Une nuit à Phnom Penh

le-mec-de-lunderground

En mémoire de mon pote Sanka...

Une baba cool à la con et une salope de missionnaire, voilà ce que vois quand je la reluque. Rien de plus. Je ne peux pas blairer ce genre de conne. Sa réflexion me fout tellement les glandes que je me tâte à lui balancer ma bibine dans la tronche. Mais nan. Je vais me la jouer plus futé qu’elle, histoire de lui boucler son claque-merde :

-Ecoute-moi, toi ! Déjà j’te connais pas, t’es pas ma pote alors j’sais pas pourquoi tu m’parles. Ensuite quand j’te dis qu’ma gonzesse est khmère et qu’tu m’réponds que j’déconne et que j’profite de la misère et d’la prostitution, t’es en train d’insinuer qu’les cambodgiennes sont des putes. C’est c’que vous apprenez dans les ONG ? La grande classe !

Elle ne se démonte pas, cette connasse :

-C’est pas du tout c’que j’veux dire. Mais j’en ai marre que….

-…Ecoute ! T’es en train d’me gonfler avec tes leçons d’morale, alors qu’tu fais quoi toi ? T’engraisses des millionnaires, espèce de pauvre conne ! Les mecs pour qui tu bosses y roulent en Lexus, connasse !

-Reste tranquille toi ! Tu m’parles pas comme ça !

-P’tite bourge de merde !

Ca y est, c’est bon, je lui envoie ma bière en pleine gueule. Cette connasse se taille directos. J’ai les boules. Quelle petite conne ! Merdeuse ! C’est ça, casse-toi !

Cédric est déjà à quatre grammes et se met à gueuler « c’est la grande fiesta ! Allez, c’est la tournée  du patron », avant de se marrer comme un soulard et de postillonner partout. Dègue ! Cinq heures avant, il m’aurait engueulé d’avoir fait fuir sa cliente. Sanka reste scotché, le smile aux lèvres et le gros joint de skunk à la main. J’en profite d’ailleurs pour lui faire remarquer qu’il s’endort sur le bédo.

Je regarde l’heure sur la pendule du JazzRock. 23h15 et je commence à peine à être pété. En plus, avec l’autre pétasse qui m’a foutu les glandes…En fait je viens de piger un truc : les occidentales qui débarquent au Cambodge, en vacance ou pour bosser, ne flashent pas trop sur les asiats. Du coup elles préfèrent se brancher avec des européens, mais eux préfèrent les gonzesses d’ici. Normal, ils ne veulent pas se faire chier avec une casse-couille ! Alors du coup, ces occidentales en pèlerinage ne niquent pas de leur séjour et cassent les burnes dès qu’elles peuvent.

Cédric claque des mains pour motiver Sanka, son petit frangin se substitution :

-Allez allez mon p’tit Sanka, des bières pour tout l’monde j’ai dis. Allez, on s’bouge, j’te paye pas pour qu’tu roupilles mon p’tit père ! Il lui fait en prenant exprès une voix de con.

Sanka, en souplesse, toujours souriant, ouvre la porte du frigo et sort trois bouteilles d’Anchor. Il les décapsule et les pose sur la table. On trinque. Sanka et Cédric. Quels phénomènes, les deux. Un couple ! Je me grille une Malback, toujours un peu nerveux à cause de l’autre connasse. Putain, elles arrivent à te foutre dans un état ! Sanka me tend son joint, je lui échange contre ma Malback. Il a maigri, Sanka. Je termine la bibine et me prends un shot de « Special JazzRock ». Cédric me suis, pas Sanka. On tente de l’engrainer :

-Allez putain, Sanka, fais pas ta baltringue ! Tu fais chier ! Un p’tit shot !

-Ah nan, moi franchement j’peux pas ! J’suis déjà trop défoncé.

Tant pis pour lui. Il nous sert les shots, on s’enfile la saloperie et Ced repart sur une tournée. Je lui file le joint. Ca ne va pas s’arrêter. On trinque. Go ! Du pur « bing drinking » d’ado mais qui fait du bien à tout âge. Je commence à avoir la dalle mais bon, manger c’est tricher ! Je m’enfile quand même deux cacahuètes. Cédric part pisser un coup, je reprends un shot et une Singha, pour faire glisser.

