Une semaine
Christine Bruyere
Lundi. Je démarre la semaine du bon pied. D'accord, j'ai raté mon train car je ne me suis pas réveillée. Ce qui m'a valu d'être assise pendant une demie-heure, j'ai ainsi pu avancer honorablement mon roman, non pas celui que je lis, mais celui que j'écris. Oui, Monsieur, j'écris un roman, moi ! Ne soulevez pas votre sourcil d'un air sceptique.
En arrivant au bureau, j'ai un peu rasé les murs en espérant ne pas rencontrer mon chef de service, Petit Patron, dans le couloir. Ouf, enfin à mon bureau. Aïe, un mot sur ma chaise : « 9 h 00, vous n'étiez pas dans votre bureau ! » Eh bien non ! Je n'étais pas dans mon bureau, vu que j'étais dans le train. L'explication avec Petit Patron n'a pas été plus orageuse que d'habitude. Le pauvre ! Il faut dire que j'ai l'habitude de lui remonter le moral dès qu'il sort, vers 9h00, du bureau de Grand Patron. Allo, maman, bobo !Maman n'était pas là ce matin ce matin pour penser les plaies de Petit Patron, alors Petit Patron avait peur sans maman. Bon, tout est arrangé, Petit Patron va mieux, maman est rentrée, Petit Patron a pardonné.
Tout cela m'a fait perdre un temps fou et il a fallu ensuite que je travaille deux fois plus vite. Impossible de rattraper le retard. Je suis donc partie du bureau assez tard. Ce qui m'a permis d'être assise pendant une demie-heure que j'ai mise à profit pour continuer mon roman.
Mardi. Pas de roman dans le train bondé. J'ai dû faire une séance de rattrapage à l'heure du déjeuner pour le continuer. Parce que ce roman, c'est sérieux ! Bien plus que mon travail. Enfin non, pas plus, mais au moins autant.
Mercredi. Je suis découragée. J'ai la tête qui va éclater. Je m'échine toute la journée sur un problème épineux qu'il faut absolument que je règle. C'est que je suis très importante. Mais oui, Monsieur, il n'y a que moi qui peut le régler, ce problème. Qu'est-ce que vous croyez ? Que je ne suis qu'une petite subalterne de rien du tour ? Non, Monsieur, je suis une grande subalterne, un maillon d'une chaine. Non, pas la chaine de l'esclave, même si je travaille sur le financement d'un projet justement sur l'esclavage.
Ainsi, vous l'aurez compris, aujourd'hui, pas de roman ! Mais demain, je vais me rattraper, je m'en fais sérieusement la promesse. Dans le train bondé, je rédige dans ma tête trois ou quatre pages. Dommage que mon cerveau ne soit pas relié directement à mon ordinateur !
Jeudi. J'arrive plus tôt au bureau pour écrire les quelques pages que j'ai rédigées dans ma tête. Petit Patron est content, il a pu me buzzer dès la sortie du bureau de Grand Patron où il s'était fait passer un savon. Vous voyez bien, Monsieur, que je suis un maillon très important de cette chaine. Sans moi, il y a bien longtemps que Petit Patron aurait fait une dépression nerveuse.
A midi, encore quelques pages. Mon roman se présente vraiment très bien.
Vendredi. Dernier jour de la semaine de travail. Si, Monsieur, c'est du travail d'écouter et de consoler Petit Patron. C'est psy que j'aurai dû faire. Une journée de chiffres. C'est pour cela que je me venge en écrivant un roman.
Peu de monde dans le train, à croire qu'ils sont tous en RTT. J'ai pu encore rédiger quelques pages.
Samedi. Courses, ménage, repas, repassage. Sous prétexte d'aller faire la sieste, je vais rédiger encore quelques pages. Petit Mari ne sait pas que j'écris un roman et je ne veux pas soulever ses sarcasmes.
Dimanche. Pendant que Petit Mari paresse au lit, j'écris encore quelques pages. Voilà, j'ai fini les deux premiers chapitres. Dans deux ou trois mois, mon livre sera terminé. Vous me demandez le sujet, Monsieur ? Mais cela ne vous regarde pas encore. Attendez que mon livre soit publié et achetez-le. Cela me fera au moins un lecteur.
Lol ! Petit patron devrait lire ça !
· Il y a presque 13 ans ·Edwige Devillebichot