Une famille digne et discrète

arthur-roubignolle

Trois textes à suivre histoire de commémorer l'Armistice du 11 novembre... Voici le premier.


Une famille digne et discrète


Pendant 103 ans cette famille a réussi à conserver son anonymat.


En effet, quel tintouin cela ferait si par malheur le nom d'un des membres de cette famille était révélé !


Après de longs mois d'enquête, un de nos collaborateurs à retrouvé la trace de cette famille dont l'un des aïeuls est un de nos plus illustre personnage historique... Mais écoutons plutôt le récit de notre enquêteur...


.... « J'arrivais à la nuit tombée devant une modeste demeure, un de ces pavillons de banlieue comme il y en a tant, et qui n'ont rien de particulier. Je touchais enfin à mon but, après des mois d'une recherche, si utopique au début, qu'elle en semblait impossible, irréalisable pour tout dire.


Et pourtant, pourtant, mes efforts acharnés avaient porté leurs fruits. Sans fausse modestie, je pouvais être fier de moi. Aucun de mes confrères n'avait osé mener pareille enquête. Mais, pour qui sait oser, le journalisme d'investigation ne connaît pas de limites... Bref ! Je sonnais donc à la porte du pavillon. Une dame d'un âge très avancé vint m'ouvrir :


- « Ah, bonjour, vous êtes le journaliste ? Entrez vite avant qu'on ne vous voit ! »

Les membres de la famille étaient tous là, oncles, tantes, neveux et nièces, arrières petits-enfants… Je saluai tout le monde :


- « Ainsi, Madame, vous êtes la fille du... »


- « Oui, Monsieur, parfaitement, c'est moi-même, et tous les gens qui sont ici, voyez-vous, ont un lien de parenté avec lui... »


J'étais impressionné il faut bien le dire, cependant, je ne perdis pas mes réflexes professionnels et j'entamais mon petit interrogatoire :


- « Madame, au vu des derniers éléments en ma possession, il s'avérerait que c'est bien vous et tous les membres de cette assemblée ici présente, qui êtes les descendants de qui vous voyez j'veux dire ! »


La vieille dame toussota :


- « Oui Monsieur, c'est bien nous j' peux vous l'assurer ».

- « Je vous crois Madame, cependant, j'aimerai avoir une preuve irréfutable, quelque chose de tangible qui me permettrait de lever le dernier doute infime qui pourrait subsister ».

 

La dame, d'une main tremblante, me tendit une lettre jaunie par les ans.


- « Lisez là, je vous prie, monsieur. Voici la lettre que reçue ma pauvre mère, qui nous a quitté il y a dix ans maintenant… »


Je pris la lettre avec émotion et la lut à haute-voix :


 24 février 1916 – «  Madame, votre époux, enfin supposé comme tel puisqu'il dit que c'est bien lui, bien qu'il ne s'en souvienne plus, et bien qu'il soit également totalement inconnu au bataillon puisqu'on ne sait pas d'où il vient.

Votre époux madame, depuis qu'il a reçu un éclat d'obus au front ne se souvient plus en effet de son nom. Cependant, avant de mourir entre mes bras, il m'a dit  « Tu diras à ma femme, si j'en ai une car je ne me souviens plus, que je l'aimais bien ! » Puis il a ajouté dans un dernier râle : « Je veux qu'on m'enterre anonymement parmi tous les autres puisque j'ai oublié mon nom c'est d'ma faute j'aurai du le noter sur un papier !».

Ainsi madame, sont les derniers mots prononcés par celui qui fut peut être votre mari. Ne sachant ni à qui ni où envoyer cette lettre, j'ai pris votre adresse au hasard dans l'annuaire, à la première page qui m'est tombée sous la main. C'est plus sûr.


Signé: capitaine Fracasse. Sergent au 2ème bataillon de tirailleurs alpins beaucerons. Mon adresse si vous voulez me répondre : Hôpital des grands commotionnés de guerre. Verdun.  »


Post-scriptum : si vous n'êtes pas veuve de guerre ça n'a aucune importance.


Je reposais la lettre jaunie par les ans, m'assis un moment, tant j'étais ému. Reprenant mes esprits, je m'adressai à la vieille dame et aux membres de sa famille :


- « C'était donc vrai alors, et cette lettre, qui fut envoyée à votre mère, prouve de façon indiscutable que vous êtes bien la famille du SOLDAT INCONNU ! ». Car cet homme dont on ne savait rien, c'est bien lui que l'on a inhumé sous l'Arc de Triomphe, ça ne fait aucun doute!


(Un murmure d'approbation générale se fit entendre.)


- « Dites-moi Madame, avant de prendre congé de vous, j'aimerai savoir une chose, une seule... »

- « Oui monsieur, je vous écoute... »

- « Comment... comment s'appelait-il ? »

- « Ah là Monsieur, vous m'en demandez trop, nous n'en savons rien. Et puis, vous comprenez, si nous le savions, nous ne serions plus la famille du Soldat Inconnu ! »

- « Très juste Madame, encore une dernière question, vous souvenez-vous de votre père ? »

- « Pas du tout ! J'aurai du mal d'ailleurs vu que je suis née de père inconnu ! »


(C'était évidemment de ma part une question piège, mais elle y avait répondu de la façon la plus juste !).


Je pris congé de ces braves gens en faisant la promesse solennelle de ne révéler à aucun prix leur anonymat. Ce que je fis scrupuleusement, perdant là le plus beau scoop de ma carrière... Mais aurait-on le cœur à trahir une si touchante fidélité familiale ?


La famille du Soldat Inconnu est une noble famille, aussi digne de respect que son illustre et héroïque mort, reposant à tout jamais sous l'Arc de Triomphe et veillé par la flamme éternelle du souvenir…

Qu'elle demeure donc dans ce digne anonymat dans les siècles des siècles...




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