-Franchement réponds-moi ! La meuf qui vient de m’casser les couilles, c’était une vraie connasse ? Je demande à Sanka.

Il me sourit en guise de réponse, avant de lancer la conversation comme il fait d’habitude :

-Moi j’vais t’dire, les ONG au Cambodge, j’ai jamais pu les encadrer, à part une ou deux sur la totalité. J’peux pas les voir. Tu sais c’est qui, la présidente de la croix rouge ici ?

-Nan ?

-C’est la femme d’Hun sen, le premier ministre.

-Les fils de pute !

-ON FERME LE JAZZROCK ! Gueule Cédric en revenant des chiottes.

 Putain, l’enfoiré, il m’a fait flipper.

-Ca va pas Cédric ? Tu veux m’faire claquer ?

Il est complètement surexcité.

-On ferme ! On va s’bourrer la gueule maintenant. Sanka, tu fermes le JazzRock !

-Ouais ! T’façon y a personne ce soir. On va où ?

-J’en sais rien. On va dans la 51, on fait deux trois bars et on fait un tour au Heart.

Nan, pas le Heart. Je n’ai pas envie d’y aller, mais alors pas du tout. Déjà dans la 51, j’ai eu trop d’embrouilles et au Heart, j’ai cru que j’allais m’faire buter par les jeunes khmers blindés de thunes. Nan, je n’ai pas envie d’y refoutre les pieds. Pas tout de suite en tout cas. J’essaye d’esquiver le plan :

-Vous voulez pas plutôt aller dans la 136 ? On peut s’bouger au Candy.

-Mais nan, on va dans la 51, au Candy les meufs elles sont pas terribles.

Putain, ils font chier ! Sanka range les tables et les chaises pendant que Cédric me propose un dernier verre. Et c’est reparti !

                                                                     *

Sanka est parti récupérer sa bécane, il ne devrait pas tarder. On l’attend sur la terrasse du bar. Je suis complètement explosé, obligé de faire une pause. Cedric lui, continue à picoler sans retenue et commence à partir en vrille. Ca y est, il sort des phrases incohérentes, ponctuées par des « on s’comprend » réguliers. Ce n’est peut-être pas une bonne idée de bouger avec lui. Quand il est dans cet état, il est flippant et les soirées se terminent souvent assez mal. J’ai peur.

C’est là que je me dis que je n’aurais pas dû fumer sur la skunk, elle m’a foutu une de ces paranos. Ca me rappelle la fois où complètement défoncé, j’avais l’impression que tous les motodops étaient d’anciens khmers rouges et voulaient me couper à la machette. Je prends une pause sur ma pause et repars sur un shot de Barroso, sous les applaudissements du taulier. Boire, ça va me détendre.

Sanka débarque en meule devant le JazzRock, une clope à la bouche.

-Allez, on est partis ! Gueule Cédric.

Et là, je comprends qu’on va monter à trois sur la moto. Déjà que je n’aime pas les deux roues…Je crois que je préférerais encore grimper derrière un motodop. Sanka, il a les yeux à moitié fermés et en plus on n’a pas de casques. Putain, je ne suis pas assez défoncé ! Je tente d’esquiver :

-Les gars, on va pas monter à trois, j’vais prendre un tuk-tuk, tranquille !

En entendant « tuk-tuk », trois khmers se réveillent et viennent m’accoster :

-Tuk-Tuk sire?

 -Arrête tes conneries ! Monte ! Tu vas pas payer un tuk tuk ! Me fait Cédric en bavant.

-Mais ouais, monte ! Rajoute Sanka.

-Mais nan, c’est bon, ça m’dérange pas. C’est un dolls, un Tuk-Tuk. J’en n’ai rien à foutre d’un dolls. En plus ça tombe bien faut que j’me débarrasse de mes riels.

-Tuk tuk Sire ! Continuent les trois khmers.

