Une coupe et deux culbutos

Christophe Paris

Texte à contrainte pour gino gretry pour dire merki à son soutien ! : ascenseur,zidane, terrain,jaune, poterie,pied,doigt,timbre,tambourin,brouter, photo de départ des fleurs de cerisiers.

Déjà trois d'annulés. Gino est sur le quai. Calme, mais tout agité au centre de lui-même. 69 minutes qu'il poireaute en rang d'oignons dans une densité d'âmes proche de celle de Tokyo. Le RER B le pire de tous, toujours en retard, toujours bondé, comme en ce jour de grève.
Toujours.
Un mot que le passager de l'immobile ne supporte plus. Des années qu'il fait le même trajet, dodo to job, job to dodo, au milieu des aisselles et déos des heures de pointe. Le quadra, bâti comme un blockhaus dopé au labo russe, éprouve systématiquement les pires difficultés à s'immiscer dans cet amas de chairs à cravate et visages fardés pour la grande illusion du “yes, j'ai la pêche et j'suis un killer”.
Tout le contraire de gigi ce matin. Réveil à la bourre, pas de douche, pas de fringues propres.
Marcel et polo.
Ne lui restait plus qu'un Marcel de basketteur, un polo manche longue et un short baggy. Pour le rendez-vous le plus important de sa vie ça lui avait mis les nerfs à vifs pire que dans le film. Malgré tout il reste calme, parce qu'il est classe le Gino. Sapé comme un ado boutonneux mais top swagg dans l'attitude le quinqua du siècle dernier, même si parfois, la crise qui découle de son âge lui met le blues à prendre un aller simple pour Memphis. Une base solide mais un poil tendue qui s'apprête maintenant à monter dans le RER.
Le wagon est déjà à bloc. L'effet visuel fait sourire le maousse. Il pense à une boîte de crayons multicolores en bordel avec ces silhouettes semblant mutilées, les bras à peine visibles vu l'affluence.
Accès à la japonaise…
Une technique se résumant à pousser ceux qui se trouvent devant vous mine de rien, le tout en jouant l'éffarouché scandalisé par ce comportement de brute. Sans oublier sourire faux-cul et mouvements de tête à la indi pour illustrer la gêne feinte. Le problème est que Gino entoure de ses bras une poterie imposante faite de ses mains. Une première, donc moche et perfectible. Une réplique de la coupe du monde 98 avec un portrait de zidane dessus. Un cadeau qu'il s'est juré d'offrir coûte que coûte à son dieu du stade. Gigi connaît l'adresse de son hôtel par l'indiscrétion d'un agent de sécurité bourré un soir d'happy hour au mojito. Le type se gaussait d'avoir été choisi et moyennant deux mojitos arrosés à la flatterie, avait divulgué la sacro sainte adresse.

Depuis lors, le voir, lui parler, était devenu une obssession pour gino. Un soir, après avoir visionné Rencontre du troisième type, il s'était surpris à imiter le héros en modelant lui aussi de l'argile. Mais ici point de volcan pour une rencontre, juste une poterie pour un rencard.
C'est pour cette raison qu'il était très en avance ce matin, anxieux et impatient pour être certain de ne pas manquer l'instant rêvé.
10h30.
Il doit absolument être la-bàs à dix heures trente pétantes. Horaire immuable de la sortie de Zidane chaque matinée. Une détail qui provient également du poivrot de la sécu, décidemment pire qu'une concierge. Gino a peur. Non seulement d'être en retard mais aussi de briser le chef d'oeuvre de sa vie. Du coup, pour se frayer un chemin, bras autour de sa création comme on protège un nouveau-né, l'artisan d'un jour se frotte aux autres et s'y pique sur une passagère. Une jolie quinqua à grand nez, profil apprécié par l'apprenti Rodin. En bon macho du siècle dernier, le séducteur balance un sourire en mode loup de Tex Avery enrobé au vocabulaire châtié pour s'excuser du désagrément. Un champ lexical accumulé sur internet  durant ses longs moments de glande au boulot. Un truc imparable, excepté aujourd'hui à cause du frottage inopiné de son sexe sur les fesses de la madame.

