Une éternité rose

mayy

Une apocalypse, la brisure d'un quotidien morose.

Une éternité rose



    C'est toujours la même histoire, le même trajet, les mêmes musiques, le même horaire. Ce jeune garçon marchait les yeux rivés sur les pavés de la rue bruyante. La grosse capuche de son sweat couvrant sa tête du froid printanier alors qu'une mélodie orchestral résonnait dans ses oreilles. Sa vie est lassante, comme un éternel recommencement. Il travaille au lycée, prend le métro, travaille, mange et dort. Le même cycle pendant 12 mois, 365 jours, 8760 heures. Rien ne change, au moindre mètre et au moindre visage. Il se sent enfermé dans cette enveloppe corporelle, son esprit rêveur est avalé par la pression de la société. Avoir un bon travail, une bonne paye, être un bon citoyen, un bon mari, un bon père, un bon employé.

    C'est fatiguant et tellement banal. Trop banal pour un garçon qui rêve de grandeur, de liberté et d'indépendance. Il bosse jusqu'à ne plus dormir pour un diplôme qu'il ne veut même pas. Son ventre grogne, angoissé par les aiguilles qui glissent sous le verre, il ne trouve plus le temps de manger le matin. Il mange des nouilles rapides, négligemment réchauffées dans un micro-onde miteux, payé par la maigre paye de sa mère. Depuis le divorce de ses parents, la vie n'est plus la même. Il ne croit pas en l'amour, un sentiment éphémère qui brise plus qu'il répare. Les femmes célibataires sont mal réputée ce pays qu'on surnommait l'empire du soleil. Sa mère est peut-être seule, peut-être moins riche que les autres foyers mais sa mère reste une guerrière à ses yeux d'adolescents.

   Une puissante odeur de nourriture chatouille les narines Aïko, réveillant son appétit affamé. Il ne sent pas heureux, tellement étouffé par les grains du sabliers qui s'écoulent doucereusement. Une larme opaline glisse le long de sa joue creusée alors qu'il continue sa marche, l'allure morose et déprimée. Il entend les gens qui s'agitent, rigolent, se poussent dans cette rue marchande à l'odeur délicieuse. Il n'a pas mangé ce matin, hier non plus d'ailleurs. Il n'a plus d'appétit. Ses mèches ébènes se secouent doucement devant ses yeux baissés, alors qu'une allée de cerisiers en fleur l'accueille quand il s'éloigne de l'agitation. Des centaines de pétales valsent gracieusement, transportant le garçon au cœur blessé dans une douce mélancolie.

     Subitement, un énorme bruit résonne, faisant trembler le sol alors que les bâtiments se mettent a tanguer dangereusement. Un silence pesant règne soudainement sur la ville, plus personne n'ose faire un seul minuscule mouvement. Dans chaque esprit, le moindre millimètre peut faire basculer le monde dans l'apocalypse. Plus de rire, plus de cris, plus de râlements. Les Hommes sont figés.

     D'un seul coup, le cri d'une femme résonne. Il frappe les esprits, coupe les souffles, affole les cœurs. Ce cri est puissant, magistral, un cri d'une terreur titanesque. Un cri et le compte à rebours contre la mort commence. Les gens commencent a hurler, se pousser, courir dans des directions hasardeuses. Le chaos est devenu roi, les Hommes perdent leur puissance. Une foule gigantesque se forme, poussant le pauvre adolescent perdu dans tout les sens. Aïko se fait pousser, cogner, blesser par une population affolée. Son regard abasourdi se lève vers un ciel devenu rose, tournant dans les teintes rouge sang. L'ombre d'un astéroïde se fait voir dans les cieux, tombant droit vers l'Europe. Un astéroïde, puis deux, puis trois. La chaleur devient invivable, les bruits des cieux déchirent le chaos terrestre.

     Son cœur se met à battre dans une allure folle, une adrénaline vient prendre possession de son corps anciennement mou et lent. Les frissons de terreur ronge sa peau, les idées fusent dans sa tête mais elles atteignent le même but. C'est terminé, l'humanité est arrivée à son apogée. Les prières de toutes les langues montent au ciel, des pleurs s'élèvent, des corps tombent sous la pression, des gens sont figés par la terreur. C'est le dernier moment d'Aïko, son cœur et son esprit le savent. Il veut clore le spectacle en beauté, avec brio. Les alarmes résonnent, la Terre tremble sous les attaques de l'espace, les pompiers courent et virevoltent comme des insectes.