-No Tuk-tuk ! Répond Cédric. Putain, regarde-les, on dirait des animaux. Regarde-les comment ils t’tournent autour.

Putain. Cédric est flippant, il a envie de se bastonner. Mais pas avec des khmers, putain de merde ! Sanka ne dit rien mais je suis sur qu’il n’en pense pas moins. De toute façon maintenant on ne peut plus faire marche arrière. Cédric est lancé, on l’a dans le cul. Je me laisse engrainer et finis par monter sur la bécane, tout derrière. Et là, je deviens superstitieux et me mets à penser que peut-être, le petit Bouddha autour de mon cou va me protéger. Mais quand même, quel flippe !

-Bon, alors on va où ? Je demande.

-Bah dans la 51 on a dit.

Quelle crasse !

                                                                    *

Heureusement, Sanka n’est pas assez éclaté pour faire le con sur sa bécane. Il pilote tranquillement pendant que Cédric, lui, est en train de casser les couilles. Il n’arrête pas de gueuler et de bouger, je flippe qu’il fasse un mouvement brusque. Je le supplie de se calmer mais bien sur, ça ne sert strictement à rien. Autant ce mec est fendard quand il est sobre, autant à quatre grammes c’est un danger public.

En débarquant dans la 51, je remercie mon petit bouddha d’être encore en vie. L’adrénaline a complètement fait redescendre mon niveau de défonce, il va falloir y remédier. Une petite ligne de coco ou un cacheton de Ya baa me ferait le plus grand bien mais je suis à sec. Il va falloir boire. Sanka se range devant un bar à meuf que je ne connais pas, le « Pussy Bar ». On descend de la moto, Cédric a la tronche d’un mec qui va partir en couilles. Des tuk tuks et des motobikes nous tombent dessus et nous proposent de nous accompagner au Pontoon. Le patron du JazzRock leur répond en français d’aller se faire enfiler.

Bon, il ne faut pas rester là, on entre dans le Pussy Bar. Les petites yins du rade nous accostent aux cris de « Welcome sire ! ». Aucun client, à part un vieux pochtron de rosbif que j’ai déjà vu plusieurs fois au Sharky. On s’installe au comptoir, une belle brochette de putes vient s’occuper de nous. Cédric en agrippe une et la fait assoir sur ses genoux pendant qu’une autre vient me masser la nuque.

On commande une tournée de « Chivas-Coke », Cédric offre un lady drink à la petite poule posée sur lui, qu’il commence à peloter. La mamasan me demande si je veux offrir une boisson à la meuf qui me masse, je lui réponds « maybe after » car je sais que si je paye mon ladydrink, elle ne va pas me lâcher. Et j’aimerais qu’elle me lâche, elle est dégueulasse avec ses chicos pouraves.

Sanka sourit gentiment et expose ses bracelets aux filles en expliquant qu’il est marié avec une cambodgienne et qu’il vient d’avoir un fils. Une façon pour lui de faire comprendre qu’il repartira seul ce soir. Des expats comme lui, on n’en compte pas des masses dans un pays où le cocufiage est le sport national. A moins que le réel problème soit que Sanka est fauché, et que comme on dit ici, « no money, no honey ». Une autre yin, mignonne, vient s’assoir à ma droite.

-What your name? Elle me demande.

-My name Babou (elle se marre ). And you?

-Mi, Kara. How old?

-34 and you?

-Mi, 18. What you job?

-Cooker. I have a French restaurant in Siem Reap.

-Arrête tes conneries ! M’agresse Cédric. Baise-la !

Je voudrais lui répondre d’aller se faire foutre mais dans cet état, ça ne sert à rien et en plus il est foutu de m’embrouiller. Je l’ignore, Kara me chuchote à l’oreille :  « your friend no good, he bizzare ». Ouais, je sais. Cédric glisse sa main sous la robe de la petite assise sur ses genoux, elle se lève d’un coup et vient s’assoir à côté de lui. Il lui gueule dessus :

-Hey! Sit on my leg baby!