La recherche scientifique se casse souvent les dents, dans ce cas précis c'est Gino et son bridge de pré-molaire. La cougar, après l'avoir tétanisé d'insultes, ne cessant de le traiter de frotteur et d'obssédé sous le regard choqué des voyageurs, l'avait prise de court. Le passager d'un temps qui lui semblait s'étirer, n'avait pas vu venir une claque en synchro. Une main pour chaque joue, dix doigts pour un double impact instantané, le baffoué baffé en perdant sa prothèse. Une fois passés la surprise et le désarroi, le giflé écarquille les yeux et serre les mâchoires à s'en broyer les dents, seuls dérivatifs pour éviter de catalyser sa rage sur la poterie ou renvoyer la balle à son agresseure. La coupe tient le choc, son concepteur un peu moins. Il a beau se dédouaner de tout geste inavouable, rien n'y fait. La plèbe a pris parti tandis qu'un probe délateur contacte la ligne spéciale harcèlement dénonçant le potier qui tripote pas que la terre via un descriptif digne d'une check list d'avion de chasse. Résultat, un comité d'accueil de la RATP bien chargé en muscles l'exfiltre du wagon une fois le train en gare. Quatre types avec matraques et haleines de pastis qui l'entourent sur le quai en formation points cardinaux. Le passager qui n'est pas en odeur de sainteté se retrouve avec un type devant et derrière lui, complétés par les deux autres à sa droite et gauche. Le plus intrépide tente alors de lui ôter son travail d'une vie afin de mieux l'appréhender.
Pas touche à l'objet tabou, grave erreur.
C'est ce qu'aurait dû savoir l'agent, les agents.
Un, l'objet est sacré. Deux, le fan risque de manquer sa remise de trophée.
Action, réaction, le tout en post combustion. Il pense à Miles Davis et à la bande son d'Ascenseur pour l'échaffaut.
Il s'imagine déjà dans le panier à salade avec de jolis bracelets au poignets, habitué aux contrôles inopinés étant donné sa couleur de peau. Une teinte d'homme qui fait toujours suspecter le pire aux visages pâles. Il sait pertinemment que ce genre d'incident finit toujours au poste et à son désavantage malgré ses cinquantes piges et deux gosses. Sans compter les fringues qui vous classent malgré vous. Ce matin par exemple, tout joue contre lui avec son look des cités. Et pourtant…
Le baggy, il le porte parce que trop chargé du tarma, le marcel de joueur de NBA, pour éviter d'arriver en sueur, la casquette, à cause d'une coupe de cheveux ratée la veille chez un coiffeur à cinq euros la tonte. Le type s'était trompé de sabot et avait ratiboisé Gino, transformé en bagnard à la cheri-bibi.

Le pas aimé des blancs est sous pression, pire qu'une bière de saison mais en moins frais. ça bout à l'intérieur, un moteur alimenté par l'angoisse de faire tout cela pour rien.

Alors tant pis.

Il décide de craquer, de lâcher toutes ses frustrations de citoyen consommateur écrasé par un système qu'il conchi.
Aujourd'hui.
Oui, c'est aujourd'hui, le temps de la révolte.
Une étrange sensation pénètre son corps et son esprit. Il se sent voile, les poumons gorgés d'un nouvel air qui lui consume les poumons. C'est le souffle de la liberté. Un truc qu'il n'avait jamais connu auparavant, ni avec sa mère, ni avec personne. Toujours à faire plaisir, à faire le premier pas en cas d'embrouilles ou accepter des compromis loin de ce qu'il est au fond de lui. Et surtout, porter cette couleur que beaucoup lui reprochent. Sans même le connaître, sans même lui parler, juste en le dévisageant avec l'oeil d'un passé qui ne devrait plus être…
Mururoa.
Il pense à Mururoa, ville natale de sa génitrice mais aussi parce qu'il se sent proche de la fusion.
La liberté prend le contrôle pendant que Gino perd le sien.
C'est avec une vélocité impressionante qu'il écrase tour à tour un des pieds de chacun des agents avec force et poids. Technique de l'écrase-panard que Gino ultilise parfois dans le RER, excédé par les quidams qui cherchent à monter avant même la sortie de ceux à bord. Il manifeste ainsi avec véhémence sa désapprobation quant à l'impardonnable attitude de sa victime. De temps à autre, il sent même les phalanges de sa cible craquer sous la pression de ses cents kilos. Etant donné son gabarit affublé d'un regard de schizophrène en manque de traitement quand il ôte ses lunettes, la plupart souffre en douleur et en silence…
De temps à autre un type en mode roquet tente une résistance avec pour résultat une lévitation à vingt centimètres du sol. Un décollage par prise d'encolure et de parole sous la forme d'un “kesstatouâ” mâchoires soudées. Aujourd'hui pas de kessta, juste quatre agents qui se cognent la tête en voulant soulager leurs douleurs. C'est l'assomoir et pas à cause du pastaga, les types s'écrasent au sol dans des râles aux timbres agonisants. Gino, en s'enfuyant pense au radeau de la méduse en voyant les quatre types pliés de douleurs aux visages crispés de souffrance. Il y pense et il oublie, il a son Jericho à lui et dans pas longtemps, sa montre connectée lui rappelant le temps restant avant la sortie de Zidane. Le papa poule devenu fugitif s'enfuie à la vitesse d'un road runner et grimpe dans un bus sur le départ sans que ses poursuivants ne l'aperçoivent.
En plus c'est le bon bus.

