Une histoire de ronce.

colombine

"J'attends ce jour qui nous délivrera tous..."

Vous connaissez cette histoire : il était une fois, un roi et une reine ont un enfant, ils décident de célébrer une fête en son honneur, mais oublient d'inviter une sorcière bien rancunière. Furieuse, elle maudit l'enfant de se piquer le doigt sur la pointe d'un fuseau et à plonger dans un sommeil éternel. Le seul moyen d'être réveillée ? Un baiser d'amour pur et sincère. Le temps passe, l'enfant, une fille, grandit, et un jour, un matin ensoleillé, lors d'une balade en forêt, la princesse, guidée par la curiosité, se retrouve face à une large tour, bien mystérieuse. Elle entre, grimpe les escaliers qui mènent à une pièce, où se trouve une vieille au fuseau. La fille se pique et s'endort. La vieille se révèle être la sorcière, elle l'installe sur un lit, lance un sort de protection sur la tour : des ronces magiques, épaisses, qui ne sauraient être tranchées que par une épée de bravoure et de courage. Puis elle disparaît.

Vous voulez mon avis ? Ceci est très cucul… Mais bon, on ne choisit pas son histoire ! Ronce attachée à cette tour depuis des années, des décennies, je ne me plains pas vraiment. Je suis orientée plein sud, et j'ai une vue sur la jeune princesse.

Ce n'est pas une blonde. Elle est plutôt brune, avec un visage pâle, et elle a des mains petites et fines. Je la vois respirer, sa poitrine se soulevant doucement pour retomber  d'une douce lenteur. Les jours de soleil, sa robe bleu s'illumine, ça lui donne un air… Magique, mystique. Dans sa chambre, le temps s'est arrêté, il n'y a jamais de poussière, rien ne vit, seulement elle, qui dort et rêve. Ca se voit, d'ailleurs, qu'elle rêve : elle a toujours ce petit sourire en coin, comme si on l'avait largué dans un jardin enchanté. Pour être honnête, j'adore cette fille. Ca se voit qu'elle est une innocente, une fille gentille qui n'a pas mérité un tel sort.

Bien sûr, des princes qui viennent des quatres coins du monde pour la sauver, on les voit défiler. Mais bon, nous, lorsqu'on les voit arriver, on sait c'est perdu d'avance. Ils ne sont pas assez bien pour elle. Ils viennent pour la gloire, un trophée de plus. On le sent tout de suite : nos racines s'agitent, un peu comme des frissons. Des années et des années qu'on voit ces énergumènes, qui se précipitent sur nous, qui tentent de nous détruire. Mais au moindre coup d'épée, le sort brise la lame, et la vie contenu en eux s'enfuit d'un coup, et leur corps deviennent poussière. C'est triste, très triste, mais nous n'avons rien décidées.

Je sais qu'un jour un prince viendra, et ce jour là, mes soeurs et moi, on sera réduites en poussières. Pourtant, j'attends le jour où cette fille pourra ouvrir les yeux… Je parie qu'ils sont d'une couleur étrange, couleur des campanules comme celles qui fleurissent devant nous à chaque printemps… mauve, c'est ça ?

J'attends ce jour qui nous délivrera tous… Je l'attends avec tant d'impatience… C'est peut-être suicidaire, mais je ne peux m'empêcher...

“Eh ! Tais toi il va t'entendre…”

M'entendre ? Qui ?

“Lui là, l'autre berger…”

Berger ? Il doit y avoir erreur… On était pas censé avoir un prince ou un chevalier ?

“Quelle importance ? De toute manière, il va crever comme les autres…”

Non… Pas celui là. Je le vois dans ces yeux, ces yeux aussi noirs que l'écorce des pins de cette forêt, celui là est venu par hasard… Nos racines s'agitent, une douce chaleur nous envahit, et sans nous dire un mot, nous savons toutes que c'est la fin de l'histoire. Je regrette juste de ne pas voir ses yeux s'ouvrir, comme un bouton de rose qui éclot au soleil de mai. Avec son frêle bâton, ils tentent de nous écarter.

 

La douleur, puis la délivrance en une douce chanson.

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