Elle reste à sa place, il insiste, la mamasan insiste aussi pour que la pute revienne sur les genoux de mon pote. Elle s’exécute un peu dégoutée, ça se voit à sa tronche. En même temps, il y a de quoi. Quand Cédric est défoncé, il a tendance à beaucoup baver et il devient très moche. Je m’enquille le sky, cul-sec, et en reprends un autre. Sanka sirote son verre sans piper un mot. Je suis sûr qu’il pense comme moi que Cédric fait chier mais étant donné l’admiration qu’il porte sur son patron, son « grand frère », il préfère jouer le gars qui ne voit rien. Les deux, ils s’aiment, c’est comme ça ! Ca me rappelle le jour où…Oh nan…Putain !

Cédric dégage la pute de ses jambes et balance son verre à travers le comptoir, en insultant toutes les khmères autour de lui. Ca y est, il est dans un état de démence incontrôlable. Un cambodgien petit et carré avec une casquette et une gueule de vénère ramène sa tronche en vitesse. Je demande à Sanka d’emmener Cédric dehors, surtout parce que je ne me sens pas de le faire moi-même, pendant que je paye la ket loey. Ca l’arrange Sanka, que je paye ma tournée.

Il embarque son frangin, les deux quittent le Pussy Bar sans que le gardien ne se mange un direct dans la face. J’entends Cédric balancer des phrases incohérentes. Je règle la mamasan et me casse.

                                                                      *

C’est le bordel sur la 51. Les putes et les barangs ont envahi la rue, ça gueule dans tous les sens. Je ne me sens pas hyper bien. Ici, c’est un nid à embrouilles et je ne sais pas si Sanka va longtemps pouvoir contenir Cédric. De loin, je lance un petit salut à Titi du Deauville, posé au kébab, l’air complètement torché. Il me fait signe de venir, je fais semblant de ne pas piger. Avec Cédric, ça va être ingérable. Je jette un coup d’œil chez Pancho : pas grand monde, et toujours la table de billard. Ouais, ça peut le faire. Si je me lance dans une partie avec Cédric, il sera plus concentré sur son jeu et peut-être qu’il ne se préoccupera pas des gens autour de lui.

-Fifi ! Fifi ! M’appelle Cédric en postillonnant partout. On s’barre au Heart, viens ! (il s’approche de moi) Qu’est-ce t’en as à foutre ? (Il se marre) Ah toi, hein ? Coquinou va ! Enfin, tu m’comprends (il me lèche l’oreille).

-Mais tu veux pas plutôt qu’on s’fasse un p’tit billard chez Pancho ?

-Chez Pancho ! Chez Pancho ! D’la MERDE ! Allez, au Heart, on va aux putes ! Petit dégueulasse !

-Moi non plus j’ai pas spécialement envie d’aller chez Pancho ! Rajoute Sanka.

Putain ! Il est con ou quoi ? J’ai proposé ça pour éviter un massacre et il vient foutre sa merde. Je n’y crois pas, le casse-burne !

                                                                *

Heart of Darkness. La Mecque des soirées undergrounds. Cette nuit, la boite pue la chatte et l’embrouille. Comme d’hab, tu me diras. Il fait très sombre à l’intérieur et l’électro fait mal au crane. Je suis sur que Donas est aux platines. Je ne blaire pas sa zik de merde. J’ai paumé Sanka et Cédric se dandine comme un taré sur le dancefloor en bousculant tout le monde. Je préfère ne pas rester là, je pointe au comptoir.

J’intercepte rapidement le serveur et prends un Jack. Un bon petit cul avec des longues jambes vient se remuer à trois mètres de ma queue. Putain, elle a l’air bonne pour une cambodgienne. J’ai beau être un peu défoncé, ça y est, je commence à avoir la trique. Oh putain, salope, je vais lui enfoncer mon barreau dans le pot. Sauf qu’au moment où je vais l’inviter à boire un petit verre, cette pute se retourne. Bordel, un ladyboy ! Fait chier, je ne baise pas ça moi. Putain de katoy de merde, va bien te faire enculer !