Le fan de foot est debout, le conducteur est en rogne. Enervé par une circulation chaotique, l'homme au grand volant démarre en dragster. Un départ qui projète big daddy sur une des barres verticales de maintien lui explosant l'arcade droite. L'arcade, ça gonfle vite… Gino se retrouve avec un mini Zeppelin en vol stationnaire au dessus de l'oeil. Le fuyard furibard fustige mister driver en lui reprochant son démarrage impromptu menaçant même de porter plainte contre l'indigent. S'en suit un échange de noms d'oiseaux de haute volée. Tout un dictionnaire ornithologique qui défile plein volume dans les oreilles de mômes d'un centre aéré, trop contents d'étoffer leur champ lexical par l'exemple.
- Espèce de petit bruant zizi !! Balance méchamment le chauffeur.
- Tronche de pipit farlouze, rétorque immédiatemment Gino.
- Sale pouillot véloce !!
- Tête de butor étoilé !!
Une prise de bec qui empêche le chauffeur et son détracteur d'entendre distinctement l'annonce générale pour tous les chauffeurs. Le signalement d'un individu dangereux ayant déjà fait quatre victimes auprès des collaîgues.
Les deux pseudos adultes qui se pourrissent encore, stoppent net sur les pleures du groupe d'enfants. Ils sont tous en larmes, morve au pif. Non pas à cause de la violence ambiante mais surtout parce qu'ils ont entendus l'annonce et tout de suite identifié l'agresseur. Un des animateurs interroge alors les petits d'hommes sur la raison de leur chagrin. Une fois le pot-aux-roses découvert, l'éducateur panique dans une peur bleue.
- L'assassin ! C'est l'assassin ! Celui de quatre agents de la RATP !!
Assassin.
Juste parce que des gamins avaient parlé de victimes... Tout le monde pleure, tout le monde crie tandis que le chauffeur reste pour le moment aussi figé qu'un sphinx. Gigi est totalement interloqué par une  situation qu'il ne cherche même plus à apaiser. Trop difficile à expliquer, pas assez de temps. Constatant sur un “ Tu vas pas t'en sortir comme ça ordure !”, que le chauffeur aussi sec qu'une gousse de vanille tournait au taxi driver justicier, la poterie et son créateur tentent le tout pour le tout pour stopper le bus.
Gino s'approche menaçant, la lèvre crispée, le front encore plus,
- Tu arrêtes ton bus la p'tite ceinture, maintenant, ou je te fais brouter tout un terrain de foot, lignes blanches comprises, capito !
La brindille s'execute, 100 kilos de nerfs en pelote ça donne pas envie de tisser des liens, en revanche, ça fait beaucoup réfléchir sur le concept de héros…
Le conducteur pile net d'un coup envoyant vingt fronts de bambins se prendre la barre du siège de devant et déclenche l'ouverture de porte. Profitant de la déferlante de larmes et de la panique des animateurs, le porteur de coupe bondit hors du véhicule comme un jeune lapereau sur son premier champ de carottes. Cent quatre vingt sept mètres plus tard c'est la crise d'asthme. Une suffocation qui ralentit sa marche à presque en faire du sur place et nécessite un traitement d'urgence. Essouflé, en nage et tuméfié, le forcené débarque dans la première pharmacie venue et tente d'expliquer son besoin, le gras du bide étant victime du syndrôme de la lèvre qui fourche. Gino débite à la vitesse de la lumière tous les mots qui déboulent en un seul jet. Ce qui donne en général un charabia de “bla, ble, mle “ dont on ne distingue que le dernier mot. Un peu comme Vole à voile dans ‘Ces merveilleux fous volants” ou le cuisinier du Muppet show. La pharmacienne reste silencieuse devant cette tête de zombie tuméfié qui lui balance un “blalble blumo...bentoline”. Le bègue de l'instant reprend sa respiration et son calme.
- Fous, fous zafez de... de... de…. laaa…. fentoline ? Expire le malade transformé en dame aux camélias et qui curieusement zozotte ou plutôt fofotte sur les “v”.
La femme à blouse blanche et lunettes de sécretaire, rassurée de voir qu'il ne s'agissait pas d'un cas de délirium tremens mais d'un proche de l'apopléxie enchaîne,
- Oui oui bien fûr, un inftant f'il vous plaît, elle aussi victime du même syndrôme en cas de stress mais sur les “s”.
La pharmacienne part chercher le pulvérisateur en ondulant des fesses à en damner toute une table d'apôtres. La cambrure exagérée et l'étroitesse de hanche de la dame blanche font bondir la crise de Gino à un niveau inconnu jusqu'à lors. Une suite ininterrompue de toussetements et d'éternuements violents et compulsifs l'envoie alors rebondir aux milieux des étagères en boule de flipper. Tout en protégeant sa création, le quintal auto-propulsé fait un carnage à en complexer un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il n'y a plus que la poterie d'intacte au milieu de ce désastre post-atchoumique. Tous les produits sont au sol, comme Gino, allongé sur le dos en christ sur la croix la poterie calée sur l'estomac. La vendeuse arrive en courant, mais éffarée par le carnage en lâche la Ventoline qui disparaît dans le bordel sous les yeux désespérés de l'asthmatique. Lui qui tendait les mains dès l'arrivée de celle-ci comme un futur guillotiné suppliant clémence. Miss cul de l'année ne l'avait absolument pas calculé vu la désolation ambiante, ce n'est qu'en sentant sa cheville compréssée par la poigne d'un Gino en presque fin de vie qu'elle redescend sur terre et trouve la Ventoline par miracle. Dans l'urgence, elle lui fourre le spray en pleine bouche en lui balançant trois pulvérisations. Prescription conseillée en cas de crise, excepté pour gino, qui allergique, ne doit pas dépasser deux doses sinon c'est l'effet Gremlins. Le truc le saoûle comme un type bourré déblatérant dans la rue avec une voix guturale et un phrasé aux voyelles allongées. Un “ Ta gueule” devenant ainsi un “TaaaAAaa Guueûleeuh”.

