Uppercut

monster-inside

Le choc avait été violent.

Il s’y était tellement bien préparé qu’il avait vu l’impact arriver au ralenti. Il avait eu le temps d’imaginer les mouvements de sa chair, et l’envolée de son corps tout entier juste avant de s’écraser au sol. Il avait encaissé le coup les bras grands ouverts :

« Viens, je t’attends. »

Il avait espéré que les choses se passeraient autrement, cette fois. Il avait espéré tomber sur l’exception, mais s’était encore heurté à la règle.

Sans la moindre volonté de rébellion, il gisait là, acceptant son sort, dans une posture quasi christique. Il n’avait même pas crié. Pas même ouvert la bouche, pas même fait semblant. Il savait. Rien ne sert de l’ouvrir, il faut prendre les poings.

Le regard perdu dans un ailleurs éthéré, il concentrait son attention toute entière sur les entrelacs du motif de cette tapisserie vieillotte qui ornait le mur délabré de sa prison mentale.

Ne pas regarder ailleurs.

Ne pas tourner la tête.

Si tu tournes la tête, tu le sais bien, c’est terminé. Tu vas voir tout ton bordel : les piles de trucs enfouis dans l’ombre, les sacs de nœuds, et les placards pleins des cadavres de toi-même. En-dedans, y a plus rien qui tourne rond, de toutes façons.

Au bout d’un temps même pas infini, il aperçut le fil de ses pensées qui gigotait non loin de son bras. Il l’observa quelques instants se trémousser, se tortiller, se tricoter et se détricoter. C’était à la fois drôle et triste à voir. Et puis les convulsions commencèrent à s’espacer, se raréfier, s’apaiser. Plus qu’un petit soubresaut ici et là.

Il décida que ça suffisait comme ça, qu’il était grand maintenant et que s’il avait bien appris quelque chose dans sa vie, c’était que mieux valait regarder les monstres droit dans les yeux plutôt que rester planqué sous la couette. Il était temps de reprendre ses esprits.

Il étira complètement son bras jusqu’à saisir le bout de fil qui à force de torsions s’était tout emmêlé (encore un qui allait finir dans le sac de nœuds…) et releva son buste. D’un regard panoramique il balaya la pièce.

Vide.

Oh bien sûr il y avait encore pas mal de poussière, les lames du plancher étaient toujours toutes cabossées vermoulues et trouées par endroits, les murs et le plafond tâchés et fissurés… mais la pièce était vide.

A sa gauche, une petite lucarne dont il avait totalement oublié l’existence laissait filtrer la douce lumière des matins d’été. Il s’en approcha, l’ouvrit, et tendit la main pour sentir le souffle léger de la brise. Il sourit en voyant le bout de ses doigts s’effriter et s’envoler, tourbillonnant au gré du vent. Ca lui rappelait les cerisiers.

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