Une vie voilée

Elle passe sa main sur le tissu fragile de sa robe blanche qui lui rappelle les draps dont sa mère se servait pour border son lit étant jeune. Elle s'allonge sur le sol de la pièce en se remémorant le baiser qu'on lui déposait sur le front avant qu'elle ne plonge dans ces rêves d'enfants, aux couleurs éclatantes et aux histoires naïves. Elle touche son visage, constatant que la douceur de sa peau s'en est allée avec son innocence, la confiant aux griffes d'un destin n'étant pas désiré. Une larme s'échappe de son œil, et elle s'empresse d'aller vérifier devant un miroir que cela n'a pas nuit à son maquillage.

Elle n'aime pas la femme qui lui fait face. Elle la déteste même. Ce n'est pas elle, cette image ne lui correspond pas. Elle a toujours le sourire aux lèvres, les yeux pétillants et la mine rosée, pas cette expression d'âme-en-peine et cette pâleur funéraire. Ce trait noir soulignant son regard lui paraît glacial, presque accusateur. Son reflet la dénonce comme coupable de ce gâchis, coupable de n'avoir pas su s'enfuir.

L'alliance à son doigt la serre, lui rappelant sans cesse qu'elle est mariée à cet inconnu ; un homme dont elle ne sait que le nom. Et le soir venu, elle devra se soumettre à ses désirs les plus égoïstes, accepter d'éprouver une souffrance qui la pourchassera chaque nuit. Elle sera sienne, mais il ne lui appartiendra qu'officieusement. Non, elle ne peut pas attendre et ne rien faire. Ce futur n'est pas le sien, c'est impensable. Rassemblant quelques affaires dans une valise à molette, elle détache ses cheveux, retire ses ballerines, et enlève la bague dorée.

La tête appuyée contre la vitre d'un train, la demoiselle a fait son choix. Quel qu'en soit le prix, elle sera libre. Elle imagine les cris de son père, hystérique quand il découvrira sa disparition, mais elle s'en moque silencieusement. Une colombe déploie ses ailes pour chavirer dans le ciel vers de nouveaux horizons, et l'animal éprouve un bonheur simple lié à cette sensation de légèreté, d'indépendance.