L'effet est immédiat, le produit mettant le coeur en mode compétition dès la fin de la prise. Une accélération qui le redresse d'un coup avec un seul mot pour accompagner le mouvement. Le revenant de la presque mort se met à vociférer Zidââââne, Zidââââne, tournant la tête en tous sens comme un moineau sous caféïne cherchant la sortie. La pharmacienne en reste figée comme un menhir et s'envoie machinalement trois doses de Vento pour s'en remettre, sans être asthmatique... Un truc qui la couche raide par terre avec un gros vertige à la  tourniquet de bac à sable. Gino est déjà loin mais perdu, zéro cognitif en stock, du coup, smartphone pour déclencher son GPS ce qui l'oblige à poser sa sculpture pour plus de facilité. Mal en lui en prend. Une propriétaire de pitbull, la cinquantaine acariâtre et les cheveux coupés courts, avait laissé son chien-chien uriner sur la poterie le temps d'un léchage de vitrine d'une boutique à quinqua. Le Ventoliné, qui frappait l'adresse sur son écran sans prêter attention à la scène se rend compte du crime de lèse-majesté en reprenant sa coupe en terre. Non seulement elle colle et poisse, mais elle pue aussi, surtout.... Le porteur de trophée a la haine totale et fustige du regard le chien resté à ses pieds. Un canidé qui le regarde avec amour, la tête légèrement inclinée de côté, l'air de dire “ Ralalalalalala, ton urinoir portatif il est trop fort ! Dis, jp'eux l'garder, dis dis hein, j'peux l'garder ?”. C'est en apercevant la queue du chien remuer dans une indicible joie que la victime bascule dans une indescriptible rage. La sauvagerie prend le dessus. Le déçu de la race cannine fond sur sa proie  lui mordant la queue si fort que le chien en déguerpi immédiatement. Un départ de Formule 1 qui fait trébucher sa maîtresse dépassée par la vitesse du quatre pattes. Une chute qui transforme la scène en western et finit sous un plateau en film catastrophe.

