une vie sous silence

christinej

J'entends ses pas lourds retentir dans le couloir et l'atmosphère alors prend un coup de froid.

Mes frères à côté de moi, se redissent instinctivement.

Les mains sur la table, ils ne bougent plus et respirent en sourdine.

Le dos droit, le regard fixe, la peur est un étau qui leur écrase la moelle épinière.

Moi, je continue à me déplacer en silence, j'achève mon travail en limitant au maximum mes mouvements.

Comme toujours son odeur de tabac froid et d'animal mal dégrossi le précède de quelques secondes dans la cuisine.

L'air se raréfie littéralement et nos poumons s'assèchent.

Le voilà.

La barbe drue et noire, les cheveux graisseux tombant sur des épaules taillées à coups de hache. Son regard est aussi bleu qu'un ciel de printemps, mais il déchiquète celui qui ose le croiser.

Il se pose sur sa chaise qui tremble sous son poids, à la place qui lui revient au bout de la table.

Il passe en revue ses fils, dignes héritiers de sa lignée.

Aucun reproche n'est lancé et avec à peine un grognement il donne sa bénédiction.

Alors commence le cliquetis des assiettes et des verres, des bouches aux dents pourries qui mastiquent et engloutissent la nourriture.

Tout cela remplit la pièce d'un concert irréel et écœurant.

Je reste dans mon coin à fixer ce qui me sert de chaussures. Sans bouger évidemment, je ne suis qu'une ombre qui ose respirer.

Tous ont déjà déserté la table sauf le patriarche.

Il se lève et sort sans même un regard dans ma direction.

Mon existence tout entière est mise sous silence tout cela parce que je suis née avec le mauvais sexe.

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