Une écume sur le bleu

Charles Deinausard

Extrait du carnet des ciels d'été - Oneshot

Une écume sur le bleu s'étend comme une visière. Elle couvre le carmel et dénude la forêt. Chaleur, ombres et lumière s'amusent des passantes et les font danser d'un trottoir à un autre. C'est sur la partition de l'été que dansent les demoiselles. Elles ont le pied nu et le pas délicat ; le sourire espiègle et le regard en coin. Elles partent en ballade, comme on part en vacance et laissent dans le frais des murs le poids de leurs amours. Elles sont si déterminées et si changeantes déjà, faites de passions légères et de romances aperçues. Elles se plaisent à plaire en s'approchant du nu, la robe comme une volière, les seins comme un oiseau et le vent, cet ami, vient mouler leurs atours. Il doit en avoir des patrons de statues:

Des Venus, des Junon, Minerve ou Cassiopée
des fruits et des bourgeons, des fleurs parfois fanées
des Fannie, des Hélène, des Camille ou Julie
des catins ou des reines, politiques ou soldats
femme aimante ou femme fusil
femme fade ou femme furie
femme dentelle ou femme coton
femme bulle ou femme plomb

Elles sont égales sous le bleu, toutes mêlées au parfum frêle du ciel qui passe. Du gracile au fragile, c'est le temps qui dessine sur leurs figures des fissures immobiles. Car elles sont fragiles les femmes:

fragiles comme le pétale
fragiles comme la rosée
fragiles comme l'aurore
fragiles comme la nuée
fragiles comme l'orage
fragiles comme la buée
fragiles comme le ciel de Paris, de Tanger ou de Rome

Oh oui si fragiles, fragiles comme les hommes.

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