Celui d'une serveuse, chargé de glaces pour la terrasse d'à côté. La pauvrette se fait faucher par le corps de miss fifty que le chien ne cesse de tirer comme un traîneau de noël. Les entremets glacés virevoltent en tous sens, une vraie bataille de boules de neige. Les terrassés gémissent  de froid maculés par la vanille et la fraise. La quinqua gémit elle aussi un peu plus loin pour des raisons différentes. Vu son état, fini les gommages corporels pour un bout de temps. La serveuse suédoise le visage à peine décollé d'une omelette norvégienne pousse des cris d'hystérie tandis que les clients essaient de retrouver apparence humaine. Un trouble général qui laisse mamie toutou par terre sans aide et en sang, permettant à Gino de disparaître dans l'indifférence générale. Un truc bien parisien l'indifférence…

- Il vous reste deux cent trente mètres et 3 pouces à parcourir, lui remmémore la voix de son mobile. Deux cent mètres. Un vrai marathon pour Gino éreinté par son poids, son souffle et les évènements. Son corps ne lui sert plus que le minimum syndical en terme de motricité. Les articulations totalement démissionaires ne lui permettant plus de se déplacer qu'avec les jambes raides sur la pointe des pieds le tout s'accompagnant de petits pas en accéléré. De loin, il ressemble à un grabataire cherchant désespérément à récupérer son déambulateur pour éviter une embrassade à l'asphalte. Les quidams présents changent de trottoir afin de l'éviter. Non pas à cause de la laideur de sa coupe, celle en terre, pas celle de sa tête, mais de sa marche d'handicapé. Une attitude habituelle chez beaucoup qui pensent sans doute que ça s'attrape comme les poux le handicap, au contact des autres… Plus Gino avance, plus son coeur s'approche de la transe. Un big bang cardio-vasculaire qui l'oblige à s'arrêter à l'ombre d'un cerisier aux fleurs d'un jaune proche du carton du même nom.

En cet instant, fatigué, la tête légèrement inclinée en poussant de longs soupirs, le créateur est plus proche de la groupie japonaise mélancolique que du fan buveur de houblon. Soudainement, un excès de timidité l'envahit. Le doute s'installe à quelques encablures du rêve d'une vie. Un tsunami d'angoisse le submerge, qu'est- ce que zidane va penser de son travail, de son attitude ?... Le voici d'ailleurs sortant sur le perron de l'hôtel avec son protecteur picoleur.  Le marathonien du jour termine les derniers mètres avec une difficulté évidente immédiatement remarquée par les deux hommes. Hesmer Halda, nom de l'agent de sécu, est sur ses gardes lorsque le quasimodo du jour commence à monter les marches en leur direction trimbalant sa bosse d'arcade en boîtant d'épuisement.
- Bonjour monsieur vous avez besoin d'aide ? balance le costume noir de la taille d'un ours polaire. Gino intimidé par la star se met à parler  la gorge serrée avec une voix de gosse en pleine mue.
- Bah ?! C'est moi là ! Gino ! ... On a bu des coups ensembles... y'a deux jours ! C'est moi qui t'ai offert quatre mojitos tu te souviens ? En fait, ben, je voulais rencontrer Monsieur Zizou, euh Zidane, passke je suis un grand admirateur et le remercier pour le seul et unique bonheur de ma vie avant même mon mariage, mon chien et accessoirement mes gosses. Ah ! et puis j'ai fait ça aussi, finit-il en montrant fièrement la poterie avec le sourire satisafait d'un gamin qui vous apporte son premier collier de nouilles. L'agent de sécu reste impassible excepté le sourcil gauche qui remonte à son maximum. Un petit mouvement qui en dit long sur la pensée intérieure du garde du corps, qui à jeun, ne reconnait plus du tout son partenaire de biture.
- Ah nan là j'vois pas et Monsieur Zidane sait très bien que je déteste l'alcool, et là, monsieur Zidane est occupé.
- Mais... Mais…., mais si on a bu ensemble ! Tu m'as même donné l'adresse de l'hôtel !
- Ah non là j'vois toujours pas, relance le char d'assault costumé.
Zidane regarde son bodyguard l'air interrogatif avec une petite teinte de fâcherie dedans. L'agent change alors de discours histoire de redorer le blason.
- Bon allez là Monsieur, tu dégages ou j'te pile comme la glace de ton mojito avec la menthe dans ton cul !
L'exalté sentant le vent tourner vire de bord et s'adresse directement au champion du monde avec une voix d'illuminé dans l'urgence.
- Monsieur Zidane, en fait c'est pour vous, c'est moi qui l'ai faite cette coupe du monde, juste pour vous. Je voulais vous remercier d'avoir mis tellement de bonheur dans ma vie que moi aussi je voulais vous en offrir un peu. Et là ! Là ! montrant le portrait, c'est vous, ça aussi c'est moi qui l'ai fait !
Le footballeur ne soulève lui aussi qu'un sourcil. Un même mouvement avec un sens différent. Le champion se disant que la poterie est franchement immonde, il a même envie de partir dans un fou-rire en découvrant son visage en terre bien plus proche de celui d'Achille Talon que du sien.
L'agent de sécu questionne Zidane en s'approchant de lui,
- Vous voulez que je lui mette un coup de boule patron ?
- Naaan naaan laisse ça je sais faire, cé bong, répond son boss. Laisse monsieur tranquille que j'accepte son superbe cadeau. S'adressant à Gino,