J’enquille le sky et me casse. Une nigériane vient me caresser le bras, je lui décroche un sourire et continue ma route. Je me rappelle avoir niqué une black, il y a environ un mois, mais alors aucune idée si c’était elle ou pas. J’étais trop torché ce soir là. Je jette un coup d’œil sur la piste. Cédric colle une khmère bien potelée, qui n’a pas l’air hyper consentante. Ca va mal se terminer. Il frotte sa bite contre elle en la matant de son regard de psychopathe.

Bon, je ne vais pas m’occuper de ça. Je pars vérifier si Sanka est à l’étage. Je scrute une dernière fois le boxon et m’arrête sur deux blacks, mais alors des carrures ! Des mecs à qui tu ne confierais pas tes gosses. C’est deux là, je les ai déjà vus trainer dans la 104. Ils se tiennent debout, les bras croisés et l’air vénère. Qu’est-ce qu’ils zieutent comme ça ? Nan putain, ils observent Cédric ! Je finis par comprendre que la meuf qu’il est en train de peloter…Et ben c’est la leur ! Enfin je crois.

Je ne réfléchis pas et monte sur le Dancefloor, pousse deux trois putes pour arriver jusqu’à Cédric. Je l’agrippe :

-Cédric, laisse tomber ! C’est la meuf des africains !

Il me regarde en louchant :

-NAN !

Il se met à la tripoter encore plus, puis tente de rouler une galoche. La yin tourne la tête en lui gueulant « STOP ! YOU CREAZY ! YOU LOP-LOP ! ». Bon là, je ne peux plus rien faire pour mon pote. Je me taille de la piste et prends l’escalier pour voir si Sanka est à l’étage. Je me dis que j’ai bien fait de glisser un petit dollar dans la main du vigil. Ce n’était vraiment pas con de ma part.

Là-haut, il y a un monde de dingue. Une usine à poulette ! Pas de Sanka, j’ai l’impression. Putain, qu’est-ce qu’il fout ? Un khmer bien sapé, l’air complètement fracasse, vient m’aborder :

-Excuse ! T’es français ?

Putain, il parle français. Ca fait bizarre !

-Ouais !

-Ca fait plaisir. Moi j’ai habité six ans en France.

-Ah ouais ?

-Ouais ! Mon père il est ministre ici. Et j’ai fais trop de conneries, du coup il m’a envoyé en France.

Putain ! Tout ce que je voulais éviter. Un fils de ministre, une racaille pétée d’oseille. Un bodyguard avec une putain de sale tronche vient se foutre à côté de lui. Putain la guigne, qu’est-ce qu’ils me veulent ces mecs ?

-Viens boire un verre à notre table ! Faut que j’te parle, si ça t’branche un petit snif.

Bordel de merde. Je regarde la table de ses potes : une brochette de balafrés en costards cravate. Simon de « Cambodge soir » avait sorti un article sur ces mecs là. Il a vite quitté le pays après ça. Leurs trucs c’est embrouilles, bastons, putes, défonces, flingues et belles caisses. Et moi, il veut que je m’asseye à cette putain de table. Qu’est-ce qu’il me veut, bordel ? Je n’aime pas du tout ça. Il faut que je m’esquive :

-Tu sais quoi ? Je vais aux chiottes, je reviens.

-Tu flippes ou quoi ?

-Nan nan, j’te dis, j’reviens.

-Ok ok, on t’attend là.

-Ca marche.

Et maintenant, je me casse très vite de la 51. Je descends l’escalier, bouscule deux trois types et décarre vers la sortie. Je croise Sanka, j’ai juste le temps de lui dire que je me taille en vitesse, sans attendre une réponse de sa part. Aucune envie de m’étaler sur le sujet. Je prends la porte Exit, je ne sais pas combien de motodops me sautent dessus. Trop agressifs pour moi, je trace ma route. Je trouverai un tuk-tuk près du WALKABOUT. Putain, quelle merde !

