Une étoile filante

jules

23 : 30 La jeune Luce s’élance sur la scène de Baltard. Une petite pomme maquillée, blonde. Elle est belle, on sent qu’il y a quelqu’un à l’intérieur. Prestation terminée, les yeux écarquillés elle attend le verdict du jury. André Manoukian y va de ses remarques ailées. C’est gagné ils sont conquis. Luce ouvre la bouche, un seul mot sort : « joie ». Elle répète : « joie !...JOIE.»

23 : 44 Je remonte ma couette, « qu’est-ce que je fous ?! 28 avril 2010, 28 ans, à l’étroit dans mon studio parisien je fantasme ma vie devant la nouvelle star…pfff » J’enfile une chemise, il faut que je sorte, tout seul tant pis. Le Bizz art est à 2 arrêts de métro. Bar branché du 19e où les Bobos viennent se risquer à danser le Forro brésilien le mercredi. Ca ferme à deux heures. 2 arrêts = 3 minutes. Plus 10 minutes de marche, j’y serai à minuit.

00 : 22 Le videur, moins zélé que ce bon vieux Dédé me laisse rentrer. J’atterri au comptoir. Je jette l’ancre. « Allez-y Messieurs, poussez votre partenaire, n’oubliez pas, c’est vous qui menez la danse » Et merde, la soirée commence par un cours, j’avais oublié. Ambiance presque Club Med. Je siffle un Mojito. La prof s’éclipse, l’atmosphère se détend. Je déroche du comptoir, trois pas dans le vide pour venir m’accouder à une barrière à côté du DJ.  J’observe. Je me sens extérieur. Les couples se font et se défont à la volonté de mon voisin qui arrête la musique comme on donne un coup de pied dans une fourmilière. Pendant quelques secondes l’angoisse monte chez les danseurs, il faut trouver un partenaire. Faire un choix vite, et être accepté, avant que la musique reprenne. « Il serait temps que tu trouves quelqu’un, le temps passes vite tu sais ». Ce conseil avisé de mon cousin il y a deux ans raisonne dans ma tête. Puis le DJ relance la danse et la vie reprend, tout le monde est rassuré d’avoir trouvé chaussure à son pied et de pouvoir à nouveau se ridiculiser sur la piste. Je n’ai pas ce privilège.

Une jupe courte, des jambes fines. Sa petite taille l’oblige à soulever les talons pour égaler ses cavaliers. L’allure d’une étoile. Un tourbillon de grâce. Je ne vois plus qu’elle. Ses cheveux suivent le rythme, on dirait qu’ils prennent du plaisir. Tous les hommes la désirent.

Il est temps d’aller fumer une clup. J’ai arrêté, tant pis, ils en vendent au vestiaire.

_ « Vous avez du feu ? »

 Une brune joufflue à l’air triste me tend son briquet. Flamme.

_ « Tu viens souvent ici ? » 

Elle me raconte qu’elle vit avec son fils Léon. « Son papa a décidé de vivre seul. Comme beaucoup de papa il parait. » J’acquiesce, bienveillant. Je tente de relancer la discussion. Je me vois une poussette à la main, je perds mes mots. Un ami à elle apparaît.

_ « Tout va bien Claire ? » 

_  « Oui, oui tout va bien. »

La réponse me rassure.

_ « Je te laisse, je retourne danser, à plus tard. »

Allez, jusqu’ici tout va bien, pas de râteau, même pas bourré, un dernier tour aux chiottes et je rentre. Je récupère ma veste et passe la porte en contournant la masse imposante du videur endormi.

Adrénaline.

La danseuse étoile est là. Elle s’est rhabillée. Son souffle est encore rapide comme si elle sortait d’un match de tennis. Elle me sourit, dit au revoir à un ami et s’apprête à partir.

_ « Je voulais te dire que tu danses divinement bien. »

Elle éclate de rire

_  « Merci, tu viens de me sauver la soirée, j’ai été médiocre, d’habitude je danse bien mieux. »

On échange trois phrases, elle vient danser tous les mercredis. Je jubile.

Un mec ivre mort lui demande une cigarette, elle n’en a pas. Il s’énerve. Je lui tends mon paquet pour qu’il se casse, vite. Elle a eu peur. « Bon, je vais te laisser je suis en vélo. » Elle me conseil de revenir la semaine suivante. « La prof est top, tu verras.» Elle s’en va, je marche cinquante mètres, la limite pour revenir en arrière et lui demander son numéro. Je me retourne, elle est encore entrain de détacher son vélo. J’y vais.

_ « C’est encore moi, je me disais qu’on pourrait aller prendre un café un de ces jours ? »

_ « J’ai beaucoup de boulot cette semaine, mais la semaine prochaine pourquoi pas. »

Elle me donne son numéro.

Je rentre le sourire aux lèvres. Je n’y crois pas. Je m’endors léger, mon lit est un cocon.

Une semaine plus tard, un café en bord de seine, quelques rires complices échangés et un sms : _« Désolé Julien mais je ne suis disponible pour personne en ce moment et ce n’est pas une question de calendrier. »

Une étoile filante est passée.

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