. Et moi je le raillais parce qu'il avait traversé la vie comme si tout ce qui comptait c'était la petite retraite qu'il toucherait avant de crever aussi. On n'avait rien d'autre à se dire. Lui et sa misère intellectuelle, à mâter des émissions, toujours profondément triste de ne pas être aussi fringuant que les gars qui y gesticulaient avec leurs monologues pleins de certitudes. Moi et tous mes rêves d'héroïsme culturel, mes coups de pinceaux qui iraient changer la vie. Il était convenu que ne plus se revoir nous serait bénéfique. 

Sauf que tu passes jamais l'éponge sur cette colère latente. Que tu lui en veux toujours parce qu'elle est morte, et que ça t'évite de t'en vouloir tout seul. J'ai jamais su s'il était mort, s'il avait refait sa vie, ou si la petite retraite était une récompense suffisante pour toute ces années de service. Cette mort, en fin de comptes, avait désossé toute ma vie bien avant qu'elle ne commence vraiment. Alors tu restes là, à semer les graines des pissenlits que tu finiras par bouffer par la racine. Tu vis tout seul, dans un noir profond, tu vois ta vie qui défile comme un coma éthylique et tu ne changes rien. Tu croises une femme à qui te refiles l'amour que t'as sur les épaules, tu la condamnes pour sa beauté, son sens de le répartie, son sexe, t'en fais ton nouveau sens de la vie et tu la brises elle aussi. Elle te voit t'enliser dans ta tristesse infinie, dans ton mépris pour toi-même, dans tes échecs. Elle t'écoute quand tu t'excuses, elle te pardonne et ça la détruit encore plus. Elle te laisse tomber parce que t'es foutu et que ce serait injuste de la faire sombrer dans ton truc. T'es déjà à plus de la moitié de ta vie, sans en avoir vraiment conscience. Comme t'es un peu con, t'y vois un sens pour poursuivre ta beuverie et la preuve ultime que tu avais bien fait de t'entraîner toutes ces années. 

Puis te revoilà tout seul avec l'haleine de celui qui l'a toujours été. Allongé dans le noir, suspendu à l'insomnie, attendant dans l'agonie qu'un corps se penche au-dessus de ton lit. 

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