Je me grouille au fond de la 51, de façon à être plus au calme. Il fait une chaleur à crever cette nuit. Quel pays de merde ! J’allume une Malback et passe devant le WALKABOUT. Que des vieilles dégueulasses ici ! Faut vraiment être aveugle pour lever une pute dans ce bar de merde. Je continue de marcher, loin, après les échoppes de cafards et de saloperies en tous genres. Je repense au fils du ministre et à une info sur le Heart of Darkness que j’avais lu dans le guide du routard, à l’époque où je ne m’étais pas encore installé ici. Ca disait justement d’éviter les jeunes issus de la bourgeoisie khmère. Khmerde, comme je dis souvent.

Je m’arrête de marcher et regarde tout là bas, au niveau du Heart, des bars et de la street food. Quel bordel ! Je ne suis pas prêt d’y refoutre les pieds, ça c’est clair. Je me rends compte que je suis parti loin, carrément loin. Ce n’est pas bon ça. Je reviens sur mes pas, pas trop quand même, puis remarque une silhouette sur le trottoir d’en face, qui traverse la route. La démarche est chaloupeuse, okay, j’ai pigé, un accroc à la colle.

En voyant sa sale gueule s’approcher de mon cul, j’hésite à speeder un petit coup. Mais bon, je suis chez moi ici, je ne me suis pas barré de la France pour qu’on continue à me casser les couilles. Je me redresse, histoire de lui montrer à quel point je peux l’étaler en moins de trente secondes. Il arrive en face moi, la main tendue, en me sortant des trucs impigeables, même pour un khmer je suis sur. Il doit avoir 20 ballais, il est tout maigrichon et sapé comme un clodo mais surtout, quelle tronche de cinglé. Plus rien d’humain. C’est le genre de mecs qui a dû se foutre à la colle à six piges, comme les gosses qui trainent devant chez Cédric. C’est dur !

Je pense qu’il va me lâcher la grappe si je lui dépanne un petit bifton. Je fous la main dans ma poche…merde…j’ai embarqué une grosse liasse et mes riels sont mélangés à mes dollars. Je ne vais quand même pas sortir mon paquet de bifs devant sa tête. Putain ! Je lui réponds « atmin loey, no money », puis je trace ma route. Merde, je n’aurais jamais du m’arrêter, pourquoi je ne me suis pas barré direct ? Je vais trouver un tuk-tuk vite-fait bien fait. J’entends les pas du toxico derrière mes fesses. Je me retourne. Pas question que je lui tourne le dos. Il s’arrête devant moi et me choppe par le bras. Je le pousse, il me lâche. Puis j’en aperçois deux autres. Ses potes débarquent. Encore des cramés de la tête. Je reprends ma route et accélère, suffisamment pour retomber au milieu de la faune nocturne de la rue 51.

AÏE ! Un truc vient de me percuter l’arrière du crâne. Je me retourne encore, putain, ça fait mal. Ils m’ont balancé une canette, ces tarés. Putain d’enculés, ils veulent me lyncher. Je touche ma tête. Ca saigne ! Bande de fils de putes ! Ils s’éloignent, je leur fais un gros doigt. Enculés de toxs !

-Tuk-tuk sire ?

Ouais, je crois que c’est le moment de se barrer. Je vais retourner dans la 136 moi, ça va être vite-fait. Je grimpe sur la charrette et reconnais le bruit d’une bouteille ou d’un verre qui s’éclate à quelques mètres de là. Une baston devant le Heart. Toute la 51 se mobilise et s’empresse en direction de l’embrouille. Bande de cons ! Je jette un œil quand même : Cédric, la gueule ensanglantée au côté de Sanka, se fritte contre deux africains. Dur ! Je saute du Tuk-tuk et cours rejoindre mes potes. Enfoirés de blackos ! Je vais en dégommer un.

Bî arrive à la rescousse, avec trois lascars de son gang. Je ne l’avais pas remarqué celui-là. C’est le mec de la belle frangine de Cédric, un américano-khmer renvoyé au Cambodge pendant les années Bush. Je m’arrête. Ils n’auront plus besoin de moi. Je ne regarde même pas, ça va être une boucherie. Je retourne à mon Tuk-Tuk en écoutant les bruits de coup de boules. Et là, je m’en mange un en pleine gueule.

