Une jeune chinoise

Al Prubray

Comme le rêve, la fiction condense et déplace sur d'autres personnages que ceux de la réalité.

Le lac de Central Park a gelé. Debout dessus, une jeune comédienne conclut l'air de flûte chinoise qu'elle est en train de jouer.

« Coupez, crie le metteur en scène. Très bien, Kiko ! Scène suivante, Allez, dépêchons. »

Kiko saisit la veste en fourrure que lui tend son compagnon et sourit.

« Tu as reçu une lettre de tes parents, » lui dit il. Il lui tend l'enveloppe qu'elle déchire. Et l'odeur du papier la replonge dans l'enfance.

Pendant que la maquilleuse lui repoudre le visage et les bras. Elle, elle se rappelle ….

Elle se rappelle comment, par la fenêtre de sa chambre, elle contemplait les rizières qui s'étiraient à perte de vue, comme un grand patchwork vert aux motifs algorithmiques. A cette époque, on lui aurait dit que la terre était plate que cela ne l'aurait pas vraiment surprise. Rien autour d'elle ne le démentait.

La vie tranquille dans ce village, rythmé par les chants du coq et le pépiement chahuteur des oiseaux le soir, dans les arbres, rien ne laissait présager qu'il existait un ailleurs. Le temps circulaire s'accommodait bien à cet espace immuable.

Elle rit au souvenir d'une remontrance de son père.

« La tradition a du bon ! » avait il conclu, après les remarques glaciales du professeur de chant et danses folkloriques, exaspéré par la passivité de Kiko.Son air mutique et borné avait même usé la patience de sa mère.

Kiko s'ennuyait. Elle se sentait tellement autre, décalée, différente.

Il fallait résister, pensaient ses parents, donner des valeurs aux enfants,leur transmettre l'héritage de leurs ancêtres, résister au courant général de dilution des coutumes et des usages anciens,ne pas se laisser déborder par ce flot continu déversé par la radio, la télé, et internet, de cette soi-disant culture anglo saxonne dans laquelle se résorbaient toutes les différences.

C'était bien leur intention mais le père, immergé dans son travail, n'avait pas vu grandir sa petite fille ni son désir d'ailleurs. Ingénieur aéronautique passionné par son travail, sa carrière avait connu une ascension foudroyante. Une découverte visant à améliorer le rapport poids /puissance des avions , lui avait ouvert les portes d'une grosse entreprise américaine implantée depuis peu.

Un jour, Kiko exprima le désir d'accompagner à la ville voisine une camarade qui passait une sélection pour l'école de théâtre de Pékin. Elle lui donnait la réplique. C'est elle qui fut prise.

Kiko remerciait du fond de son cœur ses parents d'avoir bien voulu lui laisser partir pour la capitale du pays,à plus de 400 kilomètres. Elle s'y était épanouie. En dernière année, elle avait été recrutée par un réalisateur de New-Yorkais. Elle avait 23 ans.Le jour de son départ, il l'accompagna à l'aéroport.

Il la serra dans ses bras et reconnut l'avion dans lequel elle s'engouffrait. C'était le dernier modèle d'avion qu'il avait participé à mettre au point, il y a quelques années déjà.

Kiko replie la lettre et observe les passants pressés. Quelques curieux s'approchent, attirés comme des insectes par les lumières, et le costume flamboyant de Kiko, seule tache de couleur dans la grisaille hivernale.

- Cet après midi, casting, tu te souviens ?

- Oui, oui.


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