Une éducation - Partie 3

violetta

Après les avoir ignorées pendant des années, puis considérées avec un mépris moqueur un peu plus tard, elle ressentait désormais une certaine tendresse apitoyée pour ces femmes qui géraient comme elles le pouvaient la fuite de leur jeunesse, l'arrivée de ce qu'il faudra bien nommer un jour la vieillesse.

Celle-ci, dans une robe élégante aux bretelles croisées sur un dos bronzé et athlétique… Le dessous de ses bras est à peine relâché, alors que chez d'autres plus jeunes, ils forment déjà des draperies. Elle doit être impitoyable avec elle-même. Elle doit faire des kilomètres de natation chaque semaine, pas pour le plaisir, juste pour maintenir son corps dans une discipline de fer afin de le garder mince et ferme. Oui elle un encore un joli dos, de belles épaules, des bras tout à fait corrects, des jambes fines. Mais rien de cela ne donne le change : elle est vieille. Même si sa silhouette est irréprochable, sa tenue soignée, sa posture est élégante, elle est vieille, elle en souffre, et ça se voit.

Celle-là, dans une tunique informe par-dessus un pantalon large, a abdiqué depuis longtemps. A quoi bon lutter a-t-elle dû se dire ? « Quoi que je fasse, la plus moche des jeunes sera toujours mieux que moi puisqu'elle est jeune, gorgée d'hormones fraîches, pleine de sève vitale… Du coup, buvons, mangeons, cachons les dégâts dans des vêtements-sacs, et basta ! » Si ça se trouve, c'est elle la plus heureuse, la plus aimée…

Cette autre, elle a un pantalon vichy rose et un chemiser en broderie anglaise. Elle a mis un nœud dans ses cheveux. C'était probablement la mode dans les années de sa jeunesse. Elle a décidé d'arrêter les compteurs à cette période-là, mais les compteurs tournent quand même. A-t-elle basculé dans le pitoyable ? Même en la considérant avec bienveillance, on est tenté de se moquer…

Et celle-là, dans une robe noire moulante et sexy, perchée sur des talons aiguilles qui lui donnent du mal à marcher ! Et qui n'arrête pas de jeter des coups d'œil inquiets et pleins d'espoir autour d'elle pour voir si on la regarde. Prête à se fabriquer un sourire charmeur. Paupières lourdes de maquillage… N'est-ce pas tragique ?

Ces femmes n'avaient donc personne dans leur entourage pour les alerter amicalement sur le fait qu'une limite avait été franchie et que cela ne leur réussissait pas ?... Mais qui est habilité à le faire ? Chacun ne fait que projeter ses propres représentations… On ne peut que se débattre seule. Tenter des choses.

Mais quelle est la bonne solution ? Béatrice de posait de plus en plus souvent la question, ce n'était pas bon signe… Qu'est-ce qui fait qu'on est flamboyante ou juste ridicule et pathétique ? La ligne de crête est si étroite entre les deux quand on vieillit. Le moindre excès (dans la tenue, la posture, le langage…) le moindre excès pouvait faire basculer dans le pitoyable. Et cela, Béatrice en était terrorisée. Elle avait choisi trois mots clés pour se donner un cap : simplicité, épure, netteté. Ces trois mots, c'étaient les garde-fous qui la séparaient du précipice.

- Comme tu es sombre et triste, depuis un moment, dit Elias. C'est de ma faute ?

- Excuse-moi, dit-elle en se ressaisissant. Non, tu n'y es pour rien. C'est moi… Mais ça va mieux. Nos verres sont vides, fais quelque chose…

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