                                                                    *

Mon nez est brisé et je suis couché au sol. Le khmer friqué au-dessus de moi à l’air  hyper vénère :

-Pauvre con ! J’t’attendais, j’aime pas les plans galères.

Il me crache dessus et part. Je ne comprends rien, je suis complètement sonné. Putain, je pisse le sang. Un khmer m’aide à me relever. Quelle galère ! Je m’essuie le visage avec ma manche et allume une clope.

-Tuk-tuk sire ?

-Ta gueule toi !

Je fais quelques pas, histoire de retrouver mes esprits, puis retourne devant le Heart. Je touche mon pif. Aïe ! Fait chier ! Cédric discute avec Sanka et Bî pendant que le keuf bourré tous les soirs, avec sa mitraillette dans les mains, reluque comme un connard les deux blacks étalés sur le trottoir. Il me faut une bière. Je rentre dans le Seven Eleven, et me paye une Anchor. La caissière me matte comme si elle n’avait jamais vu de gueules en biais. Nan, je fly, en fait elle s’en tape complètement.

Je sors, Sanka m’appelle. Je rejoins la troupe.

-Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Il me demande.

Je réponds que je viens de me faire éclater la face par le fils de Pol Pot et retourne la question à Cédric, qui doit avoir à peu près la même gueule que moi.

-Quoi moi ? Rien ! C’est à cause des noirs.

Et dire que demain, il ne se souviendra de rien du tout. Sanka m’explique l’histoire, même si je la connais déjà. Cédric a été un peu trop collant avec une gonzesse des africains et ça s’est terminé en rixe. Bî se masse la main, les types de sa bande picolent ensembles un peu plus loin. Je me glisse la binouze d’un trait et propose de poursuivre la nuit au JazzRock. Au moins là bas, on sera chez nous et on ne risquera pas de se faire buter tous les deux mètres. Sanka se motive:

-Ouais franchement, moi j’suis chaud, vu comment la soirée elle est partie. Bî, we go to the Jazzrock, you come with us, take a drink?

-Yeah man!

Parfait. Je ne cherche même pas à savoir si on va remonter à trois sur la bécane de Sanka pour rejoindre le quai Sisowath, j’intercepte tout de suite un Tuk-Tuk et monte dedans. Je ne le vois pas arriver, Titi du Deauville embarque avec moi. En voyant ma tronche, il se met à exploser de rire :

-Putain, t’as vu ta gueule ! Tu t’es bien fait arranger.

-Ah bah un coup d’boule, mon pote.

-La vache ! T’as l’nez déboité là ?

-Ouais, j’crois.

-Putain ! Vous allez chez Cédric là ?

-Ouais !

-Allez c’est parti !

Je demande au tuk-tuk de nous déposer au Mekong River. Il démarre. On va enfin pouvoir être tranquilles pour se péter la tronche. Je touche le petit Buddha autour de mon cou. Et si ça portait chance, ces conneries là ? C’est peut-être grâce à lui si je suis toujours en vie. Je me repose une deuxième fois la question, vu que le tuk-tuk emprunte un chemin que je n’aime pas du tout…

                                                    FIN 

  • m'étonnes pas, c'est si criant... et tout cas j'ai dévoré, le rythme soutenu me rappelle certaines de mes soirées...haha!!

    · Il y a environ 12 ans ·
    156

    fable-barrabass

  • Merci Fab, sympa. En fait je raconte ici la vie de certains expats au Cambodge, ceux que j'appelle les piliers de bars. J'ai romancé, c'est clair, mais les personnages et les événements sont authentiques.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Logo copie 150

    le-mec-de-lunderground

  • un jour j'ai lu un livre, "il faut sauver la planète", racontant la vie de menbres d'ong à travers le monde, notamment au cambodge. je crois que l'ambiance que tu décris c'est comment qu'est la vie là-bas! le ton est excellent. je recommande à tous d'ouvrir les yeux...

    · Il y a environ 12 ans ·
    156

    fable-barrabass

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