     Aïko court, ne s'arrête plus, sa vision est trouble sous la vitesse. Il projette son sac, ses écouteurs courant vers la plus haute tour de la ville. L'ambiance est apocalyptique, chaque scène ferait pâlir Hollywood. Ses jambes le brûlent, son torse se soulève sous sa respiration acharnée alors qu'il traverse les rues, sautant et esquivant les choses. Il arrive à l'immense bâtiment fait de verre pour les bureaux administratifs, n'arrêtant pas sa course folle. La sueur ronge son épiderme, ses membres le brûlent mais rien n'arrête sa progression vers le sommet. Un étage, deux étages, trois étages. Une seconde, deux secondes, trois secondes. C'est une course contre la montre, un défi contre la mort. L'air est pesant, presque irrespirable, portant des larges couches de poussière. L'énorme bâtiment gigote dangereusement, la menace est proche.

       Une tornade de sentiments reverse son cœur lorsque Aïko ose un regard vers ce qu'il se passe en bas. Les sirènes résonnent, des bâtiments s'écroulent, des foules courent et des flammes ravagent les vestiges d'une ville harmonieuse. Des hélicoptères traversent les cieux déchaînés, des voitures foncent vers l'inconnu. Des milliers de scènes se jouent, des pompiers qui éteignent les flammes, des gens devenus fous qui se battent, des enfants qui pleurent dans la ruelle pourtant si chaleureuse. Mais surtout, du haut de son géant de verre, le jeune garçon voit l'énorme astéroïde qui fonce droit sur eux.

     Lorsque que l'adolescent arrive face à la porte pour accéder au toit, il se projette dessus dans un violent coup d'épaule, brisant la couche de bois. Un air de souffrance, de désastre et de désarroi règnent. Son épaule craque violemment sous l'impact douloureux, mais la douleur physique n'efface pas la brûlure de ses tourments qui se joue en lui. Il se sent vivant, tellement vivant. Ses poumons brûlent d'une sensation qu'il avait presque oublié dans son quotidien neurasthénique. Il sent se libre, poussé par une vague de sentiment en haut de ce building. Avec les jambes tremblantes, il s'approche d'un vide comptant dix-huit étages. Les pupilles dilatées par ce tremplin d'émotions, son regard anciennement morose se perd sur un paysage tourmenté, un monde qui sombre dans la désolation. Des vagues de poussières se baladent sur un paysage presque désertique, Aïko se rapproche de la barrière. Les couleurs se mélangent, une chaleur insoutenable brûle sa gorge. Il souffle un bon coup, les jambes tremblantes, regardant le ciel déchiré entre les astéroïdes et les éclairs. Il se rapproche dangereusement, droit sur lui.

Il pense à sa mère, il la retrouvera sûrement quelque part dans l'au-delà. Une larme coule, il se retourne, dos au vide. Son cœur bat, ses pensées sont focalisées sur sa précieuse mère mais il sait que c'est la fin. Deux secondes suffirent pour que le monde sombre dans l'oubli et la dévastation. Un sourire amer naît sur ses lèvres mordues, ses jambes cèdent brutalement et il se laisse tomber dans le vide. Les secondes défilent, la sensation est puissante, le toit s'éloigne. Le vide l'engloutit, un impact se fait entendre et :



Et résonne un silence.


  • Très dense...et mérite qu'on revienne lire
    Ceci dit pour le moment je cherche des moyens, "solutions" "stratégies" pour sortir un peu de cette M générale...alors en étant (pas trop pessimiste)...

    · Il y a presque 4 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

  • Quel univers riche et vivant ! Votre prose est pleine de poésie !

    · Il y a presque 4 ans ·
    Profil

    Julien Darowski

    • La poésie enchante les cœurs et les yeux

      · Il y a presque 4 ans ·
      Cc

      mayy

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