Une combinaison nounours
same
Je passe devant sa chambre. Couchée sur le ventre, les mains au-dessus de la tête, elle dort. Il n'y a pas un soir où je ne me sois pas arrêtée devant son lit, quelques secondes, dans le silence, juste pour percevoir sa respiration. Je m'immobilise le temps de constater son souffle. J'arrête de respirer. J'écoute. J'observe les mouvements discrets de sa respiration. J'envoie un baiser et caresse sa joue douce. Un pétale de camélia. J'éteins la lumière évitant soigneusement les jouets qui jonchent le sol. Ça passera.
Je regardais les infos. Un reportage sur les enfants migrants de Syrie et d'Irak. Il y avait un couple. Un très jeune couple. Lui, était très maigre. Elle, avait une longue tresse blonde. Ils ont fui la ville d'Aleph sous les bombardements. Des bombes larguées sans sauveurs. Lui portait sur le ventre son bébé. Un petit bébé de deux mois, sous des couches de vêtements, une combinaison nounours.
Avant la naissance de ma fille, j'imaginais toutes sortes de choses sur la maternité. Je ressentais déjà que l'Amour qui montait en puissance au centre de mon corps serait absolu. Un Amour qui n'a pas besoin de raison, naturel, évident, obligatoire et douloureux…. La douleur d'avoir inévitablement peur. J'avais mis un filtre à mon esprit pour éviter d'affronter ses sentiments pendant ma grossesse. Je n'en acceptais pas l'idée, une superstition. Et pourtant la maternité se fond dans ses deux sentiments. Ils en sont les deux faces. Je ne peux pas y échapper, je ne sais pas comment on peut y échapper. Je découvris cette vérité consternante au moment même où j'aperçus ma fille pour la première fois. Elle passa devant moi, de bras à bras, en une seconde, de moi à une table, rapidement. Je n'avais pas imaginé, qu'elle puisse être aussi petite.
La peur a gâché ma fête, un peu. Elle s'est invitée. Une peur viscérale qui depuis ne m'a jamais quitté, j'apprends à vivre avec comme on apprend à vivre avec quelqu'un qu'on aime.
Ma mère me l'avait dit comme une fée qui maudit, les cheveux hirsutes et le teint pâle, à la lumière de l'aube. Je me souviens de la colère dans sa voix, lorsqu' elle me « croisait » rentrant, guillerette et inconsciente, comme on l'est à 18 ans, d'une soirée qui c'était prolongée. Je voyais sa présence derrière la porte comme une intrusion dans ma vie de très jeune femme alors qu'elle retenait son souffle jusqu'au moment où la clé entrant dans la serrure viendrait l'autoriser à trouver enfin le sommeil. Elle retenait son souffle jusqu'à entendre claquer la serrure et mes pas titubants feignant d'être discrets. Elle détectait le moindre son rompant le silence angoissant d'une maison vide de moi, sa fille. Je ne comprenais pas.
Avant d'être mère on ne peut pas comprendre l'urgence absolue que représente la certitude de savoir son enfant en sécurité. Je sens ce besoin à l'intérieur de mon propre corps comme vibrant à l'endroit même où s'est construit mon enfant. Le ventre. L'endroit où naissent mes angoisses et mon amour. Je les sens vivants, mouvants. A la maternité, je gardais les biberons alignés, pour constater la progression infime de l'appétit de mon bébé matérialisé par un petit trait au stylo, sur l'étiquette.
Je protégerai ma fille avec animalité.
C'est un instinct de femme, de parents, de vie.
Aujourd'hui, une simple poussée de fièvre, une petite maladie d'enfant me plonge dans une crainte que j'ai encore du mal à relativiser même si je fais des progrès ! Je ne saute pas dans la voiture pour un petit 38,5° de fièvre en direction des urgences pédiatriques de l'hôpital déjà comblées de parents poules.
Et la caméra s'est arrêtée, un instant, sur le visage endormi de l'enfant. La douceur du regard de son père posé sur lui. Je souffre de cette empathie. Elle est pourtant nécessaire. Le visage de cet enfant qui pourrait être le mien. Ces parents qui luttent et espèrent et qui veulent à tous prix sauver leur petit bébé sacrifié comme trop d'autres sur l'autel de la géopolitique, du fanatisme et de l'argent, pourraient être nous.
Qu'y-a-t-il pour cet enfant au delà de la douceur de sa combinaison nounours?
D'après l'UNICEF, plus de 10000 enfants ont disparu sur la route qui conduit en Allemagne.
Je rectifie : petits bobos ald mots.
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Terriblement beau ce texte ! Cet enfant dans sa "combinaison nounours" sur le ventre de son père. Quelle destinée pour cet enfant, ce couple ?
· Il y a presque 9 ans ·J'ai bien évidemment ressenti à ta lecture tout ce que, nous les mères, éprouvons dès que l'enfant est là. Ces montagnes de soucis pour les petits mots, pour cette clé dans la serrure que l'on attend avec tant d'angoisse. Tant que l'on n'est pas parent on ne peut comprendre. Nos enfants, parents à leur tour, comprennent à présent.
Bravo mouflette !
Louve
Je te remercie pour ce commentaire. Ce sont des sentiments universels et on vit dans un monde où tout passe avant les sentiments...
· Il y a plus de 8 ans ·same