Une histoire sans fin

Ana Elle (Cendrillon Des Routes)

« Le cœur humain renferme des trésors cachés qu’il garde en secret, scellé dans le silence. Des pensées, des espoirs, des rêves, des plaisirs, dont le charme se romprait s’ils étaient révélés. »
Le road trip complet sur : https://cinderellaroads.wordpress.com/

Cher Vous,


– Bryce Canyon –


[...]

Mon âme est faite d'automne. Il y a quelque chose qui déconne. Il y a toujours eu en moi, une forte mélancolie. Un endroit hord d'atteinte au fond duquel je ne cesse de tomber.

Je l'appelle désir.

*


Le désert était partout. Il sauvait l'insignifiance humaine. Le désert. Fatal et miraculeux. Aussi miraculeux que ce voyage en voiture, et ce coffre remplie de tente, de sac de couchage, de barre de céréales, de bouteilles d'eaux  et de valise pleine de vêtements. Et nous… ployant devant cette beauté conspiratrice et persécutrice d'une existence dont la disponibilité nous était totale. Foutu miracle… dont la transparence ne pouvait être conjurée que par l'insoluble étendue de cette immensité. Immortelle.

J'avais soudain si peu de chose à dire.


Je me demandais par quelle étrange loi du destin je roulais dans ce désert, croisant des enfants de vieux peuples indiens, des cow-boys sans âge, et des touristes en voyages. Comment me retrouvais-je spectatrice de nombreuses scènes du monde ?

[...]

Comment tant de personnes, tant de vies, se tournant autour, pouvaient s'admirer les unes les autres, avec des points d'interrogations souriant à travers leurs photographies, et immortalisant un souvenir unique, alors que bien souvent, ils ne se voyait pas, bien souvent, ils ne se prêtaient aucune attention ?

Comment tant de gens, des quatre coins de la terre, pouvait être rassemblés, ensemble, dans un même lieu, un même espace, et que personne, je dis bien personne, ne se rende compte de ce miracle ?

Etais-je la seule personne à m'en rendre compte ? Étais-je le seul être vivant, à cet instant, à contempler cette furieuse splendeur primitive ? Je me demandais combien de coeurs pouvaient battre en ce même endroit, au même moment, et pourquoi la terre ne tremblait pas ?

Pourquoi la terre ne tremblait pas ?


*

Dans quelques années, me le demanderais-je encore ? Ou est-ce que cet écho se taira, et s'endormira dans la déchéance de ma misérable carcasse ?

Des secrets. Des rives de secrets emprisonneront mes océans.

[...]

La montée à flan de falaise jusqu'à – sunset point – avait été un vrai plaisir. Ces moments aussi courts soient-ils, étaient tel des privilèges fouilleurs d'âme. Un truc à pleurer des flammes. Je me racontais ces tourments et ces avancées comme des secrets des quels on ne pouvait me délivrer. Comme une princesse liée, d'âme et de sang, damnée et condamnée à vivre et se nourrir d'histoire sans fin. Eternellement éblouie et dévorée par l'étandard du rêve Américain. Même en dépit des randonneurs que je croisais dans ces vallées de sables et de pierres, ce moment n'était qu'à moi. Je m'en faisais un mystère.

Personne n'aurait pu m'arracher les sensations qui m'avaient rendu la vie. Je considérais ce trek comme inédit. Je crois qu'inconsciemment je venais de me lier à moi-même, pour le meilleur et pour le pire. Je ne pouvais compter que sur moi pour sourire. N'y avait-il, alors, rien de moi-même que je ne voulu récuser ? Non… Je crois qu'ici, j'avais appris à m'aimer. Avec les bons et les mauvais côtés.

[...]

C'était là, inscrit dans ma chair. Et plus jamais je ne pourrais l'oublier.

J'appréhendais déjà de ne plus me souvenir de tout ça. Je devenais comme une chienne folle que les émotions broie. Je salivais de plus en plus. J'avais foutrement l'air d'une conne. La sueur… en pluie. En recherche profonde et absolu de vie. Les yeux chavirés et remplis.

Mais à qui appartenais ces promesses qui coulaient sur mes joues ? Était-ce les miennes ? Étaient-ce les leurs ? Étaient-ce Vous ?

Je cherchais furieusement à me rassembler. Concentrer toute cette folie jusqu'au sommet. Et puis… et puis  je compris que ça ne servirait à rien. Que quoi que je fasse, quoi qu'il se passe, cette existence, tourmentée de vallées, ces piques rocheux de lucidités, cet amour de feu ravageant les terres en falaises ; créait, inventait, repensait, et dépouillait celle que j'étais.

Aucun mélange de maux, de couleurs, de brûlures et d'odeurs, n'aurait pu régénérer cet instant, ce « je suis », cet absolu, puisque déjà « j'étais » et « je n'étais plus ».

Je m'effritais.

Je crois, putain, que je m'effritais… Saloperie de vie ! Quelle était bonne… bonne à en gémir, à en mourir… 


*

Et brutalement il s'est passé quelque chose. Je me suis mise à croire en moi même. Je devenais ma propre lumière. Mon propre toît.

Il n'existait plus de plus beau logement. Si ce n'était moi-même.


Bien à Vous,

Moi.

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