Une plongée pas ordinaire...

danae

Encore quelques mètres avant d’effleurer la coque du voilier. Elle remonte lentement, marquant les paliers. Son œil, habitué maintenant à l’obscurité des eaux, observe furtivement le fond.

Soudain une inquiétude, une ombre sous elle. Une ombre qui remonte des profondeurs, vive, rapide, instinctive, longue, très longue, se mouvant avec une aisance singulière, un reflet ? non une réalité, un squale…

A la vue de l’animal, son corps se rigidifie, frissonne. Ralentir le battement de ses pieds palmés afin de ne pas attirer l’attention, réduire sa respiration maintenant saccadée afin de ne pas épuiser sa réserve d’oxygène, se détendre, essayer d’oublier sa peur, son angoisse.

Mais malgré son changement de comportement, l’œil expérimenté du monstre l’a remarquée.

Imperceptiblement, il s’approche d’elle dans une ondulation qui frôle l’insolence, une sorte de volupté qui hypnotise sa victime. Son corps souple bleu gris presque blanc, se détache du vert émeraude des mers des Caraïbes. Un mètre les sépare. Il est face à elle, la contemple. Il est immense, sans fin. Il bouge à peine, sa gueule entre-ouverte, ses yeux sans vie, l’animal la jauge. 

Il commence une danse autour d’elle. Il passe à côté, la frôle, la contourne, part, revient vers elle.

Tétanisée par le ballet macabre qu’il exécute sous ses yeux, elle essaie de sa main droite d’attraper son fusil attaché à son mollet. La crosse dans la paume, elle se sent ridicule devant cet attaquant et arrête son geste.  Que faire devant ce mammifère géant, tirer, le blesser et le rendre encore plus agressif..

Son esprit bouillonne. Au-dessus, à dix mètres, il y a le Jumanji qui flotte. Dix mètres, comme cette distance est courte, mais injoignable.

Où est-il ? Derrière elle, surtout ne pas bouger. Elle se trouve dans une situation incontrôlable, elle qui d’ordinaire  manage tout, sa vie, son travail, elle se retrouve confrontée à une situation  qui lui échappe.

Il revient, la gueule s’ouvrant au fur et à mesure, tout doucement. Sa mâchoire ressemble à des rangées de râteaux mal alignés. Les dents sont monstrueuses, grises, géantes, gigantesques.

Il passe à nouveau prêt d’elle, lui infligeant au passage un coup de queue. Elle se désarticule tel un pantin déglingué. A son passage, les eaux s’agitent, tourbillonnent tout devient nébuleux, trouble, sans repère.

Les bulles d’air se libèrent de son tuba toujours plus vite et l’air s’amenuise de sa réserve. Le temps passe, le temps presse et elle est là plantée comme un apât pour touriste déjanté.

L’engourdissement commence à prendre possession de tout son corps, de son esprit. La transparence de l’eau devient obscure, le froid envahit tout son corps. Des flashs-backs s’animent dans sa tête. Des moments de sa vie défilent. Elle retrouve des voix perdues, des souvenirs oubliés, le sourire de ses parents, une phrase que sa grand-mère lui avait susurrée avant de la quitter : « la vie est un départ, la mort est un retour… »

Elle a trente deux ans et n’est pas prête pour le retour… Elle ne peut pas mourir de cette façon. Comme l’athlète qui se prépare avant toute compétition, elle se conditionne pour une nouvelle attaque de la « mort blanche ». Il va revenir et il ne s’amusera plus maintenant. Elle le sait. C’est le final.

Elle tourne la tête afin d’apercevoir l’animal. Toujours aux aguets, il poursuit son va-et-vient vers sa proie. Nerveux, il fait de grands cercles autour d’elle. Elle porte sa main au harpon, l’extrait de sa gaîne de protection et.. et soudain au loin un deuxième aileron.

Elle ne peut pas lutter contre deux requins. Impossible. Alors elle doit tenter le tout pour le tout, elle lève la tête aperçoit les reflets du soleil s’amusant avec la surface de la mer, lâche son arme, inspire une longue bouffée d’air, dénoue rapidement la ceinture qui retient sa bouteille et palme le plus vite possible en se dirigeant vers la surface de l’eau, le voilier.

Mais, il est rapide et intelligent. Il arrête ses ronds dans l’eau, ouvre sa mâchoire en attaquant vers elle.

Un duel se déroule sous l’eau. Lequel des deux combattants va gagner ? Qui va ressortir vainqueur ? Les jeux sont faits. Le choc va être terrible, la douleur sans nom.

Son pied happé sent la pression de plusieurs pointes se refermer. Une souffrance aigue irradie  tout son corps. Mais le requin blanc lâche son pied et semble secoué. Que se passe-t-il ? Le deuxième attaquant ne semble pas vouloir la partager. Elle extrait son pied de la gueule du géant des mers en lui assénant un coup sur la tête avec l'autre, valide. Le mouvement surprend l’animal qui déstabilisé par son geste et l’arrivée d’un autre assaillant perd le contrôle de son attaque. L’aileron dorsal qui s’anime devant elle, est différent du précédent.

Elle rêve, elle n’en croit pas ses yeux, un dauphin… Un dauphin vient la sauver.
Les coups de bec assénés du marsouin sur le corps du requin, font revoir la situation du prédateur. Le dauphin continue ses attaques. Elle reste titanisée par le spectacle qui se déroule sous ses yeux. Elle doit partir mais pour une raison inconnue, inexpliquée, elle en est incapable.

L’affrontement dure plus de 5 minutes mais le requin capitule et repart dans l’obscurité des fonds.

Son sauveur s’approche d’elle. Ils s’observent, elle tend sa main, il approche sa tête et dans un mouvement rapide fait volte-face et lui présente sa nageoire dorsale. Elle la saisit et il l’entraîne dans une ballade inoubliable.

-  « Chérie, chérie, réveilles-toi mon cœur »

Lovée dans son hamac tendu entre deux mâts, elle s’extirpe lentement de sa torpeur. Quel rêve, c’est fini, plus de rosé au déjeuner …. Et surtout un chapeau sur la tête !

 -  « Chérie, dépêches-toi, enfiles ta combinaison, on plonge dans cinq minutes… »

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