Une histoire de meurtre

aile68

C'est une histoire de meurtre, il était beau, elle était belle, tous deux étaient un peu fous, un peu rebelles. Ils ont mis le feu au village, dans les esprits avec leur histoire mais aucun n'a parlé, l'omertà a fait son effet. Il s'appelait Tony, elle s'appelait Mado, ensemble ils étaient du tonnerre, seuls ils ne valaient pas grand-chose pour ne pas dire rien. Un peu proxénète, un peu macho, Tony a grandi comme un gitan, avec les idées de son clan, des valeurs qui ont voyagé dans le temps comme des caravanes dans les déserts méfiants de nos tours affublées de mille paraboles qui font triste dans le paysage pauvre de nos quartiers sans enfants. Mado, la belle Mado aux cheveux noirs et aux yeux de braise, sacrifiée à l'autel du dieu argent, tantôt sainte, tantôt putain, elle a connu des hommes certes, des caves, des caïds, mais toujours elle revenait à Tony, le protecteur, le cousin, l'ami de toujours. Il y avait bien eu cet homme un jour, duquel elle s'était amourachée, un certain ponte de la ville voisine, un notable, un notaire. Un mauvais jeu de hasard l'avait mis sur la route de la pauvre femme dont l'honneur ne valait plus rien pour sa famille. Il était beau, il était riche, et surtout il parlait bien. Quand il lui parlait, Mado s'évadait, comme elle l'aimait cette voix un peu bourrue qui trahissait une certaine autorité sur les gens qu'il côtoyait, une certaine injustice aussi. Avec Mado, il n'avait jamais été que doux et prévenant, attentionné, d'où le béguin de Mado pour lui. Il a voulu l'extirper de son milieu sordide, de sa télé dans un salon miteux, pauvre, misérable et de portes qui grincent comme on gémit. Elle y a cru au début, elle le prenait pour le messie, mais le Tony a senti le mauvais coup, elle était trop amoureuse, trop exaltée, ses yeux parlaient d'eux-mêmes, trop lumineux, ils affichaient le bonheur de la pauvre femme qui fut cuisinée, un peu torturée. Elle n'a pas résisté longtemps, très vite elle s'est mise à table, elle s'en est tirée avec un coquard qui lui a rappelé qui était le chef à la maison. Question d'orgueil, question de fierté et de ce sacro-saint honneur masculin, il voulait faire son affaire au notaire. Il a pris son couteau (c'est un gitan mort d'une belle mort qui le lui avait donné), l'unique arme en laquelle il avait confiance, sa casquette grise, fidèle et rebelle et deux amis, deux compagnons avec lesquels il a tendu un guet-apens au notable un soir où ce dernier avait rendez-vous avec la pauvre Mado qu'il n'avait pas vu depuis une bonne semaine. Les yeux de la femme ne brillaient plus de cette lumière amoureuse qu'il avait l'habitude de contempler quand il la prenait dans ses bras. Il lui a demandé ce qu'il se passait, pourquoi elle était si changée avec lui. Elle ne pouvait que lui dire que tout allait bien, qu'elle était fatiguée, il lui a répondu qu'il était temps qu'elle parte avec lui, qu'avec lui elle aurait la belle vie. Le coeur de Mado disait oui en son silence intérieur mais elle savait bien que tout était fini, que Tony voulait se venger. Elle a fait mine d'aller à la salle de bain comme à l'accoutumée, laissant seul l'homme qui prétendait lui offrir une vie différente. Une fois dans la salle de bain elle n'a pu s'empêcher de regarder la scène qui s'est déroulée sous ses pauvres yeux en larmes. Tony et ses compagnons d'armes ont pénétré dans le salon miteux pendant que leur victime allumait une cigarette. Mado dont les pensées étaient partagées, donner l'alerte ou laisser faire, s'est empêchée d'avertir l'homme qu'elle aimait encore. Mais Tony, le caïd, le proxénète, l'amoureux avait juré de la tuer elle aussi si elle faisait foirer leur coup. Il a tenu le notaire en respect avec sa lame de gitan, et lui a parlé de la sorte:

" Tu as sali une femme de mon clan, tu vas payer."

Le notaire devenu blême de surprise et de peur a essayé de parler mais c'était compter sans la détermination et la colère froide de Tony qui a continué à parler:

- Tu n'a rien à dire pour ta défense. Tu vas mourir...

A ces mots horribles, Mado s'est évanouie en faisant grincer la porte de la salle de bain. A ce bruit Tony s'est maudit de ne pas avoir huilé cette porte plus tôt! Il se jeta sur sa victime et lui planta le couteau en plein ventre. Il a eu du mal à récupérer son arme tant elle avait pénétré dans le corps du pauvre homme. Tony avait volé dans sa vie, menacé des gens, beaucoup d'indics, mais jamais tué. C'était la première fois. Il en avait des sueurs, il transpirait comme un boeuf, sa main glissait sur le manche du couteau, il n'arrivait pas à l'arracher du ventre ensanglanté de l'homme mort. Etait-ce à cause de la transpiration ou de son acte criminel, il se dégoûtait. Pourtant Tony n'était pas un cave. Comprenant sa difficulté, les deux comparses sont venus à son secours, l'un s'est emparé de l'arme rougie par le sang, puis ils ont enroulé le cadavre dans le tapis du salon et l'ont emporté laissant Tony affalé sur un fauteuil, les yeux hagards, les bras ballants.

Tout s'était passé si rapidement, il ne voulait pas tuer cet homme, il voulait juste l'intimider, le faire disparaître. Qu'allait penser Mado à présent? Qu'il était un assassin, un meurtrier. La police allait faire son enquête, ne pas bouger surtout, effacer toute trace du meurtre, nettoyer ce maudit couteau, le sol, et huiler cette porte il a pensé étrangement. Mado qu'il aimait, il n'allait rien lui dire. Il allait l'empêcher de l'interroger, de savoir. Et elle n'allait rien savoir. Soudain il s'est senti écoeuré, il avait la nausée, la main gauche pleine de sang. Il est allé à la salle de bain, Mado bloquait la porte, il s'est lavé à l'évier de la cuisine, il ne voulait rien salir. Il voulait que Mado sorte de sa vie mais les autres allaient trouver ça bizarre. La mère de Mado allait poser des questions, la propre mère de Tony également or on ne contredit pas les anciennes dans le clan de Tony. C'est ainsi que Tony et Mado sont restés ensemble, surtout ne pas fuir, faire comme si de rien n'était. Ils ont continué à vivre dans leur petit appartement deux ans, trois ans, ne parlant plus de la malheureuse affaire. La police n'a pu rien faire, rien trouver, des Mado et des Tony il y en avait plein dans le village et les environs, ils vivaient entre eux, tous se ressemblaient avec leur yeux méfiants de loups bannis par la société. Le soir pendant les veillées d'hiver on raconte encore l'histoire de Tony et de Mado quand les enfants sont couchés, comme une légende qui est arrivée il y a fort longtemps. Le fameux couteau on l'a jeté dans le puits qui ne sert plus à présent, il rouille encore dans le sang du pauvre homme qui voulait changeait le destin de la femme qu'il aimait.


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