-Écoutez franchemeng c'est presque la vraie en dehors du portrait qui la complète bieng. Hé bé, cé bô, té, je suis vraimeng touché par votre attention. C'est quoi votre prénom ?
- Ble me ddgiblino, dgi.. dgino répond l'interressé stressé et donc bègue.
- Hé bé Dgino, je vous promet que je vais la mettre à côté de ma copie. ça va plaire à ma femme elle qui adore l'art contemporain, répond un Zizou qui maîtrise le jeu pour éviter tout débordement et sortir le fan en carton rouge via un punch de son sbire dans l'arcade encore valide.

Le passionné du ballon rond se met alors à sangloter, touché par la gentillesse de la star. Une émotion qui gagne Zidane, enlaçant Gino tout en lui tapotant gentiment le dos comme un parent cherche à faire roter bébé.

L'ancien footballeur se laisse aller,

-Comme en 98 té ! Ça me rapelle quand on s'est tous serrés l'un après l'autre au coup de sifflet final. Puréée, tout ça me ramène dans d'excellents souvenirs Dgino ! Là voyez, ça me rappelle que quand j'ai embrassé tutu aliasThuram après son but !

Gino est au nirvana, Thuram son idole, le guerrier des terrains, le warrior anti-raciste. Zidane l'a comparé à Thuram !!!!!! Les images de victoire défilent dans la tête du supporter qui lui donnent le sentiment l'espace de quelques instants de faire partie de l'équipe. Une hallucination de bonheur qui prend fin sur une vocifération. Celle d'un autre bancal vers qui tous les regards convergent. Un des quatre agent agressé par Gino qui sort de chez le médecin avec un arrêt maladie abusif de deux mois et une béquille pour le soutien.
- Attention, attention, cet homme est dangereux, il m'a agressé sauvagement choppez-le choppez-le !!
Gino reconnait sa victime. En panique, son coeur qui prend sa poitrine pour un tambourin bat une mesure qui va plus vite que la musique. Une perte de sang froid qui l'oblige à s'enfuir la mort dans l'âme sur un “ “C'est pô vrai, c'est pô vrai, moi j'voulais juste vous voir, j'avais peur de vous rater c'est tout”. Zidane est interloqué, les yeux écarquillés comme s'il avait grillé sa voisine à poil sur le balcon. Il ne comprend évidemment rien à ce que raconte son admirateur, il est surtout effaré d'être le témoin d'une étrange et lente poursuite de clopins-clopans. Les béligérants se tirent la bourre à la vitesse d'un paresseux souffrant d'artrose, leurs démarches donnant l'impression  d'une course de deux Culbutos penchant dans des sens opposés à chaque pas. Le médaillé s'adresse à son protecteur alcolo.
- Hé bé putaing, heureusement que je l'ai pas gagné la nouvelle, heing Hesmer, j'me demande bien à quoi j'aurais eu droit ! Et… pour les mojitos va falloir qu'on discute…
L'agent baisse la tête penaud et en silence, un silence brisé par des cris déchirants. C'est l'arrêté de la maladie, qui à force de compenser sa marche vient de s'immobiliser en statue de Rodin sur une sciatique fulgurante le mettant hors-jeu. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, d'un autre, Gino. Le papa fan et fugitif disparaît dans la foule du trottoir. C'est après six heures de marche façon jambe de bois et perroquet sur l'épaule qu'il arrive enfin chez lui. Un choix pédestre pour éviter tout contact avec la RATP, son signalement ayant été certainement transmit à tout le réseau. Depuis lors, Gino ne se transporte plus en commun mais à vélo et ne regarde plus aucun match de foot par superstition, dès fois que sa télé le balance… Il est devenu fan de cyclisme, du tour de France en particulier, à tel point qu'il se demande s'il ne va pas sculpter une grande boucle pour l'offrir au directeur de course...

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